Le Monde - International, lundi 15 août 2011, p. 4
Ils sont venus par dizaines, armés de téléphones portables, d'appareils photo, virevoltant entre les policiers en uniforme ou en civil. Eux aussi caméra au poing. Le tribunal de banlieue, dans l'est de Pékin, où a eu lieu, vendredi 12 août, le procès censé être public de la militante pékinoise Wang Lihong, 55 ans, arrêtée le 21 mars et accusée " d'incitation à manifester ", ne leur ouvrira pas ses portes. Pas plus qu'aux diplomates étrangers venus faire acte de présence, et prestement installés dans un salon, loin de la foule.
Dehors, dans la chaleur étouffante et la poussière de la route en travaux, des supporters, le bras ceint d'un ruban jaune, scandent le nom de Wang Lihong. Des pétitionnaires fourguent aux journalistes étrangers des photocopies détaillant une injustice ou une extorsion - Wang Lihong était notamment connue pour son aide aux pétitionnaires désargentés de province qui montaient à Pékin.
L'infatigable retraitée était souvent la première à se rendre sur place pour consoler les proches de victimes et écrire des lettres ouvertes aux autorités.
Les militants encadrent de près l'une des seules personnalités qui a réussi à déjouer la surveillance policière : Zhao Lianhai, représentant des parents d'enfants empoisonnés par le lait à la mélamine, qui fut condamné en 2010 puis libéré quelques mois plus tard sur pression de l'opinion publique, raconte s'être levé à 4 heures du matin alors que les deux gardes vivant dans le couloir de son immeuble dormaient. Il a ensuite franchi un mur pour sortir de sa résidence. Et faillit être repris aux abords du tribunal...
Les procès de militants tels que celui de Wang Lihong, donnent lieu en Chine à des rassemblements de soutien auxquelles les réseaux sociaux donnent un écho important. Ces actions, qui ont pour nom weiguan (" regard vigilant "), séduisent une jeunesse de plus en plus lucide sur les mensonges de la propagande. Le procès de Wang Lihong est d'autant plus symbolique que les faits qui lui sont reprochés concernent justement l'action de weiguan organisée lors du procès de trois internautes du Fujian en 2010.
Le retentissement sur Internet fut énorme à l'époque. Les militants, deux femmes et un homme, furent condamnés à un et deux ans de prison pour avoir diffusé sur le Net le témoignage d'une mère qui soupçonnait que sa fille avait été violée et assassinée par des policiers locaux. Le procès en 2009, puis surtout le verdict cinq mois plus tard rassemblèrent plusieurs centaines de militants.
" Nous filmons et mettons en ligne ce qui se passe, c'est permis par la Constitution. On ne peut pas céder là-dessus. Ils ont beau avoir des tanks, à l'âge d'internet, on se bat avec des caméras ", disait Wang Lihong dans le documentaire que lui a consacré la réalisatrice Ai Xiaoming, elle aussi venue filmer vendredi les abords du tribunal.
En tacticienne hors pair - elle est fille d'un haut gradé de la marine - Mme Wang y explique la manière dont les militants se sont munis de caméras dans le Fujian. Puis les DVD imprimés à l'aide de dons d'internautes, les conférences organisées dans des universités. " On est dans une période où des avocats disparaissent avec un sac noir sur la tête. Pourtant, nos images montrent des citoyens non violents et des policiers qui hésitent à les brutaliser. Ça redonne de l'espoir ", poursuit la militante. Elle était prête à " payer le prix " pour son engagement. Des internautes ont déjà déclaré sur les réseaux sociaux chinois qu'ils se rendraient à leur tour à la police si Wang Lihong est condamnée - elle risque jusqu'à trois ans de prison.
Quelques-uns des participants de weiguan de vendredi étonnent par leur jeunesse. " Sam " - son surnom en anglais - a 20 ans, et rentre d'un an d'études à Toronto. C'est la première fois qu'il manifeste ainsi. " J'ai lu ce qu'elle a fait, elle se porte au secours des gens qui ont des problèmes. C'est la moindre des choses de la soutenir ", dit-il.
Les policiers lui ont demandé à son arrivée ce qu'il comptait photographier. " Les arbres, là-bas ! ", leur a-t-il répondu. " Abraham ", 19 ans, part lui dans quelques jours étudier au Texas. Il a participé à des actions d'Ai Weiwei, qu'il veut d'ailleurs tenter de rencontrer avant son départ. Il est déterminé à ne plus revenir en Chine. " On ne peut croire à rien. On nous ment sur tout ! ", dit cet autre représentant d'une jeunesse pourtant privilégiée, mais indignée par la censure et les dénis de droit.
En fin de matinée, le fils de Wang Lihong, 26 ans, le seul à avoir été autorisé à assister au procès, sort du tribunal, vêtu d'un tee-shirt à l'effigie de Chen Guangcheng, le militant aveugle séquestré chez lui que sa mère soutenait. L'un des avocats de Wang Lihong est là aussi. Objectifs et téléphones portables se tendent vers eux.
La foule des manifestants s'anime. Les nouvelles ne sont pas très bonnes. Wang Lihong a été sans cesse interrompue par le juge. L'avocat a stigmatisé la " persécution politique " dont sa cliente est victime. Le verdict tombera dans plusieurs mois. En attendant, messages et photos ont commencé leur migration vers les consciences citoyennes de la Toile chinoise.
Brice Pedroletti
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