mardi 30 août 2011

ANALYSE - Pourquoi le Japon désespère de sa classe politique - Yann Rousseau


Les Echos, no. 21005 - Idées, mardi 30 août 2011, p. 10

Le Japon va assister ce matin à la nomination de son sixième Premier ministre en à peine cinq ans. Et ses jours sont déjà comptés. Hier, Yoshihiko Noda, le ministre des Finances sortant, a été élu à la présidence du parti majoritaire, le Parti démocrate du Japon (DPJ), et devrait être nommé aujourd'hui à la tête du gouvernement par la Chambre des représentants, que sa formation contrôle, en remplacement de Naoto Kan.

Mal connu d'un grand public qui aurait, selon les sondages, voulu voir le DPJ choisir un leader plus charismatique, Yoshihiko Noda aura su séduire les courants clefs de sa formation de centre gauche, aujourd'hui extrêmement divisée. Une large partie de la brève campagne des candidats à la succession de Naoto Kan s'est d'ailleurs concentrée, au grand dam de l'opinion, sur des questions de cuisine interne à la formation et non sur les grands problèmes auxquels est confronté le Japon.

Six mois après le séisme et le tsunami du 11 mars, l'Archipel est pourtant en proie au doute et la population attend un sursaut de ses leaders pour accélérer, à court terme, une sortie des crises nucléaire et humanitaire avant de tenter d'extirper, à plus longue échéance, la nation de ses vingt années de malaise économique et social.

Dans la centrale de Fukushima Daiichi, les travaux de reprise en main des 4 réacteurs détruits par les gigantesques vagues ont pris du retard et les experts prédisent des dizaines d'années d'un travail périlleux sur le site. Les dizaines de milliers de personnes contraintes d'abandonner leurs maisons pour fuir la radioactivité n'ont que peu de certitudes sur leur avenir et l'amateurisme des procédures de contrôle des productions agricoles dans les zones proches de la centrale laisse craindre, dans les prochains mois, de nouvelles affaires de nourriture contaminée.

Sur la côte dévastée du Tohoku, les habitants se plaignent aussi de la lenteur de la reconstruction et de l'apparente incapacité du gouvernement à dessiner, six mois après la catastrophe, un avenir économique à leur région.

Plus encore que les autres grands pays développés, le Japon croule sous les dettes. La semaine dernière, l'agence Moody's a abaissé d'un cran la note de crédit du pays en expliquant sa décision par l'envolée de la dette nippone depuis 2009 et l'incapacité du pays à se doter d'une stratégie économique efficace à cause de son instabilité politique. Selon les projections du FMI, la dette publique japonaise devrait représenter 229 % du produit intérieur brut nippon d'ici à la fin de l'année. Si le gouvernement écoule encore très facilement ses obligations à des acheteurs qui restent à 95 % japonais, plusieurs économistes du pays commencent à s'alarmer de l'appétit futur de ses investisseurs locaux pour cette dette de moins en moins rentable. Ils sont d'autant plus inquiets que cette remise en cause programmée de l'attractivité des bons du Trésor nippon risque de coïncider avec la poussée des besoins de dépenses sociales lié au vieillissement rapide de la population.

Dans ce contexte, les grands partis affirment tous vouloir enrayer la déflation et réveiller la croissance domestique, mais ils se heurtent depuis des mois à l'inexorable envolée du yen, qui alimente, en partie, la baisse des prix (du gaz et des produits pétroliers en particulier) et fait souffrir les grands exportateurs qui portent l'activité dans l'Archipel. En septembre 2010 puis à deux reprises en 2011, le ministère des Finances, alors dirigé par Yoshihiko Noda, a bien essayé d'intervenir sur les marchés en achetant massivement du billet vert pour limiter l'appréciation de leur devise, mais leurs tentatives n'ont eu que des effets limités. Un dollar ne valait ainsi plus, hier soir, que 76 yens.

Pour se redresser, le Japon aurait besoin d'interventions et de réformes beaucoup plus audacieuses. Il doit notamment oser revoir en profondeur sa fiscalité pour dégager de nouvelles sources de revenus et probablement augmenter certains impôts, comme la TVA, qui est aujourd'hui bloquée à 5 %. Le pays devrait envisager d'ouvrir son marché du travail aux étrangers et accepter plus ouvertement la concurrence étrangère sur son territoire dans le cadre d'accords commerciaux bilatéraux. Son positionnement vis-à-vis de la Chine et son rapport aux Etats-Unis doivent être aussi repensés. Tokyo ne pourra pas non plus éviter une réforme de son organisation institutionnelle donnant, en l'état, un pouvoir considérable à une Chambre des conseillers, qui, lorsqu'elle est contrôlée par l'opposition comme actuellement, peut bloquer systématiquement le travail de l'exécutif et les textes de la Chambre des représentants. Les tensions permanentes entre une petite élite de hauts fonctionnaires et les élus doivent aussi être questionnées.

Toutes ces thématiques brûlantes avaient été évoquées il y a quatorze mois lorsque Naoto Kan, le précédent Premier ministre, avait pris le pouvoir. L'ancien militant, qui avait osé défier par le passé certaines des plus puissantes administrations du pays, avait promis une « rupture ». Elle n'aura pas eu lieu. Ses erreurs de communication, les manoeuvres des lobbies et la réactivation des guérillas au sein du parti majoritaire auront eu raison des promesses de grand soir. Au lendemain du 11 mars, quelques observateurs ont un temps estimé que le choc allait contraindre le pays à revoir certaines de ses pratiques. Ils ont vite déchanté.

Hier soir, Yoshihiko Noda a poliment appelé à la fin des querelles partisanes et souhaité une forme d'unité nationale pour relancer le pays. Ses opposants du LDP n'ont pour l'instant pas réagi. Mais, s'ils venaient à accepter un dialogue, ils ne manqueraient pas de contraindre le DPJ à abandonner ses projets de réforme les plus ambitieux. Au sein même du DPJ, la fidélité à la plate-forme électorale de 2009 ne semble pas être la principale obsession. Les factions de la formation dont les candidats ont été défaits hier ont déjà lancé un nouveau compte à rebours. Ils savent que, en septembre 2012, la présidence du parti sera de nouveau remise en jeu et qu'un énième Premier ministre devra être désigné.

Cette analyse est la deuxième de notre série de rentrée consacrée à la situation économique et politique dans sept grands pays.

PHOTO - Japan's Finance Minister Yoshihiko Noda stands up as he is chosen as the party's new leader while the party lawmakers clap their hands during Japan's ruling Democratic Party of Japan leadership vote in Tokyo August 29, 2011. Noda will become Japan's next prime minister after defeating Trade Minister Banri Kaieda in the ruling party leadership run-off vote on Monday.

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