Le Monde - A la Une, mardi 16 août 2011, p. 1
Le président chinois, Hu Jintao, a beau s'être converti au développement durable et prôner la " civilisation écologique ", la réalité a du mal à suivre. La Chine n'est pas devenue, en quelques années, l'usine du monde sans faire payer à l'environnement un prix très lourd.
Marées noires, pollution des eaux et des fleuves, déchets toxiques de toutes sortes, traitement des ordures insuffisant, industrie minière et pétrochimie peu scrupuleuses témoignent sans cesse que l'écologie ne fait pas - encore - partie des priorités. En dépit des mises en garde de l'Agence chinoise pour l'environnement, les autorités se complaisent le plus souvent dans le déni, l'inaction et la dissimulation.
La victoire que viennent de remporter les habitants de Dalian, une ville de 6 millions d'habitants dans la province de Liaoning, n'en est que plus symbolique. Dimanche 14 août, des milliers de manifestants sont descendus dans les rues pour protester contre les risques liés à un vaste complexe chimique installé à quelques kilomètres du centre-ville et qui s'est trouvé menacé, voilà quelques jours, par une violente tempête tropicale. Les autorités ont ordonné la fermeture et le déménagement de l'usine.
Ce n'est pas tout à fait une première. S'ils sont le plus souvent censurés, des centaines de conflits et de manifestations ont lieu, chaque année, dans les zones rurales pour dénoncer les risques environnementaux et sanitaires d'une industrialisation à marche forcée. Des conflits similaires atteignent désormais les grandes villes, comme à Xiamen en 2007, à Shanghaï en 2008, à Canton en 2009.
Ces protestations sont menées par une classe moyenne, certes privilégiée, mais gagnée par un sentiment d'insécurité écologique croissant et par le syndrome Nimby : " Not in my backyard " (" pas dans mon jardin "). En outre, à Dalian, comme dans d'autres situations comparables, l'exaspération des habitants contre l'indolence ou la complaisance des pouvoirs publics est désormais explicite et publique.
La collusion entre industriels et responsables politiques, la corruption qui l'accompagne sur le plan local ou national et l'impunité dont elle bénéficie le plus souvent, ont suscité une suspicion généralisée. La tragédie ferroviaire du 23 juillet, tant bien que mal étouffée par les autorités, a achevé de convaincre l'opinion publique que le système continue de privilégier les investissements et la croissance à tout prix, sans se soucier de la santé ou de la vie des citoyens.
La fermeture et le déplacement du complexe pétrochimique de Dalian soulève déjà de nombreuses questions de faisabilité et de financement. Mais ce précédent - ajouté à la prise de conscience récente, en Chine, des risques de l'industrie nucléaire, après la catastrophe japonaise de Fukushima - va rendre plus difficile les nouvelles implantations de sites industriels. L'éveil de la " Chine verte " est trop lent, sans doute, pour les défenseurs de l'environnement. Mais elle se met en marche, à l'initiative des citoyens.
En Chine, des manifestants obtiennent la fermeture d'une usine pétrochimique
Plusieurs dizaines de milliers d'habitants se sont rassemblés dimanche 14 août vers 11 heures, au centre de Dalian, une métropole industrielle du nord-est de la Chine, afin d'exprimer leur colère face aux risques de pollution liés à un gigantesque complexe pétrochimique situé à moins de 20 km du centre-ville. Les photos diffusées sur Internet montrent beaucoup de jeunes, mais aussi des familles avec des enfants. Sur une image, une fillette vêtue d'un tee-shirt jaune, juchée sur les épaules de son père, brandit une feuille de papier où est écrit " PX out ! " (" dehors le PX ! ").
PX désigne le paraxylène, un dérivé du benzène très toxique qui entre dans la fabrication des polyesters. L'usine du géant local Fujia, un groupe privé très présent aussi dans l'immobilier, en produit 700 000 tonnes par an depuis 2009, en bordure de mer.
Cette éruption de colère citoyenne, qui semble avoir pris par surprise les autorités locales et a largement été censurée dans la presse, a été déclenchée par l'incident survenu lundi 8 août, lors du passage de la tempête tropicale Muifa sur la péninsule où se trouve l'ancienne Port-Arthur, en mer Jaune. Selon la presse chinoise, des vagues de 20 m de hauteur avaient alors éventré à deux endroits la digue à moitié construite qui protégeait l'usine de PX. Une vingtaine de réservoirs de produits toxiques étaient menacés par les eaux. La catastrophe avait été évitée de justesse grâce à la mobilisation d'un millier de pompiers et de soldats.
En moins d'une semaine, les réseaux sociaux en ligne se sont animés, appelant discrètement à une " promenade dominicale " comme celle qui avait rassemblé des milliers de personnes en 2007, dans la ville de Xiamen, à l'autre bout de la Chine : l'événement constitua à l'époque le premier cas en Chine, à telle échelle et dans une grande ville, du syndrome NIMBY, pour " Not in my backyard " (" pas de ça chez moi "). Or, les gens de Xiamen protestaient justement contre l'implantation d'une usine de PX à la périphérie de leur ville. Qu'ils avaient réussi à faire annuler.
Réveiller les consciences
" Avant la tempête, peu de gens à Dalian savaient ce qu'était le PX et quels étaient ses risques. Nous les avions pourtant signalés au gouvernement municipal en décembre 2010, qui n'a pas pris en considération nos suggestions ", explique l'animateur d'une association locale de protection de l'environnement, qui souhaite rester anonyme. Selon lui, ce genre de production doit en principe être situé à plus de 2 km des côtes, contre à peine 50 m dans le cas de Dalian.
L'explosion d'un oléoduc appartenant à Petrochina, en juillet 2010, dans une autre zone d'industrie pétrochimique de Dalian, ainsi que la catastrophe de Fukushima au Japon, ont elles aussi " réveillé la conscience des gens ", estime cet interlocuteur. L'incident de 2010 aurait pu être bien plus grave pour les riverains : le réservoir qui a pris feu était situé à quelques centaines de mètres d'une des principales réserves stratégiques de pétrole chinoises.
En outre, Greenpeace estime que la marée noire qui en a résulté fut 40 fois supérieure aux estimations officielles - la lumière n'a jamais été faite sur ce point. L'usine du groupe Fujia aurait, selon le quotidien Nanfang Dushi Bao de Canton, commencé sa production en juin 2009, alors même qu'elle n'a reçu l'approbation, pourtant obligatoire, de l'agence de l'environnement de la province qu'en avril 2010. Tout comme, signale un expert, un grand nombre de projets en Chine - et souvent les plus prestigieux et les plus coûteux.
Dimanche à Dalian, la pression de la rue a fait céder le gouvernement municipal : celui-ci a promis dans l'après-midi de faire arrêter immédiatement la production de l'usine et de la faire déménager. Avec, espèrent les écologistes, davantage de transparence. " C'est un processus compliqué, il faudra des procédures d'approbation du nouveau site, des négociations sur les indemnisations éventuelles pour l'usine. Cela peut durer longtemps ", prévient l'avocat Xia Jun, qui a tenté de défendre, en 2010, les pêcheurs sinistrés par la marée noire.
Brice Pedroletti
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