Le Monde - Environnement & Sciences, mardi 14 juin 2011, p. 10
Lorsque les villes de la province du Zhejiang se sont spécialisées chacune dans une industrie, Wenzhou a pris les chaussures. Taizhou a fait un choix plus malheureux en se focalisant sur le traitement des déchets, industriels et électroménagers tout d'abord, puis électroniques avec l'avènement de l'ordinateur. Une erreur dont elle paye aujourd'hui le prix écologique et sanitaire. Selon certaines estimations, plus de 2 millions de tonnes de " e-déchets " venus de Chine et du monde entier sont démantelés chaque année autour de cette ville, située à 400 kilomètres au sud de Shanghaï. L'activité ferait vivre 60 000 personnes.
Une étude réalisée par des chercheurs chinois et publiée mardi 31 mai dans la revue Environmental Research Letters, éditée par l'Institut de physique de Londres, apporte une nouvelle preuve des dangers du démantèlement de ces déchets électroniques. L'émission de polluants tels que des métaux lourds (plomb, cadmium, arsenic, etc.) lors du procédé expose à la contamination les sols, les cours d'eau environnants mais également l'air ambiant.
Les résultats de l'étude réalisée à Taizhou montrent que l'air inhalé provoque dans certains cas " des réactions inflammatoires et un stress oxydant qui peuvent endommager l'ADN et être à l'origine de cancers ", a expliqué l'un des auteurs de l'étude, le professeur Yang Fangxing, de l'université du Zhejiang. Le risque de maladies cardio-vasculaires est également évoqué.
" Les habitants de la zone doivent essayer de rester le moins possible au contact des polluantset les procédés utilisés par les industriels du recyclage être encadrés ", réclame le professeur Yang.
Le gouvernement de la province du Zhejiang a annoncé, lundi 30 mai, l'arrestation de 74 personnes au terme d'une opération de deux mois de lutte contre la pollution liée à ces unités de démantèlement, ainsi qu'aux usines de batteries électriques au plomb. Des violations des normes environnementales ont été constatées dans 148 entreprises.
L'opération a donné un coup de frein au recyclage sauvage, mais n'y a pas mis un terme. Dans le petit atelier de démantèlement d'ordinateurs et d'appareils électroménagers de M. Hu - qui, par prudence, préfère ne pas donner son nom intégralement -, l'activité poursuit son rythme. Les ouvriers démontent et trient à même le sol, sans masques, entre des piles de claviers, de cartes mères d'ordinateurs et les pièces détachées de tous les appareils électriques qui caractérisent le foyer moderne. " Les ordinateurs, dit-il, viennentde Chine, du Japon mais aussi d'Europe. "
Il a entendu parler d'un ouvrier empoisonné dans l'une des plus importantes usines, où l'on traite aussi bien l'écran d'ordinateur que le moteur de bateau. Mais à part cela, " l'information sur les dangers de mon métier reste quasi inexistante ", confie le jeune homme, arrivé voici un an de la province du Jiangxi pour créer sa petite entreprise avec un associé.
Des cartes-mères au wok
Les contrôles ont simplement incité les recycleurs à se faire plus discrets. Les monceaux de vieux ordinateurs, téléviseurs et autres qui ont fait le succès économique de Taizhou sont un peu moins visibles. Le manque de volonté des entrepreneurs dont l'enrichissement repose sur la pérennité de cette industrie polluante et le peu d'information fournie aux ouvriers plutôt préoccupés par la survie de leurs emplois sont un obstacle à un réel changement.
A quelques rues de l'atelier de M. Hu, des travailleurs s'affairent autour d'un camion surchargé de paille d'aluminium récupérée des mécanismes de climatiseurs. Deux d'entre eux ont grimpé au sommet à l'aide d'une échelle en bambou afin de tasser et si possible de charger l'engin un peu plus encore. M. Lou, 45 ans, aide aussi. Il sait bien que le gouvernement s'attaque ces temps-ci à l'étape du brûlage lors du recyclage, une source de pollution majeure à Taizhou, où il était encore commun jusqu'à peu de faire frire des cartes mères au wok afin d'en éliminer le plastique et de récupérer le cuivre.
" La pollution, c'est d'abord une question de catégories, professe-t-il, philosophe. Le gouvernement peut décider que faire fondre cet aluminium pollue mais moi, je ne le pense pas. " Grâce au brûlage de cette cargaison dans un four, dont M. Lou préfère garder l'emplacement secret, les mécanismes des climatiseurs démantelés deviendront peut-être des béquilles de motos.
Dans les petites unités de démantèlement de Taizhou, le " recyclage " ne répond à aucune norme précise. Et personne ne croit vraiment que cela pourrait changer. Les campagnes lancées par les autorités ébranlent temporairement l'activité. Mais il suffit de patienter. " De vieux ordinateurs en provenance de France ? Impossible d'en trouver ces temps-ci, mais essayez de revenir dans quelques mois ", suggère une ouvrière, d'un air entendu.
Harold Thibault
Le volume des ordures explose en Chine, leur traitement ne suit pas
Les autorités chinoises ne doivent pas seulement s'adapter aux nouveaux modes de consommation des ménages, elles doivent aussi faire face aux déchets qu'ils engendrent. Alors qu'en 1980 les municipalités chinoises collectaient 30 millions de tonnes d'ordures en une année, l'Association de l'industrie pour la protection de l'environnement estime que 238 millions de tonnes de déchets ménagers ont été produits dans le pays en 2009. Or la capacité des infrastructures de traitement n'a pas suivi et se limite pour l'instant à 112 millions de tonnes par année.
Dans son douzième plan quinquennal, adopté en mars 2011, la Chine s'est fixé pour objectif d'établir un " système de collecte et de recyclage des ordures triées ". Le gouvernement central s'est engagé à traiter 80 % des déchets ménagers d'ici à 2015. Dans les faits, la tâche se traduit par l'installation massive d'incinérateurs, plus efficaces mais plus onéreux que les décharges d'enfouissement. Leur construction se heurte fréquemment à l'opposition de populations locales inquiètes des émanations toxiques et des odeurs.
Manifestations
Le dernier conflit en date s'est déroulé à Wuxi, dans la province du Jiangsu, à l'est du pays, où des habitants ont monté des tentes devant un incinérateur dont la construction fut lancée en 2007. Son démarrage, d'abord le 13 janvier puis au mois d'avril pour une série de tests, a suscité des manifestations de résidents et de paysans inquiets des retombées de dioxine sur leurs champs. Sur le site Renren, un blogueur décrit des scènes de confrontation avec des policiers, tandis que des photos de manifestants en sang circulent sur le Web.
Un autre défi majeur est la gestion des déchets industriels et des gravats des chantiers dans un pays où l'immobilier est en pleine expansion. Avec deux milliards de mètres carrés bâtis chaque année, la Chine consomme 40 % du ciment et des métaux de construction de la planète. Zhang Renyu, le directeur de l'Institut des matériaux d'ingénierie de l'Académie chinoise de recherches sur la construction, expliquait récemment au Global Times qu'au moins 500 tonnes de gravats sont produites pour 10 000 mètres carrés construits.
Or si les gouvernements locaux désignent des décharges et usines de traitement, celles-ci sont trop éloignées des centres urbains au goût des promoteurs et de leurs cocontractants, qui préfèrent économiser sur le coût du transport. Zhang Renyu estime ainsi que le taux de recyclage des déchets de construction ne dépasse pas 20 % environ dans les grandes villes chinoises.
PHOTO - Guiya, e-dépotoir
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