Le Figaro, no. 20786 - Le Figaro, mercredi 1 juin 2011, p. 15
Si les experts en sciences sociales et les politiques qui les écoutent se référaient davantage à la sagesse des grands auteurs classiques, ils gagneraient beaucoup de temps. Ceux qui, en ce moment, à gauche et à l'extrême droite, prônent la « démondialisation », devraient se rappeler ce vers des Animaux malades de la peste de La Fontaine : « ils ne mouraient pas tous, mais tous étaient frappés ».
En d'autres termes, quand, à l'intérieur d'un groupe, chacun se sent atteint par un fléau, le seul moyen d'en sortir est de désigner, comme dans la fable, un bouc émissaire, ou, si l'on n'en trouve pas, de chercher des remèdes et de s'entendre. Plus le groupe est complexe, plus il est difficile de s'accorder sur la désignation d'un coupable, et plus la recherche de compromis raisonnables s'impose. C'est ce qui arrive à la mondialisation. À coup sûr, elle fait des victimes. Mais elle en fait partout, et le constat de cette réalité oblige les peuples autant que leurs dirigeants à moins écouter leurs passions, et à se régler davantage sur leurs intérêts bien compris. Essayons de préciser en quoi et pourquoi.
La première raison est que la mondialisation est loin d'être, a priori, ce pelé, ce galeux d'où venait tout le mal. Celle-ci se définit beaucoup plus par la notion de globalisation planétaire des intérêts industriels, financiers et démographiques en jeu, que par le triomphe généralisé du libre-échange, qui est loin d'être aussi absolu et ravageur que l'affirment le Front national et une partie du PS, dans leurs appels dangereusement démagogiques à la démondialisation (1). Comme Olivier Pastré et Jean-Marc Sylvestre le rappellent opportunément (2), les politiques de protection des économies nationales demeurent, sous une forme larvée : obstacles non tarifaires, accords bilatéraux, dérogations aux règles de l'OMC, manipulation du cours de la monnaie.
Ces ruses, dont les États-Unis et la Chine se sont fait une spécialité, n'ont certes rien de comparable avec l'ampleur de la vague protectionniste qui suivit la Grande Dépression des années 1930. Mais, même si elles ne sont pas parvenues à protéger suffisamment le niveau des salaires des pays développés, elles interdisent d'imputer au seul libre-échange et à l'abus des délocalisations une hausse du chômage liée, pour l'essentiel, aux progrès intérieurs de la productivité.
La seconde raison de parier en faveur de la poursuite de la mondialisation réside précisément dans son universalité. La grande dépression des années 1930 s'est répandue par étapes, et de manière asymétrique ; en sorte que des réponses par le nationalisme et l'autarcie ont pu être alors mises en oeuvre par les pays totalitaires avec une efficacité au moins provisoire. Dans le cas de figure actuel, où tous les acteurs sont, à des titres divers, frappés de façon simultanée, et voués à des mesures de rétorsion immédiate, de tels replis seraient suicidaires. Les relances keynésiennes, nécessaires partout, y compris au Maghreb, imposent à tous des régulations et exigent de tous des efforts mutuellement consentis.
Entre tous les États de la planète, le grand fait nouveau est la prise de conscience universelle du développement exponentiel d'interdépendances dont aucun pays ne peut se défaire sans y trouver plus d'inconvénients que d'avantages : ni la vieille Europe industrialisée, qui est en puissance la principale victime de la crise, mais qui a plus que jamais besoin de la main-d'oeuvre et des débouchés extérieurs, ni les pays émergents, dont les progrès technologiques ne peuvent se passer du marché mondial, ni la Chine, tributaire du cours du dollar, ni les pays pauvres, en mal d'investissements étrangers, ni les États-Unis eux-mêmes, tenus en laisse par leur énorme déficit.
Quant aux peuples, l'exemple des Espagnols et des Grecs semble indiquer qu'ils se mobilisent moins, dans l'ensemble, pour exiger une sortie du marché planétaire, que pour réclamer une meilleure répartition des sacrifices exigés par sa crise actuelle. Ce n'est pas suffisant pour faire progresser le projet d'un gouvernement mondial. Ce n'en est pas moins assez pour espérer que, en dépit des cris d'alarme et des sons de trompe, la sortie de la crise actuelle sera moins irrationnelle que celle des années 1930, et qu'elle s'opérera par le haut.
(1) Témoins, Jacques Sapir, « La démondialisation», Seuil, et Arnaud Montebourg, « Votez pour la démondialisation ! : La République plus forte que la mondialisation», Flammarion. Voir aussi le dossier d'Alternatives économiques, « Mondialisation, le début de la fin ? » juin 2011.
(2) « On nous ment ! Vérités et légendes sur la crise», Fayard.
PHOTO - Activists from the humanitarian NGO Oxfam wear giant papier mache heads representing (L-R) Britain's Prime Minister David Cameron, U.S. President Barack Obama, German Chancellor Angela Merkel, France's President Nicolas Sarkozy, Russia's President Dmitry Medvedev, Italy's President Silvio Berlusconi, Canada's Prime Minister Stephen Harper and Japan's Prime Minister Naoto Kan, as they pose in front of the Eiffel Tower in Paris May 25, 2011.
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