Le Monde - Economie, mercredi 3 août 2011, p. 12
Confronté à la hausse rapide des salaires ouvriers, Foxconn, le géant mondial de la sous-traitance en électronique, investit dans l'automatisation. Son patron, Terry Gou, fera installer 300 000 machines sur ses chaînes en 2012 et 1 million en trois ans pour remplacer 500 000 employés. M. Gou l'a annoncé le 29 juillet alors qu'il s'exprimait devant 20 000 ouvriers chinois de son groupe à l'occasion d'une " célébration des employés ", un événement créé pour leur redonner motivation professionnelle et joie de vivre.
Le sous-traitant est le premier employeur privé de Chine et son fondateur taïwanais veut " faire grimper ses travailleurs, un peu plus d'un million, plus haut sur la chaîne de valeur ajoutée, au-delà du travail industriel de base ", selon l'entreprise. Foxconn précise qu'il s'agit de leur permettre de se focaliser davantage sur l'innovation et la recherche et développement.
Cette évolution, si elle se réalise, illustre la quête d'alternatives par les entreprises ayant fondé leur réussite sur une main-d'oeuvre chinoise peu onéreuse et qui doivent désormais s'adapter à la hausse des salaires.
Le groupe, qui assemble l'iPad, les téléphones d'Apple et ceux de Nokia et produit pour des grandes marques de l'informatique telles que Dell, a été l'un des premiers à devoir augmenter le salaire de ses ouvriers au printemps 2010, alors qu'il était confronté à une vague de suicides dans son gigantesque complexe de Longhua, à Shenzhen, où plus de 300 000 employés travaillent à la chaîne et vivent en dortoir. Depuis, plusieurs grèves ont eu lieu, notamment dans les ateliers d'Honda. La hausse du coût de la main-d'oeuvre chinoise s'est généralisée, le pays est entré dans une phase inflationniste.
Le salaire de base d'un salarié de Foxconn est passé de 900 yuans (97 euros) en mai 2010 à 2 000 yuans (217 euros) aujourd'hui. Les associations de protection des droits des travailleurs chinois considèrent cependant que cette amélioration ne règle pas le malaise que causent chez certains migrants, éloignés de leurs familles, l'accomplissement répétitif de tâches abrutissantes sans être autorisés à parler, et la vie dans la cité-usine.
Foxconn a aussi réagi à la hausse de ses coûts en délocalisant une partie de sa production vers le centre de la Chine, dans les provinces du Henan et du Sichuan, où le salaire minimal est plus bas d'un tiers environ à celui imposé dans les régions côtières plus développées.
" Un phénomène nouveau "
L'automatisation est une seconde alternative. " Les entreprises espèrent rogner leurs coûts de main-d'oeuvre en augmentation et c'est une opportunité pour améliorer leur productivité ", explique le professeur Yin Xingmin, spécialiste de l'organisation industrielle à l'université de Fudan, à Shanghaï. Il ajoute : " C'est un phénomène nouveau, la Chine sera un peu moins un pays de travail non qualifié au cours des prochaines années et elle gagnera en compétitivité. "
Toutefois, Liu Kaiming, directeur de l'Institut d'observation contemporaine à Shenzhen, doute que les machines remplacent rapidement l'ouvrier migrant corvéable : " Même en doublant les salaires, il faudrait dix années de paye d'un homme pour couvrir le coût d'une machine du type de celles que Foxconn achète. Donc, même si ces entreprises peinent à recruter des ouvriers, il est peu probable qu'elles changent leurs modèles de production. "
Geoffrey Crothall, de China Labour Bulletin, rappelle lui aussi que la région du delta de la rivière des Perles, poumon industriel chinois où M. Gou a fait son discours, vit toujours sur la main-d'oeuvre à bas coût. Pour le porte-parole de cette association de défense des travailleurs chinois installée à Hongkong, l'élimination des tâches humaines les plus abrutissantes sur les chaînes de production de Foxconn n'est pas une mauvaise chose. A condition qu'elle ne se fasse pas aux dépens des ouvriers. Or, lorsqu'il s'est exprimé devant ses employés pour annoncer son nouvel investissement, s'interroge M. Crothall, " Terry Gou n'a pas précisé s'il compte les replacer ailleurs, les former ou simplement les licencier, et, dans ce cas, combien de postes seront supprimés ".
Harold Thibault
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