mardi 6 septembre 2011

Document : Le rapport du procureur Vance


L'Express, no. 3139 - en couverture dsk, mercredi 31 août 2011, p. 36-43

Résumé

COUR SUPRÊME DE L'ÉTAT DE NEW YORK (1) COMTÉ DE NEW YORK

LE PEUPLE DE L'ÉTAT DE NEW YORK contre DOMINIQUE STRAUSS-KAHN Défendeur REQUÊTE EN NON-LIEU Inculpation n° 02526/2011

Le Peuple de l'Etat de New York (2) requiert qu'il soit mis fin aux poursuites à l'encontre du défendeur pour agression sexuelle sur la plaignante dans un hôtel situé Midtown à Manhattan, le 14 mai 2011. La nature des charges qui pèsent sur le défendeur oblige l'accusation à prouver au-delà de tout doute raisonnable que ce dernier a eu avec la plaignante une relation sexuelle en usant de la force et sans son consentement. Après enquête approfondie, il apparaît que la preuve de deux éléments constitutifs essentiels - l'usage de la force et l'absence de consentement - ne pourrait être rapportée que sur la base du témoignage de la plaignante au cours d'un procès. Des preuves, notamment physiques et scientifiques, établissent que l'inculpé a eu un rapport sexuel rapide avec la plaignante, mais elles ne permettent pas de confirmer les allégations de cette dernière selon lesquelles cet acte a eu lieu par la force et sans consentement. En dehors de la plaignante et du défendeur, il n'y a pas eu d'autres témoins de l'incident. Dès lors, pour déclarer l'inculpé (3) coupable, le jury devra être convaincu, au-delà de tout doute raisonnable, que la plaignante est digne de foi. En effet, cette affaire n'existe que par son témoignage et disparaît avec lui.

Au moment de l'inculpation, toutes les preuves dont nous disposions nous ont convaincus que la plaignante était digne de foi. Mais d'autres éléments, recueillis pendant l'instruction, ont gravement remis en cause sa fiabilité en tant que témoin dans cette affaire. Le simple fait qu'un individu ait pu mentir ou commettre des crimes ou des délits dans le passé n'entraîne pas nécessairement que les procureurs que nous sommes ne puissent jamais le croire et ne nous empêche pas de le faire témoigner au cours d'un procès. Mais le nombre et la nature des mensonges de la plaignante nous empêchent de donner foi à sa version des faits au-delà de tout doute raisonnable, quelle que soit la réalité de ce qui s'est passé entre elle et l'inculpé. Et si nous ne pouvons la croire au-delà de tout doute raisonnable, nous ne pouvons pas demander à un jury de le faire (4).

Nous avons résumé ci-dessous les circonstances qui nous ont amenés à cette conclusion. Dans cette affaire, nous n'avons pas fait preuve à l'égard de la plaignante d'une suspicion exagérée et nous ne lui avons pas appliqué des critères plus rigoureux qu'à d'autres. Nous nous sommes au contraire trouvés confrontés à une situation dans laquelle il est apparu de plus en plus clairement que la crédibilité de la plaignante ne résistait même pas à l'examen le plus simple. En bref, la plaignante a donné des versions différentes et contradictoires des faits relatifs à l'agression alléguée et, en conséquence, nous ne pouvons pas être suffisamment certains de ce qui s'est passé le 14 mai 2011 ou de quelle serait la version de ces faits que la plaignante donnerait durant le procès. Au cours de presque tous les entretiens importants qu'elle a eus avec les procureurs (5), [la plaignante] a menti alors qu'il lui était simplement demandé de dire la vérité, que ce soit sur des détails ou sur des faits importants, sur son passé ou sur les circonstances même de l'incident. Au cours de deux auditions, par exemple, la plaignante a raconté, de façon très vivante et convaincante et en donnant de nombreux détails, un viol dont elle aurait été victime dans son pays d'origine, ce qu'elle admet aujourd'hui être entièrement faux. De même, elle reconnaît aujourd'hui que sa description de ses propres actions aussitôt après sa rencontre avec l'inculpé était également fausse. Le caractère récurrent de ces mensonges ne date pas de nos premiers contacts avec la plaignante. Notre enquête a montré qu'elle avait déjà fait dans le passé de nombreuses fausses déclarations, dont certaines dans le cadre de demandes faites auprès du gouvernement, dont certaines ont été faites sous serment. Tous ces mensonges devraient, évidemment, être révélés au jury durant un procès, et leur accumulation aurait un effet dévastateur.

Enfin, nous avons fait une enquête minutieuse afin d'établir la nature de l'acte sexuel intervenu entre l'inculpé et la plaignante. Il est tout simplement impossible de conclure qu'il y ait eu usage de la force ou absence de consentement sur la base des éléments que nous avons pu recueillir.

Nous ne déposons pas la présente requête à la légère. Nos doutes sérieux sur la crédibilité de la plaignante ne nous permettent pas de savoir ce qui s'est véritablement passé dans la suite de l'inculpé, le 14 mai 2011, et nous empêchent donc de maintenir les poursuites dans cette affaire. En conséquence, nous demandons respectueusement à votre tribunal de lever l'inculpation et de clore cette affaire (6).

[Ici suivent deux longs paragraphes techniques sur les "normes et règles" et sur la procédure suivies durant l'enquête. Ils sont consultables sur Lexpress.fr]

Déroulement de l'enquête A. Enquête préliminaire et inculpation

Le 14 mai 2011, la plaignante, une femme de chambre de l'hôtel Sofitel, situé sur la 44e Rue Ouest à Manhattan, indiqua au service de sécurité de l'hôtel, puis plus tard à la police de New York (NYPD), qu'elle avait été agressée sexuellement par le défendeur dans la suite qu'occupait ce dernier. Elle l'a tout d'abord signalé à son responsable, peu de temps après sa rencontre avec le défendeur, dont elle était chargée de nettoyer la chambre (suite 2806). Son responsable a ensuite fait venir un autre responsable de rang supérieur, à qui la plaignante a répété sa déclaration. Ce supérieur a informé la sécurité de l'hôtel et la direction du personnel, qui a à son tour prévenu la police new-yorkaise. Des agents en uniforme et des inspecteurs de la police de New York ont alors interrogé la plaignante, avant de l'emmener dans un hôpital proche pour un examen médical plus tard dans l'après-midi.

En substance, la plaignante a déclaré aux inspecteurs, puis plus tard aux procureurs, que, peu de temps après qu'elle est entrée dans la suite de l'inculpé pour y faire le ménage, ce dernier est sorti nu de la chambre à coucher, s'est approché d'elle et a attrapé ses seins sans son consentement. Selon la plaignante, l'inculpé a fermé la porte de la suite, l'a forcée à entrer dans la chambre, l'a poussée sur le lit et a tenté d'introduire avec force son pénis dans sa bouche, ce qui a entraîné un contact entre son pénis et les lèvres fermées de la plaignante. Celle-ci a déclaré que l'inculpé l'a ensuite entraînée de force à l'intérieur de la suite, en la poussant dans un couloir étroit. Selon elle, il a arraché son uniforme, a baissé ses collants en partie, a mis sa main dans sa culotte puis a violemment saisi la partie externe de son vagin. Enfin, la plaignante a déclaré que l'inculpé l'a forcée à s'agenouiller, a introduit de force son pénis dans sa bouche, a tenu sa tête puis a éjaculé. Cet acte sexuel s'est déroulé, selon la plaignante, au fond du couloir de la suite, à proximité de la salle de bains principale. La plaignante a affirmé avoir immédiatement craché le sperme de l'inculpé sur la moquette du couloir de la suite, et avoir continué à le faire alors qu'elle s'enfuyait.

La police new-yorkaise a découvert que l'inculpé devait prendre un vol Air France à l'aéroport John-F.-Kennedy, à destination de l'Europe. A 16 h 45, des inspecteurs du Port Authority Police Department lui ont demandé de descendre de ce vol puis l'ont arrêté.

Le jour de l'incident et pendant plusieurs jours ensuite, la plaignante a été interrogée par des inspecteurs de la brigade des victimes de la police de New York (NYPD's Manhattan Special Victims Squad) et par d'autres enquêteurs et procureurs expérimentés, y compris des membres de l'unité spéciale pour les crimes sexuels (Office's Sex Crimes Unit). Comme dans toutes les affaires où la parole d'un témoin est essentielle pour prouver le crime, les procureurs qui ont interrogé la plaignante lui ont expliqué que les éléments passés et présents la concernant seraient minutieusement examinés. La plaignante a exprimé sa volonté de coopérer avec les procureurs et de dire la vérité. Lors de ces premiers entretiens avec les procureurs et la police, qui ont enquêté sur les détails de l'incident ainsi que sur la situation et l'histoire de la plaignante, la plaignante semblait sincère. Son récit de l'incident était plausible et sa description, faite à plusieurs reprises aux inspecteurs et procureurs de la brigade des victimes, était toujours cohérente.

L'enquête intervenue entre la date de l'incident et le 18 mai n'a pas révélé d'éléments troublants dans le passé de la plaignante. Elle était employée par l'hôtel Sofitel depuis plus de trois ans, son dossier d'employée ne contenait aucun rapport d'incident et n'indiquait aucun problème disciplinaire, et ses responsables avaient indiqué qu'elle était une employée modèle. Elle n'avait pas d'antécédents criminels et avait obtenu un droit d'asile par le Tribunal de l'immigration des Etats-Unis. Elle a reconnu sans hésitation être entrée aux Etats-Unis, à l'origine, au moyen d'un visa et de documents délivrés à une autre personne. Enfin, il est apparu que la plaignante n'avait pas connaissance de ce que l'inculpé devait séjourner dans l'hôtel, ce qui aurait pu lui permettre d'organiser une rencontre entre eux. De même, il était établi qu'elle était entrée dans la suite pensant qu'elle était vide.

D'autres éléments rendaient plausible que la relation sexuelle entre la plaignante et l'inculpé n'ait pas été librement consentie. Comme indiqué plus haut, la plaignante s'est plainte immédiatement à ses supérieurs, qui, au cours de leur interrogatoire intervenu dans les quarante-huit heures après l'incident, indiquèrent qu'elle semblait très troublée. Le résultat préliminaire des tests d'ADN réalisés par le bureau du médecin légiste en chef (Office of Chief Medical Examiner ou OCME) établissait que plusieurs taches situées sur la partie supérieure de l'uniforme de la plaignante contenaient du sperme correspondant à l'ADN de l'inculpé. Bien que ce résultat d'expertise préliminaire ne réponde pas à la question de savoir si la relation sexuelle entre la plaignante et l'inculpé avait été consentie ou non, il établissait qu'un acte sexuel entre l'inculpé et la plaignante avait bien eu lieu. Les débuts de l'enquête indiquèrent également que la rencontre entre la plaignante et l'inculpé fut brève, suggérant qu'il était peu probable que l'acte sexuel soit le produit d'une rencontre consensuelle.

L'enquête préliminaire avait permis d'établir que l'inculpé avait quitté l'hôtel de façon précipitée, mais on ignorait où l'inculpé était allé aussitôt après son départ de l'hôtel. On savait, en revanche, que plus tard dans l'après-midi du 14 mai 2011 l'inculpé avait embarqué à bord d'un vol Air France à l'aéroport John-F.-Kennedy, à destination de l'Europe, et qu'il était de nationalité française. Avant sa mise en accusation, il fut aussi établi qu'en tant que citoyen de nationalité française il ne serait pas extradé vers les Etats-Unis.

Sur la base des multiples auditions de la plaignante et de l'analyse de toutes les preuves disponibles à l'époque, les inspecteurs et les procureurs qui ont parlé avec la plaignante pendant la phase d'enquête préliminaire sont tous arrivés de façon autonome à la même conclusion. Chacun a trouvé la plaignante crédible et était convaincu que les chefs d'inculpation étaient fondés. En conséquence, l'affaire a été présentée devant un grand jury et le défendeur a été inculpé.

B. Suite de l'enquête

Depuis la date de l'acte d'accusation et jusqu'à ce jour, nous avons continué à mener une enquête complète et très large sur l'inculpé, la plaignante et les faits de cette affaire. Cette enquête inclut les résultats d'examens médicaux et physiologiques de la plaignante et de l'inculpé et des tests scientifiques de prélèvements effectués sur chacun d'eux et sur leurs vêtements. Nous avons également interrogé des officiers de police, des enquêteurs, des témoins, des membres du personnel médical, des médecins légistes et des experts médicaux. Nous avons récolté et analysé des documents, des archives et d'autres pièces, y compris des relevés de communications électroniques établis par des fournisseurs d'accès, des rapports financiers, des rapports d'entreprise, des rapports médicaux, des enregistrements de caméras de vidéosurveillance situées à l'intérieur de l'hôtel Sofitel et en d'autres lieux, des rapports de police ainsi que d'autres dossiers d'archives administratives et policières.

Etant donné qu'un témoignage crédible de la part de la plaignante était nécessaire pour établir la réalité du délit, les procureurs et inspecteurs ont interrogé la plaignante à de nombreuses reprises sur son histoire personnelle, sa situation actuelle et les détails de l'incident même. Lors des auditions intervenues entre le 14 mai et le 7 juin 2011, la plaignante a fourni aux procureurs et enquêteurs des informations détaillées concernant l'incident, son histoire personnelle et sa situation actuelle. Le 7 juin 2011, l'avocat de la plaignante a signalé aux procureurs que celle-ci n'avait pas dit toute la vérité quant à son histoire personnelle, et notamment sur un précédent prétendu viol. Lors d'auditions complémentaires menées les 8, 9 et 28 juin 2011 (7), la plaignante a elle-même admis ne pas avoir dit la vérité aux procureurs sur certains aspects de son histoire personnelle et de sa situation actuelle.

Au cours de l'audition du 28 juin, en présence de son avocat, de trois procureurs et d'un enquêteur, la plaignante a non seulement admis avoir menti aux procureurs à propos de ses faits et gestes immédiatement après l'incident, mais également avoir menti au grand jury sur ces points importants. Dans une lettre datée du 30 juin 2011, le bureau du procureur a dévoilé ces fausses déclarations ainsi que d'autres informations pouvant exonérer l'inculpé au tribunal et aux avocats de la défense.

Du 1er juillet 2011 jusqu'à ce jour, le bureau du procureur a continué d'enquêter sur l'affaire, y compris en interrogeant d'autres témoins, des scientifiques, des experts médicaux, en analysant d'autres résultats d'expertises médico-légales fournis par l'OCME, et en analysant des informations supplémentaires fournies par les avocats de la plaignante et de l'inculpé. Les procureurs ont également rencontré la plaignante une nouvelle fois, le 27 juillet 2011 ; la plaignante a alors modifié une nouvelle fois de façon significative sa déclaration quant aux événements qui se sont produits immédiatement après sa rencontre avec l'inculpé.

MOTIVATION DE LA DEMANDE DE NON-LIEU

Lors d'un procès, l'accusation doit prouver la culpabilité d'un accusé au-delà de tout doute raisonnable. Pour une multitude de raisons, y compris celles qui figurent ci-dessous, les mensonges de la plaignante font qu'elle n'est pas digne de foi. Dans la mesure où nous ne pouvons pas accorder de crédit au témoignage de la plaignante au-delà de tout doute raisonnable, nous ne pouvons demander à un jury de le faire. Les autres preuves ne sont pas suffisantes pour justifier des poursuites pénales. Nous sommes par conséquent obligés, tant au regard des règles de droit que des règles éthiques, de vous demander de prononcer un non-lieu.

I. Le témoignage de la plaignante au procès ne serait pas probant au-delà d'un doute raisonnable

Au cours de nombreuses auditions, la plaignante a donné des versions contradictoires de ce qui s'est passé immédiatement après sa rencontre avec l'inculpé, ce qui ne nous permet ni d'établir ce qui s'est réellement passé, ni de compter sur la sincérité de son témoignage à cet égard. Elle a également fait de nombreuses fausses déclarations, que ce soit aux procureurs ou à d'autres dans le passé. Certaines de ces déclarations ont été faites sous serment ou sous peine de parjure, certaines étaient constitutives de fraude.

A. Les récits systématiquement contradictoires de la plaignante sur l'incident

Première version. Depuis la date de l'événement jusqu'au 28 juin 2011, la plaignante a affirmé à plusieurs reprises qu'après l'acte sexuel intervenu avec l'inculpé elle s'est enfuie de la suite et est allée au bout du couloir du 28e étage. La plaignante a affirmé ensuite qu'après avoir craché sur le tapis du couloir du 28e étage elle était restée sur place, terrorisée, jusqu'à ce qu'elle tombe par hasard sur son responsable. A ce moment-là, ils sont entrés tous les deux dans la suite 2806. Elle lui a alors raconté ce qui s'était passé entre elle et l'inculpé et a répété sa déclaration lorsqu'un deuxième responsable les a rejoints. Lorsque les procureurs lui ont demandé pourquoi elle était restée dans le couloir du 28e étage plutôt que de se mettre à l'abri dans une chambre vide de ce même étage pour téléphoner à ses responsables ou à la sécurité, elle a affirmé que toutes les autres chambres de l'étage indiquaient la mention "Ne pas déranger", ce qui les rendait inaccessibles.

Deuxième version. Lors de l'audition du 28 juin 2011, en présence de son avocat, la plaignante a donné une version sensiblement différente de ses agissements après l'incident intervenu dans la suite de l'inculpé. Au début de cet entretien, elle a admis pour la première fois qu'elle avait menti aux procureurs sur ce point clef et qu'elle avait également menti sur ce point lors de son témoignage devant le grand jury. La plaignante a donné une nouvelle version de ces faits, affirmant qu'après avoir quitté la suite de l'inculpé elle était allée directement dans une autre chambre (la 2820) pour finir de la nettoyer. Elle a donné des détails précis, disant qu'elle avait passé l'aspirateur et nettoyé les miroirs ainsi que d'autres meubles dans la chambre. Elle a ensuite affirmé qu'après avoir fini le ménage dans la chambre 2820 elle était retournée dans la chambre de l'inculpé et avait commencé à la nettoyer à son tour. Elle a rapporté que lorsque, par la suite, elle s'est dirigée vers une armoire à linge dans le couloir du 28e étage pour récupérer des fournitures, elle a rencontré son responsable et qu'ils sont ensuite allés tous les deux dans la chambre 2806. Plutôt que de raconter immédiatement à son supérieur ce qui s'était passé avec l'inculpé, la plaignante lui aurait posé des questions hypothétiques concernant le droit des clients à imposer des choses aux employés, et n'aurait rapporté l'incident survenu avec l'inculpé que quand son responsable l'aurait pressée de questions. Etant donné l'importance de cette nouvelle version - qui était en contradiction avec son témoignage sous serment devant le grand jury -, les procureurs l'ont beaucoup interrogée à ce sujet au cours de l'audition du 28 juin.

La plaignante ayant affirmé qu'elle était entrée dans la chambre 2820, le cabinet du procureur a obtenu l'enregistrement électronique des badges de cette chambre. Ces enregistrements, qui ont aussi été donnés à l'avocat de la plaignante par quelqu'un d'extérieur à ce bureau, indiquent que la plaignante est entrée dans la chambre 2820 à 12 h 26, et est aussi entrée dans la suite de l'inculpé dans la même minute (12 h 26). Le laps de temps extrêmement court que la plaignante a passé dans la chambre 2820 contredit son affirmation selon laquelle elle aurait accompli plusieurs tâches ménagères dans cette chambre avant de rejoindre la suite de l'inculpé.

Troisième version. Dans une audition ultérieure, le 27 juillet 2011, la plaignante a de nouveau changé sa version concernant ses actes immédiats après la rencontre avec l'inculpé. A cette date, elle a déclaré avoir nettoyé la chambre 2820 plus tôt dans la matinée du 14 mai et que, immédiatement après les faits, elle a quitté la suite 2806 et couru jusqu'à l'angle du couloir, comme elle l'avait d'abord indiqué, sans passer par la chambre 2820. Après avoir vu l'inculpé prendre l'ascenseur, elle serait entrée momentanément dans la chambre 2820 pour y prendre des fournitures pour le nettoyage. Concernant ses déclarations en date du 28 juin, elle nia les avoir faites et affirma qu'il devait y avoir eu une erreur de traduction de la part de l'interprète ou une incompréhension de la part des procureurs (8). Mais cette affirmation n'est pas crédible à la lumière des nombreuses questions complémentaires posées concernant ce point, ainsi que l'insistance de la plaignante le 28 juin sur le fait que la version donnée ce jour-là était sincère. De façon tout à fait critique, le fait qu'elle nie avoir tenu ces propos à ces mêmes procureurs qui l'ont entendue les tenir le 28 juin remet en question sa crédibilité de façon fondamentale (9).

De quelque façon que l'on prenne les preuves existantes, nous sommes dans l'impossibilité de tirer un récit cohérent de la plaignante concernant ses faits et gestes autour de l'incident faisant l'objet de l'inculpation, qui seraient pourtant au coeur du procès. Non seulement cela affecte sa fiabilité en tant que témoin, mais ces versions différentes compliquent la tâche d'établir ce qui s'est réellement passé dans le laps de temps crucial entre 12 h 06 et 12 h 26, et nous ne sommes pas sûrs que la plaignante dirait la vérité sur cette question si elle était appelée comme témoin au procès.

B. Le caractère récurrent des fausses déclarations de la plaignante, y compris le faux témoignage d'un précédent viol

1. Faux témoignage d'un viol

En réponse aux questions des procureurs le 16 mai 2011, la plaignante a indiqué qu'elle avait déjà été violée par plusieurs soldats, qui avaient envahi sa maison en Guinée. Dans un entretien du 30 mai 2011, elle a donné des détails précis et importants sur le nombre et la nature de ses assaillants et la présence de sa petite fille de 2 ans durant la scène, qui, a-t-elle dit, a été enlevée de ses bras et jetée à terre. Pendant ces deux auditions, elle a identifié certaines cicatrices visibles sur elle qui, selon elle, provenaient de cette attaque. Au cours de ces deux auditions, la plaignante a raconté le viol avec beaucoup d'émotion et de conviction : elle a pleuré, parlé avec hésitation, est apparue légitimement bouleversée, et, pendant la première audition, elle a même enfoui son visage entre ses bras posés sur la table devant elle.

Lors des auditions des 8 et 9 juin 2011, la plaignante a avoué aux procureurs qu'elle avait entièrement inventé cette attaque. Lorsqu'il lui fut demandé pourquoi, elle a d'abord dit qu'elle avait menti sur ce viol collectif parce qu'elle avait inclus ce fait dans sa demande d'asile et qu'elle avait peur de ne pas dire la même chose que dans ladite demande. Elle a aussi ajouté qu'au moment où elle avait raconté ce prétendu viol aux procureurs elle n'était pas sous serment. Lorsqu'elle fut confrontée au fait que sa demande d'asile écrite ne mentionnait pas de viol collectif, elle a assuré avoir inventé le viol collectif, comme d'autres détails de sa vie en Guinée, avec l'aide d'un homme anonyme qu'elle avait consulté lorsqu'elle préparait sa demande d'asile. Elle a dit aux procureurs que cet homme lui avait donné une cassette qui comprenait la description d'un viol fictif, mention qu'elle a mémorisée. Au bout du compte, elle a dit aux procureurs qu'elle avait décidé de ne pas faire référence au viol dans sa demande d'asile (10).

Il est clair que, dans le cas où une plaignante accuse une personne d'agression sexuelle, le fait qu'elle ait donné précédemment une fausse version d'une autre agression sexuelle est tout à fait significatif. Le fait qu'elle ait proféré un tel mensonge aux procureurs intentionnellement, et d'une manière totalement convaincante - identique à celle que la plaignante a adoptée pour raconter la rencontre avec l'inculpé -, est aussi hautement significatif. Mais encore plus significative encore est sa capacité à raconter une telle fiction comme si c'était un fait avéré et avec une conviction totale.

Les procureurs expliquent souvent au jury que le comportement d'un témoin est un facteur clef dans l'évaluation de sa crédibilité, et les juges donnent les mêmes instructions aux jurés au regard du droit applicable. Dans la présente affaire, la preuve de l'usage de la force et de l'absence de consentement reposent sur un seul témoin : la plaignante. Le fait qu'elle ait précédemment convaincu des procureurs et des enquêteurs expérimentés qu'elle avait été la victime d'une autre agression sexuelle, sérieuse et violente - mais fausse -, avec la même attitude qu'elle aurait sûrement eue au procès, est fatal. Sachant que son attitude convaincante ne peut être le signe fiable de son honnêteté, et ajoutés à cela les nombreux mensonges que nous avons découverts lors de nos entretiens avec elle, nous sommes obligés de conclure que nous ne sommes plus convaincus de la culpabilité de l'inculpé au-delà d'un doute raisonnable, et ne pouvons demander à un jury de condamner sur la base du témoignage de la victime (11).

2. Faux témoignage sous serment

De manière tout aussi significative, la plaignante a reconnu avoir fait des fausses déclarations sous serment au cours de son témoignage devant le grand jury qui a décidé de la présente inculpation, et aussi dans des déclarations écrites faites au gouvernement fédéral, ce qui équivaut à un parjure. Dans des affaires comme celle-ci, où le témoignage de la plaignante est crucial pour prouver les faits délictueux reprochés au-delà de tout doute raisonnable, le fait qu'elle ait fait un faux témoignage devant un grand jury à propos des faits incriminés et qu'elle ait commis un parjure est extrêmement préjudiciable.

3. Autres mensonges

Outre les fausses déclarations de la plaignante sur un autre viol et ses fausses déclarations faites sous serment ou ses parjures, elle a menti aux enquêteurs sur tant d'autres choses que nous ne pouvons tout simplement plus lui faire confiance. A titre d'exemple, elle a fait de nombreuses déclarations écrites dont elle admet à présent qu'elles étaient frauduleuses pour justifier son droit à demeurer dans un logement à loyer modéré, en omettant de déclarer ses revenus du Sofitel. La plaignante a également manqué de sincérité à de nombreuses reprises, sur de nombreux aspects de son histoire, de son passé, de l'affaire en cours et de ses relations personnelles.

En outre, en réponse à des questions de routine des procureurs concernant ses sources de revenu, la plaignante ne leur a pas mentionné une série de dépôts en numéraire - d'un montant total de près de 60 000 dollars - faits sur son compte-chèques par différentes personnes dans quatre Etats. Interrogée sur ces opérations, elle indiqua avoir permis à son fiancé, demeurant en Arizona (12), d'utiliser son compte chèques pour y faire des dépôts en espèces dans le cadre de ce qu'elle pensait être une affaire de vêtements et d'accessoires. Elle a également déclaré qu'à plusieurs reprises son fiancé lui avait demandé de retirer de l'argent, qu'il avait déposé sur son compte et de donner cet argent à un de ses associés à New York. Elle a indiqué ne pas savoir combien d'argent avait ainsi transité sur son compte. Bien qu'elle ait nié avoir tiré quelque profit que ce soit de ces opérations bancaires, on constate que fréquemment une partie de ces sommes demeurait sur son compte.

Par ailleurs, dès le 16 mai 2011, nous avons interrogé la plaignante sur ses éventuelles motivations pécuniaires, compte tenu de ce qu'elle avait pris un avocat au civil. Elle a sans aucune ambiguïté affirmé qu'elle ne cherchait aucunement à obtenir de l'argent dans le cadre de son implication dans cette affaire. Elle a maintenu cette position lors d'autres auditions précédant ou suivant l'inculpation, affirmant même solennellement à une occasion que personne ne pouvait l'"acheter". Cependant, à une date très proche de ces déclarations, la plaignante eut une conversation avec son fiancé en prison au cours de laquelle la possibilité de recevoir de l'argent à l'occasion de l'incident du 14 mai 2011 fut mentionnée. Cette conversation était enregistrée (13). Bien qu'il n'y ait rien de répréhensible à vouloir obtenir réparation de la part d'un défendeur dans un procès civil, le fait que la plaignante ait affirmé n'avoir aucune motivation financière affecte également sa crédibilité.

En résumé, la plaignante a menti de façon répétée, et parfois de façon inexplicable, sur des points de grande ou de faible importance. C'est la raison pour laquelle, au terme de nos différentes auditions de la plaignante, la vérité complète sur ce qui s'est passé lors de l'incident ayant justifié l'inculpation et sur son passé est demeurée insaisissable.

II. Les autres éléments de preuve ne permettent pas d'établir l'usage de la force ou l'absence de consentement

Les preuves matérielles, médicales ou autres dont nous disposons dans cette affaire n'ont que peu d'effet sur la question centrale de l'usage de la force ou de l'absence de consentement. Elles permettent d'établir qu'un acte sexuel est bien intervenu entre la plaignante et l'inculpé le 14 mai 2011. Elles ne permettent pas, en revanche, d'établir ou de prouver que cet échange fut imposé par la violence ou qu'il fut non consenti et ne permettent pas non plus de corroborer certains aspects de la description par la plaignante de l'incident.

A. Les preuves sur les lieux de l'incident

Sur la base de la description initiale par la plaignante de l'incident incriminé, deux emplacements de l'hôtel Sofitel furent identifiés et traités par l'unité des scènes de crime de la police new-yorkaise : la suite 2806, où l'incident s'est déroulé, et une zone située à l'extrémité du couloir du 28e étage dont la plaignante avait indiqué dans ses premières déclarations qu'elle s'y était réfugiée aussitôt après l'incident (14). Cette unité a identifié cinq zones distinctes du couloir intérieur de la suite 2806 pouvant contenir des fluides physiologiques comme du sperme ou de la salive (15). Le lendemain, les détectives de l'unité des scènes de crime ont retiré la moquette du couloir intérieur de la suite ainsi que le papier peint du mur de ce couloir et ont transmis ces éléments au laboratoire de médecine légale de l'OCME. Les premiers tests faits par l'OCME ont révélé cinq taches de fluides physiologiques sur la moquette. L'une de ces taches, située à environ 2 mètres de l'endroit où la plaignante avait affirmé que l'acte sexuel était intervenu, comprenait des traces de sperme et d'amylase et contenait un mélange d'ADN de la plaignante et de l'inculpé. Aucune des autres taches situées sur la moquette ou sur le papier peint ne contenait de traces (16).

Le 14 mai 2011, la plaignante portait un uniforme de l'hôtel consistant en une robe et un tablier qui furent saisis par les officiers de police et envoyés au laboratoire de médecine légale de l'OCME. Trois taches situées sur la partie supérieure de l'uniforme contenaient du sperme, et deux d'entre elles contenaient de l'amylase provenant de sperme, de salive ou de sécrétions vaginales. Une seule trace d'ADN correspondant à l'ADN de l'inculpé fut identifiée à la suite de l'examen de ces trois taches. D'autres prélèvements faits sur le corps de la plaignante dans le cadre de l'examen médico-légal n'ont pas révélé de trace de sperme ou d'amylase et n'ont donc pas donné de résultats relatifs à l'ADN. De même, l'analyse de prélèvements faits sous les ongles de la plaignante n'a pas donné de résultats.

Les prélèvements faits sous les ongles de la main gauche de l'inculpé contenaient des traces de son propre ADN. Les prélèvements faits sur sa main droite n'ont donné aucun résultat. Un prélèvement pénien fait sur l'inculpé contenait des traces de sperme et de l'ADN de l'inculpé. Il en va de même d'une tache sur le caleçon qu'il portait et qui fut saisi peu après son arrestation. Deux petites taches de sang situées sur son caleçon contenaient des traces de son ADN, de même qu'une petite tache de sang humain trouvée sur le drap du dessus de son lit d'hôtel. Ces taches se sont révélées être sans lien avec l'incident incriminé étant donné que, au moment de son arrestation, l'inculpé souffrait d'un problème dermatologique provoquant des saignements sur ses mains. Ce problème et ces saignements furent immédiatement observés par les inspecteurs ayant procédé à son arrestation et apparaissent sur les photos des mains de l'inculpé prises au moment de son arrestation. La plaignante n'a jamais dit qu'elle saignait au moment de l'incident ou que lui ou elle avait une quelconque blessure qui aurait pu saigner. De même, aucune trace de sang n'a été trouvée sur la plaignante ou sur ses vêtements.

Au moment de l'incident, la plaignante portait deux paires de collants (l'une plus foncée que l'autre) (17). Elle portait en outre une culotte à l'intérieur de ses collants. Le 14 mai 2011, la police obtint ces vêtements de la plaignante après qu'elle eut été emmenée à l'hôpital et les envoya à l'OCME pour analyse. L'ADN de l'inculpé, sous la forme de cellules épithéliales, fut trouvé tant à l'intérieur qu'à l'extérieur de l'élastique de ceinture des collants et de la culotte. L'ADN de l'inculpé, également sous forme de cellules épithéliales, fut aussi trouvé sur l'entrejambe extérieur de la paire de collants clairs, mais ne fut trouvé ni à l'intérieur ni à l'extérieur de la paire de collants foncés ou de la culotte. Etant donné qu'une personne peut toucher des vêtements sans nécessairement y déposer son ADN, ces éléments semblent indiquer que l'inculpé a touché les sous-vêtements de la plaignante, mais ils ne permettent ni de confirmer ni d'infirmer la déclaration de la plaignante selon laquelle l'inculpé a introduit sa main à l'intérieur de ses sous-vêtements et a empoigné directement sa zone génitale.

Le 16 mai 2011, l'unité de scène de crime est retournée dans la suite de l'hôtel et, entre autres choses, a effectué des prélèvements sur le lavabo de la petite salle de bains de la suite et prélevé des mouchoirs en papier usagés dans la grande salle de bains. La plaignante avait en effet déclaré que, après l'incident et alors qu'elle se trouvait dans la suite le 14 mai 2011 avec son supérieur, elle avait craché dans le lavabo de la petite salle de bains. Les prélèvements faits sur le lavabo et les mouchoirs en papier usagés furent envoyés au laboratoire de l'OCME et n'ont montré aucune trace de sperme ou d'amylase. L'OCME n'a pas pu obtenir de matériau suffisant à partir des prélèvements faits sur le lavabo pour établir un quelconque profil d'ADN.

B. Les preuves médicales

1. Examen physique

Le jour de l'incident, la plaignante fut examinée par une infirmière diplômée, expérimentée et agréée par le SAFE à l'hôpital Saint-Luke's-Roosevelt. Lors de son premier examen clinique, celle-ci n'a remarqué aucune blessure sur la plaignante et a noté qu'il n'y avait aucun traumatisme ou lésion sur son corps ou dans sa bouche. La seule chose notée par l'infirmière fut une "rougeur" observée lors de l'examen gynécologique. Cette examinatrice ne pouvait affirmer avec un quelconque degré de certitude médicale que cette "rougeur" était la conséquence directe de l'incident, ni même qu'il s'agissait d'une blessure ou d'une ecchymose. L'examinatrice indiqua que cette rougeur pouvait être attribuée à l'incident décrit par la plaignante tout comme elle pouvait être attribuée à de très nombreuses autres causes.

Lors de la période post-inculpation, nous avons consulté un docteur très expérimenté qui est un expert en matière d'examens médico-légaux dans les cas de délits et crimes sexuels. Cet expert a examiné le dossier médical de la plaignante du 14 mai 2011 et a conclu, comme l'examinatrice SAFE, que la coloration rouge était tout à fait non spécifique et qu'elle pouvait être attribuée à un très grand nombre de causes autres qu'un traumatisme, y compris toute forme de frottement, irritation ou inflammation de la zone considérée. Cet expert confirma également que, bien qu'il fût possible que cette rougeur résultât de la façon dont la plaignante dit avoir été empoignée par l'inculpé, il était peu probable qu'elle fût la conséquence d'un tel acte.

2. Blessure à l'épaule

Lorsqu'elle était à l'hôpital, la plaignante a d'abord indiqué souffrir d'une douleur à l'épaule gauche, qu'elle évaluait à 5 sur une échelle de 10 auprès de l'infirmière. Ainsi qu'il est indiqué dans son dossier médical, la douleur s'est clairement atténuée au fil des heures passées dans la salle des urgences. L'examen de la plaignante fait par le docteur aux urgences n'a révélé aucune douleur articulaire et il ne fut pas fait de radio. Il fut diagnostiqué que la plaignante avait subi une élongation musculaire et une contusion, bien qu'aucune ecchymose ou enflure ne puisse être constatée. Il ne lui fut administré aucun antidouleur et il ne lui fut pas prescrit d'en prendre.

Au cours des multiples entretiens qui se sont déroulés dans les jours suivant l'incident, il fut demandé à la plaignante si elle avait subi de quelconques blessures à la suite de l'incident, et cette dernière répondit systématiquement que son épaule était douloureuse le jour de l'incident, mais que ça allait beaucoup mieux le lendemain. Durant ces entretiens préliminaires, la plaignante n'a montré aucun signe de souffrance et ne s'est jamais plainte de douleurs ou d'inconfort, y compris tandis qu'elle faisait des mouvements vigoureux en présence des procureurs et des enquêteurs. En conséquence de ces déclarations répétées selon lesquelles elle ne souffrait d'aucune blessure et de ces conclusions médicales, aucune charge d'infliction de blessure n'a été invoquée à l'encontre du défendeur dans la plainte pénale ou devant le grand jury (18).

Le 13 juin 2011, l'avocat de la plaignante informa les procureurs que la plaignante souffrait violemment de l'épaule et qu'elle avait besoin d'un traitement médical immédiat la rendant indisponible pour toute audition. Le 22 juin 2011, son chirurgien orthopédique diagnostiqua, sur la base d'une IRM, que la plaignante souffrait d'une "déchirure musculaire SLAP type 2" à l'épaule gauche, accompagnée de tendinite et de bursite, mais était dans l'impossibilité d'établir la date de survenance de cette blessure ou son origine. Après s'être plainte d'autres symptômes, comme d'un engourdissement ou de fourmillements dans les doigts, la plaignante consulta un deuxième docteur, qui examina sa colonne vertébrale. A notre connaissance, ce médecin n'a pas établi de diagnostic.

Par le biais de son avocat, la plaignante a maintenant déclaré aux procureurs que cette blessure "déchirure SLAP type 2" résulte de sa rencontre avec l'inculpé. A ce jour, elle ne nous a pas donné l'autorisation d'examiner son dossier médical précédant la date de l'incident afin que nous puissions déterminer si cette blessure à l'épaule préexistait. Autre fait plus important encore, nous avons sollicité un expert en chirurgie orthopédique pour examiner tous les documents se rapportant à cette blessure à l'épaule. Cet expert a conclu qu'il est médicalement relativement certain que la blessure, si blessure il y avait (19), avait été probablement causée par "un usage répété du bras au-dessus de la tête dans une position pivotée et décalée", comparable au mouvement d'un athlète lançant un objet. Cet expert conclut également que si la déchirure musculaire révélée par l'IRM avait été causée par un acte isolé, tel que celui décrit par la plaignante, il aurait été accompagné "de douleurs importantes, non seulement pendant les douze premières heures, mais pendant au moins quelques jours". En outre, l'expert en question considère que "cette douleur ne saurait disparaître au cours des premières quarante-huit heures pour réapparaître ensuite vingt-huit jours plus tard".

Ainsi, compte tenu des différents éléments se rapportant à cette allégation de blessure infligée et en particulier des conclusions de l'expert, cette blessure ne saurait venir au soutien de l'allégation d'agression sexuelle figurant dans l'inculpation (20).

3. Les trous dans les collants

Comme nous l'avons indiqué plus haut, la plaignante portait deux paires de collants au moment de l'incident. Au moment où ces collants furent recueillis, et ensuite à l'OCME, il fut noté que la paire de collants la plus claire présentait des trous ou accrocs. L'un d'entre eux mesurait environ 7,5 centimètres de long et était situé à l'entrejambe, le long de la couture centrale. L'autre, situé dans une zone correspondant à la partie supérieure de la cuisse ou à la hanche, mesurait environ 3 centimètres.

Lorsque ces collants furent recueillis, la plaignante concéda volontiers à l'examinatrice SAFE puis, plus tard, aux procureurs et aux policiers, qu'elle ignorait si ces trous avaient été provoqués par le comportement du défendeur ou bien s'ils n'avaient aucun rapport avec l'incident. Tout le monde sait que des collants peuvent filer pour toutes sortes de raisons, y compris par leur usure normale. Pour ces raisons, nous ne saurions dire à un jury que les trous ou accrocs trouvés sur les collants de la plaignante corroborent l'allégation de rapport sexuel forcé.

C. Chronologie de l'attaque alléguée et comportement de l'inculpé dans ses suites immédiates

La relative brièveté de la rencontre entre l'inculpé et la plaignante a tout d'abord suggéré que l'acte sexuel n'avait probablement pas été consenti. En particulier, les enregistrements des utilisations des passes d'accès indiquaient que la plaignante avait d'abord pénétré dans la suite 2806 à 12 h 06 tandis que les enregistrements des appels téléphoniques ont montré plus tard que l'inculpé avait téléphoné à sa fille à 12 h 13 (21). Dès lors, il apparaît que, quoi qu'il se soit passé entre la plaignante et l'inculpé, cela n'a duré que sept à neuf minutes. Mais, compte tenu de l'incapacité de la plaignante à offrir une description précise et constante de ce qui s'est passé immédiatement après l'incident, il est impossible d'en déterminer la durée exacte. Le fait que l'inculpé ait passé un appel téléphonique rapidement à 12 h 13 ne permet pas non plus de déterminer quand l'incident s'est produit, combien de temps il a duré ou bien encore où se trouvait la plaignante entre 12 h 06 et 12 h 26. Toute conclusion que l'on pourrait essayer de tirer de la séquence des événements ne peut qu'être fragilisée par le fait qu'il est impossible d'arrêter de façon définitive cette séquence elle-même.

D. Preuves résultant de l'appel à l'aide de la plaignante

Les témoins auxquels la plaignante a fait appel aussitôt après les faits ont été interrogés par nos services à de nombreuses reprises et semblaient dignes de foi. Ces deux témoins ont indiqué que la plaignante semblait affectée en leur relatant sa rencontre avec l'inculpé. Mais en raison de notre incapacité à accorder un quelconque crédit à la plaignante ainsi que de sa capacité à faire démonstration d'émotions sur commande, la portée du caractère probant de ses appels à l'aide est singulièrement diminuée. Il est également remarquable que la version actuelle de cet appel à l'aide par la plaignante présente des incohérences avec certains aspects du récit de ce même événement par son supérieur.

E. Autres allégations d'inconduite sexuelle par l'inculpé

Pendant l'instruction, il a été porté à l'attention de notre Bureau qu'une autre femme, Tristane Banon (22), prétendait avoir subi une agression sexuelle de la part de l'inculpé, en France. Postérieurement à l'inculpation, Tristane Banon fit savoir publiquement que, lors d'une interview avec l'inculpé intervenue en France en 2003, ce dernier avait tenté de la violer dans un appartement vide (23). Il semble peu probable néanmoins que les procureurs puissent se voir autoriser à présenter le témoignage de Tristane Banon portant sur cette prétendue agression dans le cadre de la présente affaire.

Conclusion

Pour toutes les raisons évoquées ici, nous recommandons respectueusement à votre tribunal de rendre une décision de non-lieu dans l'affaire No 02526/2011. Aucune autre demande de non-lieu n'a été faite devant aucun autre juge ou tribunal.

New York, New York, le 22 août 2011

Joan Illuzzi-Orbon, assistant du procureur

John (Artie) McConnell, assistant du procureur

La traduction du texte original a été assurée par Pierre Servan-Schreiber, avocat aux barreaux de Paris et de New York.

Notes

(1) La "Supreme Court" signifie, à New York, le tribunal de première instance (NdT).

(2) Mention officielle toujours utilisée par le procureur, qui représente l'intérêt de la société (le peuple) devant le tribunal (NdT).

(3) Nous avons utilisé indifféremment "défendeur" ou "inculpé" pour traduire "defendent", par commodité de lecture (NdT).

(4) La présente requête explique les motifs de notre demande d'annulation de l'inculpation. Elle ne prétend pas établir des faits. C'est tout simplement que nous ne sommes plus certains, au-delà de tout doute raisonnable, que l'inculpé soit coupable.

(5) Au sein du service du procureur, plusieurs "Assistant District Attorneys" ou procureurs adjoints ont travaillé sur ce dossier. Le procureur lui-même et ses adjoints sont désignés par l'expression "les procureurs" dans ce document (NdT).

(6) En anglais : "we respectfully recommend that the indictment be dismissed", mais la traduction littérale ("nous demandons respectueusement que l'inculpation soit rejetée") serait moins parlante. De façon générale, nous nous sommes attachés à ce que la traduction soit aisément compréhensible plutôt que littérale (NdT).

(7) Le 9 juin 2011, l'avocat de la plaignante a téléphoné aux procureurs et interrompu l'audition de sa cliente. A partir de ce moment-là et jusqu'au 28 juin 2011, le bureau du procureur négocia avec l'avocat de la plaignante afin de pouvoir reprendre son audition, mais sans succès. Le 28 juin, dix-neuf jours après que son audition a été suspendue, la plaignante se présenta à nouveau pour poursuivre son audition.

(8) La plaignante a fait preuve de sa capacité à parler et à comprendre l'anglais au cours des nombreuses auditions et entretiens avec les inspecteurs et procureurs. Elle a même corrigé la traduction faite par l'interprète de ses déclarations à plusieurs reprises. On observe qu'elle ne l'a pas fait lorsqu'elle fut interrogée longuement sur ce point lors de l'audition du 28 juin.

(9) La question reste entière de savoir si la plaignante a quitté la suite immédiatement, ou pas du tout, après que l'inculpé a éjaculé. Le rapport fourni par le service des examens médico-légaux en matière d'agressions sexuelles (Sexual Assault Forensic Examiner "SAFE") qui a procédé à l'examen de la plaignante à l'hôpital le jour de l'incident décrit la relation par la plaignante de l'éjaculation du défendeur et écrit ensuite : "La plaignante rapporte qu'il s'est habillé + qu'il a quitté la chambre et qu'il n'a rien dit pendant l'incident." Ce rapport suggère certainement que le défendeur est sorti en premier, mais l'examinateur chargé du SAFE reconnaît que le rapport pourrait avoir condensé plusieurs déclarations séparées de la plaignante en une seule phrase.

(10) Au cours des auditions des 9 et 28 juin, la plaignante a affirmé avoir bien été violée dans son pays natal, mais au cours d'un incident totalement différent de celui qu'elle avait décrit lors des précédentes auditions. Nos entretiens avec la plaignante ne nous ont pas permis de vérifier ses dires de manière indépendante.

(11) A plusieurs reprises, les mensonges de la plaignante étaient accompagnés de manifestations d'émotion très vives. Au cours d'une audition, le procureur posa à la plaignante une question sur une circonstance personnelle particulière, et elle répondit très calmement par la négative. Au cours d'une autre audition, deux jours plus tard, il lui fut posé une question plus précise sur le même sujet. En réponse à cette question, elle tomba au sol et se roula par terre en pleurant ; après avoir repris possession de ses moyens, elle affirma ne pas avoir de réponse à la question du procureur. Dans un autre entretien, encore plus tard, le procureur revint sur cette question. Cette fois, la plaignante répondit par l'affirmative et de façon très factuelle à la question.

(12) Le fiancé de la plaignante a fait l'objet d'une condamnation en Arizona pour possession de marijuana en vue de sa revente après qu'il ait versé environ 36 500 dollars à des officiers de police en civil pour l'acquisition de larges quantités de marijuana. La plaignante a déclaré n'avoir aucune information lui permettant de savoir si les fonds déposés sur son compte résultaient d'un trafic de drogue.

(13) Cette conversation téléphonique fut traduite du fulani vers l'anglais par deux traducteurs ayant certifié la véracité et l'exactitude de leur traduction. Bien qu'il y ait des différences dans la transcription mot à mot de la conversation, les deux traductions sont similaires quant à la discussion intervenue sur le fait d'obtenir de l'argent avec l'aide d'un avocat au civil. Le 8 août 2011, la plaignante a assigné le défendeur au civil en demandant un montant en dommages et intérêts non encore spécifié.

(14) La chambre 2820 n'a pas été examinée par ces enquêteurs car ce n'est que le 28 juin 2011 qu'elle a indiqué y avoir pénétré.

(15) L'inspecteur a fait deux prélèvements de chaque zone pour les faire analyser par le laboratoire de médecine légale de l'OCME. Ces prélèvements n'ont pas révélé de trace de sperme ou d'amylase, une enzyme que l'on trouve dans la salive, le sperme ou d'autres fluides corporels comme les sécrétions vaginales.

(16) Trois autres taches sur la moquette contenaient du sperme et de l'ADN de trois autres hommes non identifiés et une autre tache contenait de l'amylase et des traces d'ADN de trois autres personnes non identifiées. La tache sur le papier peint contenait des traces de sperme et d'ADN d'un quatrième homme non identifié. Etant donné qu'il n'existe aucun élément permettant de penser que quelqu'un d'autre se soit trouvé présent dans cette chambre lors de l'incident incriminé, les circonstances dans lesquelles l'ADN non identifié y fut déposé sont sans intérêt dans le cadre de l'incident faisant l'objet de l'enquête.

(17) Lorsqu'elles furent transmises à l'OCME, la paire la plus claire était à l'intérieur de la paire plus foncée.

(18) En droit de l'Etat de New York, la notion de blessure physique requiert la preuve d'une "affectation de la condition physique ou d'une douleur importante" (article 10.00 [9] du Code pénal).

(19) Bien qu'il ne puisse conclure de façon définitive, l'expert a indiqué que le résultat de l'IRM pourrait être considéré comme normal. Dans son opinion, "[son] expérience et celles d'autres praticiens indiquent que les rapports d'IRM fournis par les radiologues ont tendance à surestimer les diagnostics de déchirures de type SLAP. Il est tout à fait possible que les conclusions du scanner puissent être considérées comme une variation normale étant donné que les déchirures SLAP de ce type peuvent se produire en absence de toute pathologie associée, c'est-à-dire de façon normale".

(20) Au cours d'un entretien qui s'est tenu le 27 juillet 2011, la plaignante a pour la première fois prétendu que le fait que l'inculpé ait empoigné son vagin lui avait causé des douleurs lorsqu'elle urinait dans les jours ayant suivi l'incident. Son dossier médical ne contient aucune trace d'une telle plainte, et la plaignante n'en a jamais parlé aux procureurs avant le 27 juillet, contrairement à ce qu'elle avance aujourd'hui.

(21) Le jour de l'incident, il pouvait y avoir un écart d'environ deux minutes entre l'heure indiquée sur les enregistrements d'utilisation des passes et dans l'ordinateur de l'hôtel et l'heure réelle, les horaires enregistrés pouvant être en avance de deux minutes sur l'heure réelle. Bien qu'il nous ait été dit que les heures des appels dans les enregistrements des téléphones portables sont synchronisés avec l'heure réelle, nous ne pouvons pas déterminer le passage du temps avec certitude compte tenu du décalage dans les enregistrements de l'hôtel.

(22) Le nom est caviardé sur la copie officielle de la requête du procureur (NdT).

(23) Claire Chartier et Delphine Saubaber, "Pourquoi je porte plainte contre DSK", L'Express, le 4 juillet 2011.

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