Le Monde.fr - Samedi 20 août 2011
Axe maritime majeur et zone riche en ressources énergétiques, la mer de Chine méridionale n'a cessé, ces derniers mois, d'aiguiser les appétits des pays d'Asie du Sud-Est. Au premier rang desquels la Chine, soucieuse de préserver son influence et ses intérêts économiques.
Analystes et experts de l'Asie du Sud-Est la qualifient souvent, non sans raisons, de "second golfe Persique". A l'instar de celui-ci, la mer de Chine méridionale, vaste étendue de 3 500 000 kilomètres carrés qui s'étire de Singapour, au sud-ouest, à Taïwan, au nord-est, est devenue une zone hautement géostratégique. D'abord, parce qu'elle représente une artère maritime vitale pour le commerce international : près de soixante-dix mille navires y transitent chaque année, selon les autorités chinoises. Ensuite, parce qu'elle recèlerait de formidables ressources pétrolières et gazières, même si les données sur le sujet sont encore très parcellaires. Cette situation exceptionnelle ne contribue pas à favoriser l'entente entre les pays riverains, dont les appétits énergétiques se sont récemment aiguisés, en même temps que leurs ambitions territoriales.
De fait, les tensions se sont accrues dans la région depuis le printemps. Le 26 mai, à cent kilomètres au large des côtes vietnamiennes, un incident a ainsi opposé un bâtiment chinois et un navire scientifique vietnamien chargé d'effectuer des relevés sismiques. Au passage, le second a subi de graves avaries. Ce face-à-face, reflet d'une poussée de fièvre que d'aucuns considèrent comme la plus inquiétante en vingt ans, n'a pas été sans conséquences. Trois semaines après les faits, le gouvernement d'Hanoï, sous la pression d'une opinion chauffée à blanc et lasse de subir les avanies de son puissant voisin, a procédé à des manoeuvres navales. Leur objectif était clairement de réfréner les ardeurs de Pékin. Dans le même temps, les Philippines se sont emparées de l'épisode sino-vietnamien pour jeter l'anathème sur les exigences, à leurs yeux disproportionnées, du gouvernement chinois.
Ce dernier, en effet, ne revendique rien de moins que la totalité de la mer de Chine méridionale. Une posture qui fait grincer des dents les autres pays environnants, et pas seulement le Vietnam. Outre Hanoï, dont les visées incluent à la fois les îles Paracel, au nord, et les îles Spratly, au sud - deux archipels inhabités, mais dont les eaux abriteraient des ressources halieutiques et des hydrocarbures en grande quantité -, d'autres nations réclament leur part du butin dans les Spratly. C'est le cas des Philippines, de la Malaisie et du sultanat de Brunei. Les revendications de l'Indonésie portent quant à elles sur l'île Natuna, plus au sud.
QUERELLE DE NOMS
Cette rivalité latente transparaît jusque dans la dénomination choisie pour évoquer la mer de Chine méridionale. Si la Chine fait régulièrement référence à la "mer du Sud", le Vietnam, lui, parle de "mer Orientale" et les Philippines de "mer des Philippines occidentales". Manille, s'appuyant sur une pétition lancée par sa propre opinion publique, a plaidé pour que soit adoptée l'appellation de "mer d'Asie du Sud-Est", jugée plus neutre. Une requête qui n'a, pour l'heure, trouvé aucun écho favorable. Malgré des heurts qui, par le passé, ont déjà conduit la région au bord du conflit - comme en 1988, lorsqu'un accrochage naval dans les Spratly provoqua la mort de soixante-dix marins vietnamiens -, la Chine, arc-boutée sur un discours ardemment nationaliste, ne veut rien céder de ses prétentions "légitimes".
En mars 2010, signe de son inflexibilité, elle aurait même fait savoir à de hauts responsables américains qu'elle considérait la mer de Chine méridionale comme une question d'intérêt national, au même titre que Taïwan ou le Tibet. A cela plusieurs explications. La première tient à l'histoire : Pékin soutient qu'elle a été la première à découvrir les îles implantées en mer de Chine méridionale, au IIe siècle avant Jésus-Christ, sous la dynastie Han, et que ses pêcheurs en exploitent les ressources depuis plusieurs siècles. La deuxième est économique : aujourd'hui, pas moins de 80 % de ses importations transitent par ces eaux. La troisième, enfin, est d'ordre stratégique. La mer de Chine méridionale représente une sorte de "bouclier naturel" face aux Etats-Unis, l'autre grand acteur majeur du Pacifique.
La Chine s'inquiète en effet de voir son grand rival lui disputer ce qu'elle estime être sa suprématie. "Jusqu'à une période très récente, la Chine s'est maintenue dans l'illusion que, parce qu'ils étaient englués en Irak et en Afghanistan, les Etats-Unis n'avaient plus les moyens d'intervenir dans la région, souligne Valérie Niquet, responsable du pôle Asie à la Fondation pour la recherche stratégique (voir notre entretien). Or, cette mauvaise lecture stratégique se retourne aujourd'hui contre elle, car elle constate avec agacement que, non seulement les Etats-Unis ont la capacité d'être présents sur zone, mais qu'en outre ils ne manquent pas une occasion de rappeler leur volonté de revenir en Asie."
COURSE AUX ARMEMENTS ?
Afin de mieux faire pièce aux aspirations de la Chine, le Vietnam a opté en faveur d'une stratégie d'internationalisation des différends. Quitte à se rapprocher, pour faire avancer sa cause, de son vieil ennemi américain. "Les pays riverains de la Chine méridionale veulent à tout prix éviter de se retrouver seuls face à une puissance chinoise qui représente, non plus une source d'enrichissement économique, mais un motif d'inquiétude stratégique très réel", argumente Valérie Niquet. A l'inverse, Pékin, consciente qu'il est plus difficile de composer avec une opposition solidaire et structurée, s'efforce de promouvoir une approche bilatérale, consistant à négocier directement, et de préférence en coulisses, avec chacune des parties concernées.
Mais existe-t-il seulement une perspective de règlement des contentieux ? Jusqu'à présent, la Chine a soufflé le chaud et le froid. D'un côté, elle a multiplié les gestes apparents de conciliation, comme en témoignent le discours du numéro un, Hu Jintao, sur "l'Asie harmonieuse" ou l'accord trouvé le 20 juillet à Bali (Indonésie) avec l'Asean (Association des nations de l'Asie du Sud-Est) sur une feuille de route visant à promouvoir une "coopération pragmatique" en mer de Chine méridionale. De l'autre, cependant, elle n'a eu de cesse de renforcer sa puissance. Son budget militaire progresse régulièrement - il a atteint 119 milliards de dollars en 2010, ce qui place le pays au deuxième rang mondial derrière les Etats-Unis (698 milliards) - et son premier porte-avions a été mis à l'eau, le 10 août. Autant d'indices qui donnent à penser que la Chine ne va pas de sitôt renoncer à ses ambitions. Au risque de voir s'ouvrir dans la région une course pernicieuse aux armements.
PHOTO - Vietnamese officials and media visit the information center onboard the aircraft carrier USS George Washington in the South China Sea, off the Vietnam coast, in this handout photo taken August 13, 2011, and released August 17, 2011. The USS George Washington aircraft carrier arrived in international waters bordering northern Vietnam on Saturday during an Asia-Pacific tour. Picture taken August 13, 2011.
© 2011 Le Monde.fr. Tous droits réservés.
Hygiene Vs Grooming
Il y a 1 an
0 commentaires:
Enregistrer un commentaire