Le Temps - Finance, samedi 11 juin 2011
Des sociétés d'analyse dénoncent la falsification des comptes
«Inexact, fallacieux et diffamatoire». La direction de Sino-Forest, dont l'action s'est effondrée de plus de 70% en deux séances la semaine dernière à Toronto, clame son innocence. Contrairement à ce qu'avance la société d'analyse Muddy Waters Research, le groupe forestier chinois n'a pas falsifié ses comptes de résultats, assure-t-il.
Son siège dénonce l'intérêt qu'a Muddy Waters à communiquer ce type d'informations notamment aux hedge funds, «compte tenu de sa position à découvert qui lui permet de réaliser des gains substantiels grâce à la chute de cours qu'elle a précipitée».
Cette bataille de communication entre Sino-Forest, dont le milliardaire John Paulson détenait 14,9% du capital à la fin avril, et Muddy Waters, société de l'analyste Carson Block, passionne les milieux financiers nord-américains.
Block n'en est pas à son premier «coup». Avant de dénoncer les pratiques de Sino-Forest - qu'il n'a pas hésité à comparer à la pyramide de Ponzi érigée par Bernard Madoff - le directeur de la recherche de Muddy Waters s'en était pris à deux sociétés chinoises cotées aux Etats-Unis: China MediaExpress et Rino International.
Après avoir bondi de 45% en 2009, de 49% en 2010 et s'être effondrée en 2011, l'action de China MediaExpress, spécialiste des panneaux publicitaires, a été suspendue sur le Nasdaq en mars. Sa cotation n'a pas repris depuis. Le fabricant de systèmes de contrôle de pollution, Rino International, a pour sa part été définitivement retiré du Nasdaq et fait l'objet de poursuites.
Alors que les sociétés chinoises ont contribué à un quart des introductions en bourse aux Etats-Unis en 2010, ces cas ne sont pas isolés. Au cours des derniers mois, une quinzaine de sociétés privées ont défrayé la chronique (China Electric, Longtop, Duoyan...) en révélant de potentielles fraudes comptables.
Le scénario est généralement le même: après qu'un opérateur de marché tel Carson Block émet de sérieux doutes sur les comptes d'une société cotée en Amérique du Nord, son cours s'effondre en bourse puis son auditeur s'en distancie. Le mois dernier, le responsable des cotations du Nasdaq, Bob McCooey, a défendu les grandes places boursières américaines, déclarant que le gendarme des marchés financiers, la SEC, «érigeait des normes (de cotation), que les bourses en fixaient aussi, et qu'il s'agissait des plus rigoureuses au monde». Mais la SEC et un nombre croissant d'investisseurs déplorent que Pékin n'ait pas autorisé l'autorité comptable américaine (PCAOB) à obtenir des informations de la part des cabinets d'audit basés en Chine. Le président du PCAOB, James Doty, a confié à l'agence Reuters qu'il espérait qu'un accord sino-américain soit conclu avant la fin 2011.
De son côté, la SEC a mis en garde jeudi au sujet des risques associés aux «fusions inversées», qui permettent à des sociétés chinoises d'avoir accès aux marchés boursiers américains en rachetant une entreprise cotée aux Etats-Unis. Selon le PCAOB, entre janvier 2007 et fin mars 2010, 159 sociétés chinoises ont intégré la cote américaine via une «reverse merger». Leur capitalisation s'élevait à 12,8 milliards de dollars à la fin de cette période, contre 27,2 milliards de dollars pour les 56 sociétés chinoises qui ont réalisé dans le même temps de «véritables» introductions en bourse aux Etats-Unis.
Eric Chalmet
(La Tribune)
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