L'Express, no. 3127 - économiE environnement, mercredi 8 juin 2011, p. 72-73
En multipliant les partenariats avec les entreprises, l'antenne française de l'ONG mondiale assure faire progresser la cause écolo. Mais cette stratégie suscite de plus en plus de critiques.
Quel est le rapport entre un charmant panda et un vulgaire sac de ciment ? A première vue, aucun. Le premier sert d'emblème à la plus puissante association environnementale du monde, tandis que le second est accusé par les militants écologistes de favoriser le dérèglement climatique. En signant un partenariat avec Lafarge, en 2010, le WWF France a fini par accepter d'unir ces deux images a priori antinomiques. Dix ans après sa maison mère, qui, elle, n'avait pas eu les mêmes réticences. Aujourd'hui, l'élève pourrait bien dépasser le maître : l'antenne tricolore de l'ONG environnementale multiplie les partenariats stratégiques avec les entreprises. Elles sont désormais 14, et non des moindres - Carrefour, Castorama, Crédit agricole, Orange ou encore Pierre & Vacances -, à avoir conclu un accord avec le WWF France. En échange d'une somme d'argent très raisonnable - 400 000 euros par an pour le haut de la fourchette -, ces sociétés bénéficient de l'expertise et des conseils de la fondation pour réaliser les progrès auxquels elles se sont engagées. Surtout, elles profitent de la notoriété du célèbre panda, des 4,8 millions d'adhérents du WWF dans le monde et de l'image de la sympathique Isabelle Autissier, présidente de l'organisation en France. Un bon point marketing.
C'est en 1998 que le WWF France a commencé à prospecter du côté du CAC 40. "La seule façon de faire avancer les choses, c'est de parler avec ceux qui détiennent le pouvoir", explique Serge Orru, directeur général depuis 2006. Cet ancien pro du tourisme, fils de cheminot et passionné d'écologie, assume parfaitement la démarche. L'année dernière, grâce à ces partenariats, la fondation a engrangé 3 millions d'euros. Auxquels se sont ajoutés 1,6 million au titre des contrats de licences : une quarantaine d'entreprises ont ainsi le droit d'accoler le panda, qui sur un tee-shirt, qui sur un lave-linge, une imprimante ou une poêle ! Tout compris, cette manne représente 29 % du budget de la fondation... laquelle s'est engagée à ne pas dépasser le seuil de 30 % alimentés par les entreprises.
Des accusations de "green-washing"
Les partenariats produisent des résultats : Carrefour a retiré l'huile de palme sur un tiers de ses produits, arrêté la commercialisation du thon rouge et renoncé au bois non certifié pour le mobilier de jardin. Castorama a réduit de moitié son linéaire d'herbicides et Orange propose désormais à tous ses clients la facture dématérialisée et a allongé la durée de vie de ses mobiles...
Mais, depuis quelque temps, l'histoire d'amour entre l'ONG et les multinationales dérange. Surtout dans la sphère écologiste. Certaines associations dénoncent une "indécente proximité" avec les milieux économiques et politiques et accusent le panda de "green-washing". En clair, il permettrait aux vilains pollueurs de verdir leur image à peu de frais.
"Une fois qu'elles ont le panda, les entreprises n'ont plus aucun intérêt à faire des efforts pour l'environnement, déplore Sylvain Angerand, des Amis de la Terre. Nous sommes alors complètement bloqués dans nos actions et nos moyens de pression." Il y a quelques années, l'organisation écologiste avait lancé une campagne "Banques françaises, épargnez le climat", qui épinglait le Crédit agricole. Réponse de la banque ? Plutôt que de s'efforcer de coller au cahier des charges proposé par l'association, elle signait un partenariat avec le WWF.
Forte de l'emblème du panda, que le WWF assure délivrer avec beaucoup de parcimonie, l'entreprise peut chercher à se protéger contre les risques d'une mauvaise publicité. "Le WWF est un critical friend", résume Kareen Rispal, responsable du développement durable chez Lafarge. L'ONG alerte et critique, mais jamais en public. Au point de créer quelques tensions parmi les 93 salariés de la fondation, notamment entre les experts scientifiques, chargés des missions environnementales, et les responsables de partenariats, soucieux de préserver le client. "Nous ne sommes pas associés au processus de sélection en amont, explique un ancien expert. Résultat, il nous arrivait parfois de devoir travailler avec des entreprises pour lesquelles l'évolution des pratiques nous semblait impossible." Le WWF, qui se défend d'avoir jamais sombré dans la complaisance, se réserve le droit d'évincer ses partenaires, comme il l'a fait avec la Caisse d'épargne en 2009 ou GDF quand le gazier s'est rapproché de Suez. Et comme il pourrait bien le faire demain avec Pierre & Vacances.
"Le problème du WWF est qu'il dresse un constat dramatique de la situation sans jamais remettre en question l'origine du mal, c'est-à-dire le modèle des entreprises elles-mêmes", regrette Fabrice Nicolino, auteur de Qui a tué l'écologie ? (éd. LLL), un pamphlet contre l'action des associations écologistes. Depuis qu'il a signé avec l'ONG, le groupe Lafarge a réduit de 21,7 % ses émissions de CO2 par tonne de ciment produite. Mais il a été récemment accusé par le Réseau Action Climat d'Europe de financer des sénateurs américains climato-sceptiques. "Et le WWF ne trouve rien à y redire !" s'offusque le journaliste militant.
Là n'est pas la seule contradiction. Aujourd'hui, l'organisation s'interdit de discuter avec les pétroliers, les nucléocrates et a refusé un partenariat à Air France. Mais elle prête volontiers son panda à Aéroport de Paris, pourtant dans le même secteur. En 2009, alors que le monde traverse une crise historique, elle soutient le premier Salon du luxe et du développement durable. "Dès l'origine, le WWF s'est fondu dans les milieux capitalistes. Il ne s'est jamais opposé au modèle productiviste ou à la société de consommation, car sa mission première a toujours été la conservation de la nature", explique Denis Chartier, universitaire et auteur d'une thèse sur le sujet (voir l'encadré). Aux Etats-Unis, notamment, l'association siège dans des tables rondes sur le soja "responsable" aux côtés de firmes comme le géant des semences Monsanto.
180 000 donateurs dans l'Hexagone
Heureusement pour le WWF français, les attaques restent relativement circonscrites au cercle des écolos purs et durs. En l'espace de cinq ans, il a même recruté 50 000 donateurs supplémentaires et en compte désormais 180 000 dans l'Hexagone. Récemment, un rapport parlementaire sur la transparence du financement des organisations environ-nementales reprochait à la fondation Hulot ses liens troubles avec les entreprises, mais louait les partenariats du WWF. "Qui irait critiquer une ONG prête à la conciliation permanente ?" conclut Sylvain Angerand. "On ne reproche pas à la CGT de négocier avec le gouvernement", réplique, courroucé, Serge Orru. Le gentil panda sait aussi sortir ses griffes.
Encadré(s) :
Protéger la nature ou la planète ?
J. L. B.
En 1961, Sir Julian Huxley, un riche chasseur britannique soucieux de pouvoir laisser libre cours à sa passion, crée le World Wildlife Fund (Fonds mondial pour la nature). Son but ? Protéger la biodiversité et les systèmes naturels. Depuis cinquante ans, l'association est contrôlée non pas par des écologistes, mais par des dirigeants d'entreprise ou des personnalités issues de familles royales. Grâce à l'éminence de ses membres, le WWF participe aux réseaux politiques, économiques et internationaux, jusqu'à l'OMC ! Mais, à l'heure où certains scientifiques ne donnent pas plus de cent ans à la planète, l'idéologie "conservationniste" se voit contestée. Le WWF est en effet accusé d'avoir pour seul dessein le rachat des forêts à haute diversité biologique, pour y développer des parcs naturels sans se préoccuper du sort des populations locales. Il est aussi suspecté de ne pas partager les principaux combats écologiques, contre les OGM ou le nucléaire, ou encore de vanter les mérites des agrocarburants, pourtant jugés plus néfastes pour le climat que les combustibles fossiles.
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