mercredi 3 août 2011

Contrefaçon : la Chine toujours à la pointe - Émilie Torgemen


La Tribune (France), no. 4778 - L'événement, mercredi 3 août 2011, p. 2

Ce ne sont plus seulement les produits de luxe qui intéressent les contrefacteurs chinois, mais l'ensemble du territoire des grandes marques internationales, jusqu'aux concepts de distribution et de merchandising. Apple, Ikea et Dyson en font les frais.

Après avoir fait preuve d'une intense activité dans la contrefaçon de produits de luxe, la Chine explore de nouveaux territoires en se lançant de plus en plus dans la contrefaçon des stratégies de marques, y compris la mise en scène et le mode de distribution des produits. Ainsi les cinq Apple Store de la ville de Kunming, dans le sud du pays, sont en passe de devenir les plus célèbres de la planète. Design Apple, produits Apple, vendeurs en tee-shirt frappé de la fameuse pomme, l'imitation est presque parfaite, si ce n'est la mauvaise qualité de la peinture, des escaliers et surtout l'enseigne Apple Store apposée sur la vitrine, alors que les vraies boutiques affichent simplement le logo de la marque à la pomme. Sommées de réagir, les autorités locales ont décidé de fermer une seule de ces boutiques, non parce qu'elle violait la propriété intellectuelle d'Apple mais parce qu'elle ne possédait pas la bonne licence commerciale... Le plus grand mystère règne encore sur l'origine des produits vendus dans ces boutiques, mais il ne s'agit pas systématiquement de produits contrefaits. D'ailleurs, M. Li, le manager de l'une de ces boutiques, explique candidement qu'il veut postuler au titre de revendeur officiel de la marque. Il existe un important marché gris des produits Apple en Chine. Selon le quotidien officiel " Global Times ", 400.000 iPhone ont été achetés en Chine au cours du premier semestre 2010 via des importations parallèles, comparés au 500.000 appareils vendus par China Unicom, le seul opérateur autorisé à vendre des iPhone dans le pays. Dans cette même ville de Kunming, une autre grande marque internationale fait une expérience du même genre que celle d'Apple. Un nouveau magasin de meuble de 10.000 mètres carrés, baptisé " 11 Furniture " est une copie presque parfaite d'un magasin Ikea : mêmes couleurs, même façon de mettre en scène les produits, cafétéria imitant à la perfection le style minimaliste de la marque suédoise (menu chinois tout de même...). Seule manque... l'enseigne Ikea, mais la ressemblance dans la façon dont se prononcent en chinois les noms de ces deux enseignes est frappante. Les dirigeants de cette boutique affirment qu'il ne s'agit pas de contrefaçon mais d'une réponse originale aux besoins manifestés par les clients.

Ces deux exemples illustrent une évolution intéressante du marché chinois. Les consommateurs de la classe moyenne, qui ne résident pas dans les grandes métropoles chatoyantes que sont Hong Kong, Shanghai, Canton ou Pékin, témoignent du même appétit pour les marques de luxe européennes sans y avoir accès puisque les boutiques de luxe " officielles " n'y sont pas encore présentes. Elles sont donc attirées par ces contrefaçons, d'autant que ceux qui en sont les auteurs parviennent à saisir, plus ou moins parfaitement, le sens, l'esthétique et les valeurs de ces marques. Pourtant depuis des années, les dirigeants chinois jurent la main sur le coeur qu'ils luttent contre la contrefaçon. En mai, le représentant au commerce américain, Ron Kirk, saluait les efforts chinois et notamment l'efficacité de la " campagne spéciale " lancée par le Premier ministre, Wen Jiabao, en octobre. Cette campagne, prolongée trois mois alors qu'elle devait cesser en mars, sera-t-elle efficace? Ce ne serait pas la première fois qu'après un effort important et visible le pouvoir chinois laisse vivre cette colossale industrie qu'est celle du faux. Entre octobre 2010 et juin 2011, la police chinoise a saisi pour 1,4 milliard d'euros de produits contrefaits. Aux frontières européennes, 85 % des faux saisis l'année dernière venaient de Chine. La contrefaçon n'épargne aucun secteur. Se développe ainsi une activité intense autour de la récupération, dans les restaurants, des bouteilles de grands crus et de leurs étiquettes, rachetées parfois 200 à 300 dollars pièce par des contrefacteurs qui les remplissent ensuite de vins de médiocre qualité et les revendent dans les grands restaurants à prix d'or. C'est la raison pour laquelle les grandes marques françaises de vin et de champagne détruisent systématiquement leurs bouteilles vides lors de chaque grande manifestation de relations publiques...



Imiter, c'est aussi contrefaire, s'alarme le groupe Dyson

Le célèbre fabricant d'aspirateurs vient de gagner un procès " en imitation " contre une filiale allemande du conglomérat chinois TTI.

Soulagement au siège de Dyson, le célèbre fabricant britannique d'aspirateurs " new look ". Le tribunal de commerce de Nanterre vient de reconnaître la société allemande Royal Appliance, propriétaire de la marque Dirt Devil et filiale du conglomérat chinois TTI, coupable de " concurrence déloyale et parasitaire ". Il s'agit d'une forme nouvelle de copie, tout aussi ravageuse, " l'imitation esthétique ". Les aspirateurs Dirt Devil, proposés par les circuits de distribution traditionnels, n'utilisaient pas en effet une technologie brevetée mais ses produits ressemblaient en tous poins à ceux de Dyson, y compris dans ses codes couleurs. Le tribunal a considéré que cet " ensemble d'imitations est le reflet de l'intention manifeste de Royal Appliance de provoquer la confusion chez les clients ". Et pour renforcer le trouble, Dirty Devil avait recours à la technique du " prix barré ", autrement un prix officiel relativement élevé (gage de qualité) mais systématiquement " discounté " de 50 à 60 %. En juillet, le groupe avait également réussi à contraindre un distributeur allemand sur le Web à retirer de son catalogue un modèle de ventilateur Dyson contrefait. Depuis le lancement du ventilateur sans palme en 2009, le groupe britannique a dû se battre contre 100 copies... toutes originaires de Chine.

Ce n'est pas la première fois que Dyson a maille à partir avec le groupe TTI, qui développe une stratégie de marque sur une large gamme de produits de grande consommation à destination des marchés occidentaux, mais jusqu'ici sans succès. C'est pourquoi cette condamnation, assortie d'une amende de 200.000 euros (qui peut faire l'objet d'un appel), représente une victoire pour Dyson. " La contrefaçon, sous toute des formes, prend des proportions effrayantes en Chine ", s'alarme Virginie Rescourio, " senior brand manager " chez Dyson. Plus inquiétant selon le groupe, et ce, malgré les paroles rassurantes des autorités chinoises - " la lutte contre la contrefaçon est un chantier en friche " -, la contrefaçon industrielle se professionnalise en Chine, notamment avec la technique du " reverse engineering " (étude du fonctionnement d'un produit) pour copier le moindre aspect d'une technologie brevetée. Toute la question est désormais de savoir si cette contrefaçon représente une étape du développement de la Chine ou le ressort même de son développement. E. B.



" Le luxe n'est que la partie émergée de l'iceberg. Tout ce qui marche est copié. "
Alain Cléry, Avocat spécialiste de la contrefaçon

Est-ce que la contrefaçon de produits de luxe s'accroît en Chine?

La Chine est le noeud du problème puisque 80 % des produits contrefaits viendraient de ce pays. Et, loin de se calmer, la contrefaçon ne cesse de s'amplifier. Elle représentait 10 % du commerce international en 2010, contre 5 % en 2000. C'est un peu le tonneau des Danaïdes car, quand nous réussissons à attraper des Chinois en Europe, d'autres prennent leur place, et ceci, malgré l'harmonisation des législations européennes en la matière. Les grosses sociétés, comme LVMH, ou Pernod Ricard, vont directement sur place poursuivre les acteurs locaux. Elles font malheureusement face à des pouvoirs publics encore dépassés car, culturellement, la contrefaçon n'est pas répréhensible en soi pour les Chinois. Seul compte le business et cette fabrication de faux produits en tous genres représenterait entre 15 et 30 % de l'activité industrielle du pays!

Cette contrefaçon prend-elle de nouvelles formes au fil du temps?

Nous autres, avocats, avons tous démarré il y a vingt ans sur les produits de luxe. Au début, la contrefaçon consistait à copier les logos. On se souvient du tee-shirt Lacoste avec un drôle de crocodile ou des " Luis Vitton ". Désormais, ce sont moins les griffes que les formes ou les couleurs emblématiques d'un sac, d'une montre ou d'un foulard qui sont imitées. Les droits d'auteur ou de modèle se cumulent alors avec le droit des marques. Mais le luxe n'est plus que la partie émergée de l'iceberg. À cette contrefaçon " touristique " s'ajoute une autre bien plus dangereuse, qui concerne par exemple les médicaments, les pièces détachées de voiture ou les jouets. Tout ce qui marche est copié, jusqu'aux magasins comme l'Apple Store!

Les formes de distribution évoluent donc, elles aussi?

Bien sûr. Aujourd'hui, les industriels sont focalisés sur Internet en raison de la multiplication par six des sites d'e-commerce en six ans, rien que pour la France. Ils font la chasse aux moteurs de recherche type Google et eBay avec de plus en plus de succès, comme récemment LVMH et L'Oréal. Nous sommes donc passés de la vente à la sauvette devant les Galeries Lafayette à un marché gris beaucoup plus difficile à traquer, où s'échangent faux mais aussi vrais produits. Faute de pouvoir s'approvisionner en Europe, des enseignes de grande distribution s'étaient fournis en vrais jeans de marque sur le marché gris asiatique il y a quelques années et beaucoup de belles montres ont été écoulées en 2009 sur le Web par des détaillants en excès de stock. Le problème est que beaucoup de réseaux mafieux passent de la drogue à la contrefaçon car c'est quasiment aussi rentable, très facile et bien moins risqué.

Est-ce perdu d'avance?

Non, petit à petit, les pays industrialisés réussissent à mettre des barrières. Surtout, les pays qui veulent une place sur l'échiquier politique mondial se sensibilisent à la question. Après le Japon, Taïwan est par exemple moins montré du doigt qu'avant. Même la Thaïlande et la Chine y arriveront progressivement. C'est long mais nous ne baissons pas les bras. Propos recueillis par Sophie Lécluse

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