jeudi 2 juin 2011

Téléphonie : où s'arrêtera le déclin de Nokia ? - Laurence Girard

Le Monde - Economie, jeudi 2 juin 2011, p. 14

L'action du groupe finlandais s'est effondrée, mardi 31 mai, après l'annonce d'un nouvel avertissement sur résultat

Pour le géant finlandais des téléphones mobiles Nokia, on parlera désormais de ce mardi 31 mai 2011 comme d'un mardi noir. Ce jour où l'action a plongé de 17,7 % à la bourse d'Helsinki, son niveau le plus bas depuis 1998. Ce cauchemar financier s'est joué dans l'après-midi après la diffusion d'un communiqué annonçant un nouvel avertissement sur résultat.

Stephen Elop, le nouveau patron canadien de Nokia et ancien de Microsoft, a déclaré qu'il dégradait ses prévisions de résultat pour le deuxième trimestre de façon « substantielle » et n'était plus en mesure de donner des prévisions annuelles, en raison de ventes décevantes et d'un marché très dur.

« En raison du changement inattendu de prévisions au deuxième trimestre, Nokia pense qu'il n'est plus approprié de donner des objectifs annuels pour 2011. » Cette annonce résonne comme une véritable Berezina pour le constructeur Finlandais.

En avril pourtant, Nokia avait annoncé des prévisions annuelles. « Nokia devrait savoir un peu mieux de quoi il parle. On ne donne pas de prévisions à long terme qui ne durent que cinq semaines ! Cet avertissement sur bénéfice est le plus stupide que pouvait faire Nokia, critique fermement Helena Nordman-Knutsson, spécialiste des télécoms chez le fonds Öhman Fondskommission. Le problème pour Nokia, avec cet avertissement, est que l'on va commencer à mettre en doute tout ce qu'ils font. Et du coup, on va aussi se demander ce qui va se passer avec Microsoft. »

Depuis l'annonce de son partenariat avec Microsoft, Nokia était sous une forte pression. « Quand ils l'ont annoncée, les détails de cette collaboration n'étaient même pas au point », explique Mme Nordman-Knutsson. L'accord n'a été rédigé qu'un mois plus tard. Cela fait amateur. Ils agissent dans l'urgence, comme s'ils avaient peur de perdre encore plus. »

En avril, Stephen Elop avait ainsi annoncé l'abandon progressif de la plate-forme logicielle Symbian au profit de Windows Phone, celle de Microsoft. Mais les premiers téléphones de l'ère Nokia-Microsoft ne sont pas attendus avant fin 2011.

Cette période d'entre-deux a contribué à fragiliser encore le finlandais, dont la suprématie semble destinée à décroître de façon irréversible. Nokia est encore numéro un mondial du marché des téléphones mobiles et des smartphones en volume. Au premier trimestre 2011, il s'est vu dépasser en valeur pour la première fois par Apple, alors même que ses parts de marché mondiales continuent à s'éroder, frôlant la barre des 25 % selon Gartner.

Plus grave, en Europe occidentale, selon une étude du cabinet IDC, Samsung Electronics a ravi à Nokia la place de premier fabricant de téléphones mobiles, détrônant pour la première fois le finlandais sur son marché régional.

La citadelle Nokia est attaquée de toute part. L'irruption d'Apple sur le marché des smartphones en 2007 a bousculé le marché. Attaqué sur le haut de gamme, le finlandais a réagi en déployant ses efforts sur des produits moins chers, destinés en particulier à la Chine ou aux pays en développement. Mais ses positions sont remises en cause par la montée en puissance de la plate-forme Android de Google adoptée par de nombreux fabricants que ce soit Samsung, HTC ou Motorola.

« La position de numéro un mondial de Nokia n'a jamais été garantie. Des constructeurs comme Siemens et Motorola ont disparu. Nokia ne va pas disparaître, mais il ne va plus rester aussi gros et va continuer à perdre des parts de marché et à licencier. La question est : jusqu'à quel niveau ? », s'interroge Martin Nilsson, analyste à la banque Handelsbanken.

En avril, Nokia avait dévoilé un plan de 7 000 suppressions de postes : 4 000 licenciements et 3 000 personnes en charge du logiciel Symbian transférées auprès de la société de service Accenture.

La chute de Nokia est d'autant plus dramatique que le groupe finlandais a connu des succès inégalés en Finlande. En 2000, sa valeur boursière était deux fois celle de toutes les autres compagnies finlandaises à la bourse d'Helsinki. Nokia a perdu 90 % de sa valeur boursière depuis cette époque.

« Je n'oserai pas dire que c'est le début de la fin, mais malheureusement pour Nokia, ce n'est sûrement pas le début de quelque chose de nouveau », regrette Mme Nordman-Knutsson, qui estimait pourtant le mois dernier que Nokia reprenait les choses en main.

En réaction à la pression concurrentielle renforcée, Nokia a annoncé qu'il allait revoir les prix de ses mobiles à la baisse. « C'est particulièrement le cas dans les marchés où les opérateurs contrôlent les ventes et ne souhaitent pas prendre de risque en subventionnant des produits Nokia », estime Carolina Milanesi, analyste du cabinet Gartner. Une perspective qui pèse sur les marges. Nokia a d'ailleurs précisé que sa marge opérationnelle serait « substantiellement » inférieure aux 6 à 9 % initialement prévus.

Arrivé en septembre 2010, M. Elop est sous forte pression. Il lui faut prouver que l'alliance avec Microsoft peut inverser le cours de l'histoire. Le géant du logiciel a aujourd'hui bien du mal à pénétrer le marché du mobile. Son logiciel n'équipe que 4 % des mobiles vendus en 2010. Il a récemment fait un pari sur le marché des télécommunications en rachetant la société de téléphonie sur Internet Skype pour 8,5 milliards de dollars.

Nokia et Microsoft doivent bâtir une offre de smartphones performante mais aussi reprendre la main sur le marché des applications mobiles. Ce marché, en forte croissance, estimé à 2 milliards de dollars en 2010 par iSupply, est dominé par Apple, talonné par Google. Avec son Ovi Store, Nokia n'est qu'en quatrième position. Pour Mme Milanesi , « l'avertissement d'aujourd'hui confirme que les choses vont empirer pour Nokia avant de s'améliorer ».

Laurence Girard et Olivier Truc (à Stockholm)

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