mercredi 1 juin 2011

OPINION - Regain de féminisme - Clerc Christine

Valeurs Actuelles, no. 3888 - Quelle semaine, jeudi 2 juin 2011, p. 08

Y a-t-il une façon différente chez les femmes - plus «douce», plus raisonnée que celle des hommes - d'exercer le pouvoir ? C'est ce qu'affirme Christine Lagarde quand elle parle d'« excès de testostérone » à propos des banquiers et soupire qu'on aurait évité la crise si Lehman Brothers s'était appelé «Lehman Sisters»... Je voudrais le croire. Je n'en suis pas si sûre. Ce que je constate, c'est que l'entourage masculin des femmes de pouvoir n'a pas à subir - du moins que je sache - les plaisanteries grivoises et les gestes déplacés tolérés, jusque-là, par les assistantes, journalistes et femmes politiques. Je me souviens d'avoir accompagné Élisabeth Guigou en campagne régionale en Provence : quand Bernard Tapie mit les rieurs de son côté en la faisant entrer dans une boutique de lingerie et en brandissant au-dessus de sa tête, comme un trophée, un slip de dentelle. Je me souviens aussi d'un dîner de «compagnons» en campagne : entre deux tranches de pâté, un futur président de la République lâchait, à propos d'une femme ministre : « Celle-là, elle a un frelon dans sa petite culotte ! » Comme je regrette de n'avoir pas quitté la table ! C'était un autre temps. D'avant l'affaire DSK et l'affaire Tron.

Voilà à quoi je songe dans le TGV qui emmène Martine Aubry à Poitiers, où elle doit animer avec Ségolène Royal une «rencontre du changement». Pour accompagner la première secrétaire du PS, j'avais pris un billet de première. Elle a choisi de voyager en seconde. Autour d'elle, un essaim de journalistes et de photographes - une soixantaine, autant que pour suivre la visite en Tunisie de son rival François Hollande. Martine veut bien s'exprimer sur le manque d'entretien des trains, dont elle fait reproche à son ancien directeur de cabinet, Guillaume Pepy (président de la SNCF). Mais pas un mot sur «l'affaire». Elle se plonge dans le texte de son discours.

Dans la salle prévue pour 300 personnes, 200 ont déjà pris place. Près de 500 vont bientôt se presser, débordant dans le hall et sur le trottoir. Beaucoup de femmes. Elles sont venues, me dit une fonctionnaire d'une cinquantaine d'années qui a voté Mitterrand puis Ségolène, pour « essayer de comprendre le projet du PS ». En attendant, et tandis que passe sur grand écran l'inévitable film sur les admirables réalisations de la région Poitou-Charentes (des emplois sauvés chez Heuliez, le Marais poitevin préservé...), on parle de «l'affaire». « DSK, me glisse ma voisine, navrée, c'est pire que le marquis de Sade. » Entrent les deux femmes, très applaudies, mais modestes : pas de cohorte prétorienne, pas de salut, bras levé. Elles s'installent devant un grand panneau blanc et gris avec, en lettres écarlates, «Projet socialiste 2012 : le changement». Martine porte sa veste grise de voyage, Ségolène, une veste écarlate et des talons aiguilles vernis rouges. Ici, c'est elle la patronne, qui salue « Martine », impassible, en lui disant « tout le plaisir... » avant de développer son projet de « social-écologie » et d'affirmer une conviction commune : « La puissance publique doit jouer un rôle moteur. » Martine lui succède : « C'est le bonheur de se retrouver ! Nous avons vécu des moments éprouvants. Mais vous pouvez compter sur Ségolène et sur moi pour garder le cap. » Et d'enchaîner sur « la jeunesse au coeur »... À quoi songe Ségolène, le regard dans le vague ? À ces 17 millions de Français qui votèrent pour elle ? à cet engouement quasi amoureux de 2007, qui ne reviendra plus ? Sous le sourire un peu figé, creusent l'amertume et la tristesse.

Dans le train du retour, il faut changer à nouveau de billet : cette fois, la première secrétaire voyage en première. Voiture trois. Ségolène Royal, elle, a réservé en voiture une.

L'avant-veille, sur France 2, Martine Aubry, au grand dam de ses camarades du PS, avait soutenu la candidature de Christine Lagarde à la direction du FMI : « C'est une Européenne et une Française. Une femme respectable. » A-t-elle donc oublié les 285 millions d'euros versés à l'ancien patron d'Adidas à la suite d'un arbitrage ordonné par la ministre de l'Économie ? Non. Mais l'affaire DSK et l'affaire Tron ont tout balayé. Une vague féministe traverse la droite et la gauche. Un véritable mouvement d'«indignadas».

Il paraît qu'au FMI, un représentant des États-Unis s'interroge sur la compétence économique de Mme Lagarde. Chez nous, des élus s'interrogent sur son sens politique : aura-t-elle, avec les Grecs, plus d'habileté que DSK ? Mais la vague qui la porte est irrésistible. Déjà assurée du soutien de Hillary Clinton, «Christine» s'envole pour Brasília, où l'attend Dilma Rousseff. D'avance, Nicolas Sarkozy savoure son succès : après s'être séparé de Rachida Dati, Rama Yade et Michèle Alliot-Marie, il va promouvoir une femme sur la scène internationale. Et, sans doute, la remplacer à Bercy par une femme. Pourvu que Tapie ne gâche pas la fête !

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