Libération - Rebonds, mardi 16 août 2011, p. 17
Par Julien Dourgnon, Coordinateur des experts de la campagne d'Arnaud Montebourg et François-Xavier Petit, Professeur d'histoire
Henri Weber revendique, dans une tribune intitulée «Juste échange plutôt que démondialisation» (Libération du 18 juillet) «le respect des principes de réciprocité et d'équilibre dans les échanges» et la mise en place de protections «au nom de la préservation de l'avenir et de nos activités stratégiques, au nom de la défense de notre souveraineté, comme le font d'ailleurs sans complexe nos partenaires commerciaux». Puis il engage l'Europe à «poursuivre et amplifier la bataille des normes» écologiques, sanitaires et sociales et à «recourir davantage à l'arsenal de l'OMC contre toutes les concurrences déloyales», comme les clauses antidumping. Aux multinationales qui délocalisent, il demande le «remboursement des aides reçues et la réindustrialisation du site qu'elles ont quitté». A cette stratégie défensive, il ajoute une stratégie offensive : «un gouvernement économique européen, capable de coordonner les politiques budgétaires et macroéconomiques» et une «BCE capable de conduire une politique active des changes». En bref, des mesures de démondialisation qui taisent encore leur nom.
Nous observons avec espoir la convergence enfin assumée des responsables politiques de gauche vers le projet politique de démondialisation. La démondialisation est devenue le centre de gravité de la gauche. Nous sortons de trois décennies d'une domination idéologique qui nous a rendus incapable de contester le libre-échange absolu des marchandises et des capitaux. Et tous ceux qui s'y accrochent encore sont devenus les conservateurs d'un monde écroulé. Nous sommes à la fin d'un cycle politique et économique encore défendu par Pascal Lamy et centré sur le mythe de la mondialisation marchande, supposée allouer au mieux les ressources. Cette mythologie relayée de toutes parts, et dans laquelle la gauche s'est laissée piégée, a sonné la défaite de la politique face aux marchés.
La démondialisation a, en fait, déjà commencé. Les pays émergents changent déjà de stratégie : ils cessent de miser sur l'exportation pour construire leurs propres marchés intérieurs et répondre aux besoins de leurs populations. Chine, Argentine, Brésil, c'est dans ces pays - soi-disant bénéficiaires de la mondialisation - que celle-ci prendra fin. Sous la pression de quelques mouvements sociaux, 23 provinces de Chine ont relevé leur salaire minimum de 6 à 12% au premier semestre 2010. Et d'après l'ONU, la population active chinoise pourrait baisser vers 2025, ce qui tirerait les salaires vers le haut. Les industriels l'ont bien compris et misent sur la croissance de la demande intérieure (+ 25% en 2009). La Chine ne veut plus être l'atelier du monde. Elle pourra bientôt subvenir à la majorité de ses besoins grâce à la remontée des filières qu'elle a opérée. A l'hiver 2008-2009, les exportations chinoises ont chuté de 9% en novembre, de 11% en décembre et de 29% en janvier, du fait des difficultés traversées par l'Europe et les Etats-Unis. La contraction de la demande occidentale accélère la réorientation de la production des pays émergents vers leurs marchés intérieurs. En Europe, revient en force le projet d'un renouveau productif nécessaire pour réduire les déficits commerciaux et relancer une demande intérieure rendue atone par la compression des salaires.
Les hommes et les femmes de notre temps n'acceptent plus l'argument de la délocalisation pour produire des soi-disant champions nationaux; ils n'acceptent plus que les banques spéculent pour leur compte et ne prêtent plus aux artisans et PME; ils n'acceptent plus un commerce déloyal qui contourne les normes environnementales et sociales pour casser les coûts; ils n'acceptent plus la dégradation de l'environnement. La mondialisation était taillée pour la société productiviste de la seconde moitié du XXe siècle; la démondialisation est en phase avec les aspirations de la société du XXIe siècle.
Démondialiser n'est pas se retirer du monde mais brider les flux financiers qui régentent la planète, attaquent le travail, les ressources naturelles et mettent en concurrence les hommes. Ce n'est pas le «protectionnisme» qui détruit les solidarités, c'est la concurrence infernale. Encore un petit effort pour briser les tabous lexicaux ! Mais au fond, la digue du dogme mondial de la «concurrence libre et non faussée» est fendue. Peuple de gauche, engouffrons-nous dans la brèche !
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