Le Figaro, no. 20788 - Le Figaro, vendredi 3 juin 2011, p. 7
L'intrusion dans des centaines de messageries proviendrait de la province du Shandong. Washington prépare sa riposte.
Nouvelle escarmouche dans la guerre de tranchées entre Google et la Chine. Selon la firme californienne, des hackers - apparemment chinois - ont attaqué des centaines de comptes de messagerie Gmail. Certains appartenaient à des activistes chinois, d'autres à des journalistes ou des hauts responsables de l'Administration américaine. La Maison-Blanche a déclaré qu'elle « examinait » ces informations, tandis que le FBI faisait savoir qu'il coopérait avec Google pour enquêter. De son côté, Pékin a dénoncé des « allégations inacceptables », pleines d'« arrière-pensées ». Une réaction une fois de plus étonnante, sachant que la Chine officielle n'est pas mise en cause, puisqu'il a été seulement fait état d'attaques menées depuis le territoire chinois.
Sur son blog officiel, Google parle d'une vaste campagne de récupération de mots de passe par phishing (« hameçonnage »), qui a été repérée et contrée. Des fonctionnalités de transfert de mails vers une autre boîte inconnue ont aussi été activées. Les hackers auraient essentiellement agi depuis Jinan, la capitale de la province orientale du Shandong. Les spécialistes font remarquer que cette région abrite l'un des six bureaux de « reconnaissance technique » de l'Armée populaire de libération (APL). Ainsi qu'un obscur établissement professionnel qui formerait des informaticiens de l'APL, le Lanxiang Vocational College, auquel seraient remontés les enquêteurs américains lors des attaques massives contre Google de janvier 2010. À l'époque, la crise avait conduit la firme californienne à rapatrier ses opérations de Chine sur Hongkong, avec un refus de continuer à se plier à la censure officielle.
Actes de guerre
Le bras de fer entre le géant du Web et le pays au demi-milliard d'internautes se poursuit donc. Une chose est sûre : depuis quatre mois, depuis que les révolutions arabes inquiètent Pékin, l'accès aux comptes Gmail depuis la Chine s'est notablement compliqué. Il n'est pas totalement bloqué, mais tellement ralenti que son usage est parfois impossible. Au-delà, c'est toute la question de la censure et de la « cyberguerre » que peuvent se livrer Occidentaux et Chinois qui se profile. À Pékin, on a noté les déclarations de la secrétaire d'État Hillary Clinton, le mois dernier, affirmant que les États-Unis allaient injecter 19 millions de dollars dans une nouvelle technologie permettant de vaincre la censure pratiquée sur Internet par des gouvernements étrangers.
En février, la société américaine de sécurité informatique McAfee a affirmé que des hackers chinois avaient infiltré les réseaux informatiques de multinationales du pétrole, volant des documents confidentiels. Et, la semaine dernière, c'est le géant de la défense américain Lockheed Martin qui a affirmé avoir été la cible d'une cyberattaque majeure, sans évoquer son origine. Selon des télégrammes diplomatiques rendus publics par WikiLeaks, les États-Unis sont persuadés que les plus hauts dirigeants chinois ont ordonné les campagnes d'attaques informatiques contre Google et des gouvernements occidentaux.
La semaine dernière, le Jiefangjun Bao - journal de l'armée chinoise - a rapporté la création d'une troupe d'élite chargée de cyberdéfense. Tout en soulignant que cette « équipe cyberbleue », placée sous le commandement de la région militaire de Canton, n'était pas une « armée de hackers ». Et il y a deux jours, un document officiel révélait que le Pentagone pourrait désormais assimiler les cyberattaques à des actes de guerre.
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