La Tribune (France), no. 4783 - Éditoriaux et opinions, mercredi 10 août 2011, p. 11
Par Stephen S. Roach Professeur à l'université de Yale, président non exécutif de Morgan Stanley Asia
Afin de maintenir une relation entre le yen et le dollar, la Chine devait recycler une part importante de ses réserves en dollars. Cette époque est révolue. Pékin a décidé de changer de modèle de croissance pour trois raisons.
Les Chinois ont une admiration de longue date pour le dynamisme de l'Amérique. Pourtant, ils n'ont plus confiance dans le gouvernement américain. Survenant si rapidement après la crise des subprimes, le débat autour du plafond d'endettement et le déficit budgétaire ont été la goutte d'eau qui fait déborder le vase. Les fonctionnaires supérieurs chinois sont abasourdis par la manière dont les États-Unis permettent que la politique pèse plus lourd que la stabilité financière. Un décideur politique de haut rang avait déclaré à la mi-juillet : " Ceci est véritablement choquant... Nous comprenons la politique, mais l'insouciance constante de votre gouvernement est ahurissante. "
La Chine n'est pas un spectateur innocent : elle a amassé quelque 3.200 milliards de dollars de réserves de change et dont les deux tiers sont investis dans des actifs libellés en dollars, et a donc détrôné le Japon en tant que principal détenteur étranger d'actifs financiers des États-Unis. Non seulement la Chine se sentait en sécurité mais sa politique de taux de change lui laissait peu de choix. Afin de maintenir une relation étroite entre le renminbi et le dollar, la Chine devait recycler une part disproportionnée de ses réserves de change en actifs libellés en dollars.
Ces jours sont révolus. La Chine reconnaît qu'il n'y a plus de sens à garder sa stratégie de croissance actuelle, fondée sur une combinaison d'exportations et d'un stock massif de réserves en dollars. Trois développements cruciaux ont amené les leaders chinois à cette conclusion. Premièrement, la crise a servi de réveil. Des États-Unis à l'Europe, les économies développées meurtries par la crise représentent plus de 40 % des exportations chinoises. Longtemps le moteur le plus puissant de la croissance chinoise, ces exportations présentent désormais des faiblesses. Deuxièmement, les coûts de la prime d'assurance, autrement dit le stock démesuré de réserves de change, ont été magnifiés par le risque politique. Alors que le remboursement de la dette du gouvernement américain est en jeu, le concept même d'actif sans risque libellé en dollars est mis en question. Enfin, la Chine est pleinement consciente des risques qu'impliquent ses propres déséquilibres macroéconomiques. Cependant, au contraire du Japon, la Chine n'acceptera pas de réévaluer fortement le renminbi en une fois. Elle préfère stimuler sa demande intérieure pour se sevrer des actifs en dollars. L'insistance nouvelle sur la création d'emplois dans le secteur des services, l'urbanisation massive et l'élargissement de son filet de sécurité sociale stimuleront massivement les revenus du travail et le pouvoir d'achat.
Un rééquilibrage par la consommation solutionne la plupart des tensions. Il déplace la croissance économique d'une dangereuse dépendance à la demande étrangère vers un support à la demande intérieure insatisfaite. De plus, il relâche la pression sur une monnaie sous-évaluée destinée à soutenir la croissance des exportations, donnant à la Chine une grande latitude pour intensifier le rythme des réformes monétaires. Mais, en augmentant la consommation, la Chine absorbera une grande partie de son épargne excédentaire. Ceci pourrait amener son compte courant à l'équilibre d'ici à 2015. Et réduire fortement le rythme de l'accumulation de réserves de change, ainsi que la demande infinie de la Chine pour des actifs libellés en dollars.
Ainsi, l'acheteur étranger le plus important de titres du gouvernement américain, dira bientôt " assez ". Un nouvel accord budgétaire inepte, conjugué à une croissance de l'économie américaine plus faible qu'anticipé annonce une période prolongée de déficits gouvernementaux démesurés. Cela pose la plus grande question de toutes : sans la demande chinoise pour ses bons du Trésor, comment les États-Unis à court d'épargne pourront-ils financer leur économie?
La réponse cavalière qui s'est fait entendre des initiés de Washington est que les Chinois n'oseraient pas déclencher pareille phase finale. Après tout, à quel autre endroit placeraient-ils leurs avoirs? Pourquoi risqueraient-ils de faire des pertes sur leur portefeuille massif d'actifs en dollars?
La réponse de la Chine est claire : elle ne veut plus risquer la stabilité financière et économique sur des promesses vides de Washington. Les Chinois disent enfin " non ".
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