Le Monde - Environnement & Sciences, vendredi 10 juin 2011, p. 10Dans l'Etat de Goias, des récoltes de soja sont garanties aux firmes chinoises en échange de prêts et d'équipementsEn cette saison, dite de « la petite récolte », le sorgho et le millet poussent dru dans les champs qui entourent Uruaçu, petite ville du nord de l'Etat de Goias.
Ils offrent, pendant quelques semaines, un spectacle trompeur, car, sur ces mêmes terres, pendant le reste de l'année, il n'y a qu'un roi : le soja. D'allure certes moins majestueuse que ces deux belles céréales, mais bien plus courtisé.
Le soja d'ici, la Chine le désire au plus haut point. D'où la signature, en avril, d'un accord inédit entre la Fédération agricole de l'Etat de Goias et la compagnie paraétatique chinoise Sanhe Hopefull.
Celle-ci s'engage à investir pendant dix ans l'équivalent de 3 milliards d'euros pour développer et moderniser la culture dans cette région. En contrepartie, elle pourra acheter 6 millions de tonnes de soja aux producteurs locaux. Les Chinois sont déjà très actifs dans le sud de Goias, qui leur a vendu, en 2010, les trois quarts de ses exportations. Ils se sont intéressés au nord de l'Etat lors d'un voyage en Chine du président Luiz Inacio Lula da Silva en 2009. Après quatre visites sur place, ambassadeur de Chine en tête, ils ont conclu l'affaire, à la grande satisfaction des deux parties.
Pour les Chinois, un tel contrat présente plusieurs avantages. Il leur garantit une sécurité d'approvisionnement et les rend moins vulnérables aux variations des cours du marché. Il leur permet de faire miroiter aux Brésiliens la possibilité de court-circuiter en partie les géants américains de l'agro-industrie, comme Cargill ou Archer Daniels Midland, dont on voit les silos et les entrepôts dans les champs de la région.
D'ici à 2018, l'Etat de Goias prévoit, avec l'aide des Chinois, de doubler sa production actuelle. Comment ? En convertissant au soja 3 millions d'hectares de pâturages dégradés - sur les 8 millions existants dans la région - qui ne sont plus cultivés depuis plusieurs décennies. La restauration de ces terres a déjà commencé, pour permettre une relance de la production dès la prochaine saison.
Secrétaire municipal à l'agriculture d'Uruaçu, Beto Ribeiro, 40 ans, montre, au milieu des champs, les amas de calcaire dont l'épandage enrichira les sols. Grâce à l'argent chinois, des producteurs traditionnels de soja loueront une partie de ces pâturages aux fermiers.
Les Chinois financeront, avec des prêts très avantageux, l'achat de moissonneuses performantes. Ces machines peuvent coûter jusqu'à 250 000 euros. « En acheter une dans des conditions favorables, c'est une occasion à saisir », explique Gilbran Campos Alves, un agriculteur rencontré dans les locaux du syndicat rural d'Uruaçu. « Cela va doper notre productivité », renchérit le président du syndicat, Alarico Fernandes Junior.
La compagnie chinoise veut aussi intervenir dans le transport de la production. Uruaçu l'intéresse du fait de sa position clé sur la longue « Voie ferrée nord-sud » (FNS) en phase d'extension. Le soja sera acheminé par wagons jusqu'au port d'Itaqui, près de Sao Luis, la capitale de l'Etat du Maranhao, au nord du Brésil, où les Chinois ont l'intention d'investir. Le délai d'écoulement du soja sera ramené à dix jours, et les coûts de production réduits par rapport à l'actuelle voie d'exportation vers le sud, jusqu'au port de Santos.
En avril, la compagnie Chongqing Grains a signé, dans l'Etat de Bahia, un autre accord direct avec des producteurs locaux, prévoyant la construction d'une usine, de silos, et d'un « port à sec », terminal terrestre relié aux voies de communication régionales. Montant du contrat : 1,8 milliard d'euros.
La Chine a initié ce genre d'accord direct depuis qu'elle sait ne plus pouvoir acheter de terres au Brésil. « Hopefull ne nous a fait aucune offre d'achat », souligne M. Fernandes Junior. Et pour cause, une telle proposition aurait forcément été rejetée.
En août 2010, le procureur général du Brésil, Luis Inacio Adams, a « réinterprété », en la durcissant, une loi de 1971 sur l'achat de terres par des étrangers, dont une brèche avait permis à ces derniers, Chinois inclus, de la contourner. En 2007, la filiale brésilienne d'une entreprise chinoise (Zhejiang Fu Di) avait acquis 16 000 hectares dans l'Etat du Tocantins, et quelques autres milliers au sud du pays. Le retour à une application stricte du texte interdit aux compagnies étrangères d'acheter plus de 5 000 hectares de terres agricoles. Selon l'Institut national de la colonisation et de la réforme agraire (Incra), plus de 4 millions d'hectares étaient passés en 2008 (dernier chiffre connu) dans des mains étrangères. Un chiffre qui reste modeste pour un pays de la taille du Brésil.
Les Chinois mangent de plus en plus de viande. Le tourteau de soja, sous-produit de la trituration des graines, est la principale source de protéines dans l'alimentation des porcs et des volailles. L'appétit de la Chine pour le soja ne cessera donc de s'attiser. Selon le département américain de l'agriculture, elle devrait accroître de plus de 50 % ses importations de soja d'ici à 2020.
Premier partenaire commercial du Brésil, la Chine lui achète surtout trois matières premières, le minerai de fer, le pétrole et le soja, qui représente un quart de ses importations. Les Brésiliens s'inquiètent de ce déséquilibre des échanges, de type « néocolonial », où Pékin ne leur vend, en retour, que des produits industrialisés.
Ce risque accru de dépendance envers la Chine explique, parmi d'autres raisons, que la présidente Dilma Rousseff cherche à se rapprocher des Etats-Unis, qui furent, jusqu'à il y a peu, le premier partenaire du Brésil. Mais, pour ce dernier, la voie est étroite. « La Chine est à la fois une chance et une menace, résume Sergio Amaral, président du conseil patronal Brésil-Chine. Nous devrons être précautionneux, sans devenir protectionnistes.
Jean-Pierre Langellier
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