Le Monde - International, lundi 15 août 2011, p. 4
Libéré le 22 juin après 81 jours de détention, le dissident chinois Ai Weiwei a marqué son retour " en ligne " dans un message détonnant sur Twitter, mardi 9 août : " Si vous ne prenez pas la parole en faveur de Wang Lihong et Ran Yunfei - un autre militant emprisonné libéré par surprise... le soir même - , non seulement vous êtes incapable de défendre toute idée de justice et d'équité, mais vous n'avez aucun respect pour vous-même ! ", a-t-il assené, malgré les consignes de se tenir tranquille. Le même jour, la version anglaise du quotidien chinois Global Times publiait la première " interview exclusive " d'Ai Weiwei, pourtant interdit de presse chinoise. Un drôle de scoop, semblant davantage destiné à sauver la face du régime qu'à recadrer l'enfant terrible : Ai Weiwei y admet qu'il a été entraîné dans " le tourbillon de la politique ", mais que " nous vivons dans une société politisée... Je ne cesserai jamais de me battre pour les injustices... " Puis reconnaît que " renverser le régime au moyen d'une révolution radicale n'est pas la bonne manière de résoudre les problèmes de la Chine " et que " le plus important est un système démocratique et scientifique " - l'antienne du régime.
Depuis cet entretien, les proches d'Ai Weiwei révèlent des détails de sa détention. Selon l'un d'entre eux, qu'a rencontré le Monde, sa cellule mesurait moins de 9 m2, avec WC et douche. Il était surveillé et observé jour et nuit par deux gardes en uniforme et devait dormir les mains hors du drap. Pas de sorties, sauf pour les interrogatoires - une cinquantaine. Il pense avoir marché 15 km certains jours dans sa cellule. L'endroit était une prison VIP - sans luxe. Un matelas creux, à même le plancher, dont " on sentait les ressorts ".
Surpris d'être libéré
Il fut toutefois soumis à une attention médicale permanente, et correctement nourri. Seule petite victoire sur ses geôliers : avoir obtenu, à force d'arguments, des cintres pour sécher son linge, qu'il a emportés en souvenir. " Il a bien résisté psychologiquement ", avance notre interlocuteur, " même s'il a été très surpris d'être libéré ! "
En revanche, l'artiste est choqué par le traitement plus dur subi par les quatre autres personnes arrêtées et libérées en même temps que lui - son associé, l'architecte Liu Zhenggang, le journaliste Wen Tao, son comptable, et enfin son cousin et chauffeur. Dans un autre message sur Twitter le 9 août, Ai Weiwei a révélé que Liu Zhengang avait eu une crise cardiaque en détention. Selon une personne qui l'a rencontré récemment, c'est " un homme broyé, avec le regard vide ". Liu Zhenggang eut constamment les pieds attachés, même à l'hôpital. Le chauffeur d'Ai Weiwei dut, lui, rester en position assise la journée, et allongé la nuit - les fers aux pieds.
La plupart des interrogatoires qu'a subis Ai Weiwei portaient sur ses déclarations sur Internet et ses faits d'armes d'artiste et d'activiste. On l'a prévenu qu'il écoperait de dix ans de prison " pour subversion ". et d'une amende pour évasion fiscale de 30 millions de yuans (3,3 millions d'euros). Mais depuis sa libération, les policiers exigent... 13 millions de yuans. Mais Ai Weiwei réclame une procédure, des preuves. Récemment, les policiers ont rapporté à l'artiste tout le matériel confisqué - même de l'argent dans un coffre-fort. " C'est comme si on laissait l'affaire s'estomper. L'évasion fiscale avérée, ils sont coincés : Ai Weiwei peut reprendre son militantisme. A l'inverse, s'ils l'accusent de subversion, ils savent qu'ils doivent assumer ", dit un proche.
B. Pe.
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