Le Monde - Rendez-vous, mardi 7 juin 2011, p. 25La baie d'Halong, l'un des joyaux du tourisme vietnamien qui aligne ses pains de sucre d'une irréelle splendeur en mer de Chine du Sud, est-elle en train de devenir une zone à risque pour les voyageurs ? En moins de deux ans, trois bateaux en piteux état dont les propriétaires proposent des " croisières " bon marché, ont coulé au large de cette baie classée dans la liste du Patrimoine mondial de l'Unesco.
A Hanoï, la communauté étrangère et les diplomates s'inquiètent de la fréquence de ces naufrages au cours desquels, en tout, dix-sept voyageurs étrangers ont péri. " Nous sommes profondément préoccupés ", indique au Monde l'ambassade de France au Vietnam.
Le 24 septembre 2009, un premier bateau équipé de couchettes avait sombré avec trente et une personnes à bord. Cinq touristes s'étaient noyés, dont un Français, deux Britanniques et deux Vietnamiens. Version officielle des autorités provinciales : " une tornade " aurait été la cause du naufrage. Mais selon certains rescapés, il se serait agi d'une " simple averse ". Ce qui donne une idée de l'état de la jonque...
Le 17 février 2011, peu avant 5 heures du matin, un autre bateau appartenant au même propriétaire - il avait pris la précaution de changer le nom de sa compagnie depuis la précédente tragédie - sombre à nouveau en baie d'Halong. L'accident fait douze morts parmi le groupe de touristes endormis, dont une jeune Française, Laëtitia, une orthophoniste de 27 ans, fille du journaliste du Monde Michel Noblecourt, un Britannique, deux Russes, deux Américains, un Japonais, deux Suédois, un Suisse, un Australien et un Vietnamien. L'enquête diligentée par les autorités vietnamiennes a conclu à une succession d'erreurs, - vannes non refermées, absences de rondes de nuit... Des poursuites judiciaires, dont une plainte contre X pour " homicide involontaire ", sont en cours. Le capitaine a été arrêté ainsi qu'un mécanicien.
Les autorités locales ont ordonné l'inspection de 135 " navires de croisière " voguant dans la baie. Les vérifications ont montré que seule une trentaine de bateaux présentaient des normes de sécurité suffisantes pour passer la nuit en mer. Le " comité populaire " -d'Halong a fixé à juin la date limite pour que les propriétaires mettent leurs bateaux en conformité avec les règles de sécurité adéquates.
Mais le 8 mai, un nouveau naufrage s'est produit, sans toutefois faire de victime : les vingt-huit Français, des retraités, ont pu être évacués avant que le bateau ne sombre car, fort heureusement, l'accident a eu lieu de jour.
La porte-parole du ministère vietnamien des affaires étrangères, Nguyen Phuong Nga, a assuré que " des mesures très énergiques ont été prises pour enquêter et reconstituer " ce qui s'est passé afin d'" éviter que ce même genre d'événements se reproduise à l'avenir ".
En ce qui concerne le dernier incident, les versions diffèrent entre les Vietnamiens et les touristes : selon Dang Huy Hau, le vice-président de la province de Quang Ninh, dont Halong est le chef-lieu, le bateau a sombré après une collision avec un autre esquif. Mais une touriste française présente sur le bateau, Josette Farret, citée par l'Agence France-Presse, affirme qu'il n'y a " absolument pas eu de collision ".
"Jeter le doute "
L'une des explications à la répétition de ces drames, analyse un observateur français à Hanoï, est le décalage existant entre l'explosion du tourisme au Vietnam et le manque de réglementations appropriées ainsi que la formation insuffisante des personnels.
Le dernier incident renouvelle les inquiétudes de l'ambassade de France : " Ce nouveau naufrage est de nature à jeter le doute sur la qualité des contrôles entrepris, ces derniers mois, par les autorités vietnamiennes. "
Une difficulté supplémentaire : l'imposition des réglementations en matière de sécurité est du ressort des autorités provinciales et non nationales. " Si ces autorités ne prennent pas des mesures pour réorganiser le secteur du tourisme et si les manquements ne sont pas sanctionnés, elles risquent de tuer la poule aux oeufs d'or ", fait-on savoir à l'ambassade de France à Hanoï.
De son côté, le ministère des affaires étrangères a renforcé la mise en garde figurant sur son site Internet, à la rubrique " Conseil aux voyageurs ", pour les touristes désireux de naviguer en baie d'Halong.
Bruno Philip
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