Les Echos, no. 21024 - Le g20 face à la crise, lundi 26 septembre 2011, p. 10
Au Forum économique mondial de Dalian, il y a dix jours, l'échec économique et politique de l'Europe était sur toutes les lèvres. Et la Chine, pays hôte, semblait au plus haut de sa gloire.
Un monde nouveau. Bouillonnant d'idées, et se passant de mieux en mieux de l'Europe. Pour le visiteur occidental, difficile de se défaire de cette impression après le Forum économique mondial de Dalian, qui s'est tenu il y a dix jours dans le nord de la Chine. Un « Davos asiatique », où toute la planète émergente semblait s'être donné rendez-vous pour débattre de sujets balayant l'économie, la politique, les sciences, la culture et les arts. Mais, actualité oblige, c'était l'Europe qui occupait tous les esprits. Et c'est bien la capacité de ses leaders à résoudre une crise de plus en plus incontrôlable qui était mise en doute.
Le plus frappant était probablement la franchise avec laquelle cette question était posée. Dans un pays où l'on a pour habitude de baisser d'un ton lorsque le sujet politique est abordé, plus personne ne prenait de pincettes pour exhorter les chefs d'Etat européens au courage et à l'action. Ainsi, George Yeo, ancien homme politique singapourien, a-t-il résumé l'opinion générale en estimant que l'Europe n'avait « aucun moyen d'échapper à de très douloureuses restructurations » avant d'avouer avoir peur que les réunions actuelles ne soient « qu'un moyen de repousser cette douleur ». De son côté, Gordon Brown, l'ex-Premier ministre britannique, a eu des mots durs pour ses anciens pairs. « Le leadership politique n'a pas apporté de résultat à la crise parce qu'il regarde à l'intérieur de ses frontières », a-t-il tranché. Et d'appeler, comme la plupart des intervenants au cours de ces trois jours, à une réunion du G20 anticipée pour prendre au plus vite des décisions fortes, notamment en matière de rééquilibrage de la croissance mondiale. L'échéance de Cannes, au mois de novembre, semble bien loin par rapport au degré d'inquiétude actuel.
L'imminence d'un scénario noir
Plus encore, de table ronde en table ronde, le débat finissait immanquablement par buter sur ce constat : les démocraties européennes, par faiblesse et probablement par suffisance, n'ont pas vu le vent tourner. Ainsi William Rhodes, l'ancien vice-président de Citigroup et Citibank, ne s'est pas privé de rappeler avec quelle assurance ses « amis européens » analysaient la crise grecque à ses débuts. « Quand je leur parlais de la contagion qu'avait connue l'Asie lors de la crise de 1997-1998, ils répondaient : "nous sommes différents". La contagion est un concept dont personne ne se souvient en Europe. » De la même manière, analyse-t-il, les dirigeants européens ont manifestement négligé que l'on n'a « jamais beaucoup de temps pour résoudre une crise ». Deux ans après les premières inquiétudes sur les finances d'Athènes, difficile de nier qu'il est un peu tard.
Question corollaire : les pays européens, et notamment le couple franco-allemand, vont-ils enfin agir, devant l'imminence d'un scénario si noir que chacun, à Dalian, se refusait à l'envisager ? C'est en tout cas le souhait très clair qu'ont formulé la plupart des Chinois qui se sont exprimés. Invariablement, ils ont exhorté les Européens à balayer devant leur porte. Le Premier ministre Wen Jiabao lui-même, dans son discours d'ouverture, a été on ne peut plus clair, demandant à l'Europe de mettre de l'ordre dans ses propres problèmes. Même position de la part de Li Daokui, un économiste très influent qui a publiquement estimé que Pékin était déjà un investisseur « extrêmement coopératif » et que « aucun pays au monde ne peut être sauvé par la Chine ».
Voilà l'autre conclusion implicite de ce forum. Pour l'instant, la Chine n'a aucune intention d'augmenter massivement son exposition aux dettes souveraines européennes. Difficile d'échapper à ce constat presque humiliant pour les Européens sur place : acheter de la dette italienne ou - pire -grecque est perçu, aujourd'hui, comme très risqué par les économistes chinois, et même par le grand public. La crainte du défaut de paiement est manifeste.
Confiance envers les Etats-Unis
Autre évidence douloureuse qui s'imposait : la sous-représentation des Européens à Dalian. A chaque table ronde s'exprimaient, sur la scène, des gens brillants issus le plus souvent des « pays en développement ». D'Asie, du Moyen-Orient, d'Amérique latine, parfois d'Afrique, ils parlent le plus souvent un anglais remarquable, pilotent à une quarantaine d'années des politiques publiques ou gèrent des projets dans les domaines de l'énergie ou des sciences. Nanotechnologies, nouvelles thérapies, neurosciences, toutes les disciplines se croisaient avec enthousiasme. Il y avait également, lors de ces conférences, une foule de chercheurs issus des prestigieuses facultés américaines. Mais d'Européens, assez peu.
Là encore, le constat est amer. L'économie américaine a beau présenter des symptômes inquiétants, tous les intervenants s'exprimant sur la conjoncture mondiale s'entendaient pour dire qu'elle les inquiète moins. A l'image de Tidjane Thiam, qui dirige le groupe Prudential, pour qui « les Etats-Unis sont un cas de figure différent de l'Europe, car leur économie est très innovante ». Rien à voir avec le Vieux Continent, où « les politiciens ne nous ont franchement pas donné assez confiance, à nous, investisseurs ». Plus dynamiques, plus « résilients », les Etats-Unis n'ont pas encore perdu leur capital de confiance.
Jamais, probablement, le bouleversement tectonique auquel nous assistons n'avait été aussi palpable : cette fois, c'est bien la Chine, forte de ses capitaux, qui est en mesure d'apporter une partie de la solution à l'économie européenne. Et, sur le plan des valeurs, c'est bien le système démocratique qui est explicitement mis sur la sellette, face à un régime chinois dirigiste qui, pour l'heure, peut se targuer d'avoir évité le gros de la crise internationale. Ce qui permettait à George Yeo de remettre les Occidentaux à leur place, eux qui ont trop souvent été prompts à expliquer au reste du monde que leur système était le meilleur. « La Chine aura toujours un système différent [...] Il faut être ouvert aux autres et ne pas chercher à interférer. » Une sorte de résumé de la doctrine officielle de Pékin, fondée sur la non-ingérence. Dans la salle, un murmure de soulagement et d'approbation parcourt l'assistance.
A Dalian, cela apparaissait comme une évidence : l'Europe a désormais le choix entre le sursaut ou le chaos. Comme le résumait Vincent Van Quickenborne, le ministre belge de l'Economie et des Réformes, « nous devons choisir entre l'union et le divorce ». Avec son édifice bancal qui mutualise la monnaie sans faire de même pour la fiscalité et la politique économique, elle semble désormais perçue par le monde émergent comme une entité intrinsèquement déficiente.
Autrement dit, si le Vieux Continent veut regagner une partie de sa légitimité et de sa crédibilité, il lui faut s'imposer un électrochoc pour aller de l'avant. Et démontrer que les démocraties peuvent accoucher de décisions courageuses, quelle que soit la frilosité de leurs peuples. Au-delà des inévitables ajustements budgétaires, il faudra aussi que l'Europe s'ouvre plus fortement aux vents du large. « Seuls 7 % des échanges de l'Europe sont faits avec les grands émergents », s'est lamenté Gordon Brown. Même analyse de Tidjane Thiam, pour qui « les banques françaises ont longtemps cru qu'être présentes en Pologne, c'était se diversifier géographiquement. Cela ne suffit plus ».
Des opportunités à saisir pour la Chine
Autre ajustement qui apparaît désormais inévitable : il va falloir accepter de normaliser notre rapport avec les entreprises chinoises. Beaucoup sont riches et cherchent à sortir de leurs frontières. En la matière, la crise actuelle représente une opportunité que la Chine compte bien saisir. Wen Jiabao a très clairement appelé les dirigeants du Vieux Continent à ouvrir leurs bras aux investissements de son pays. Le moment chinois est venu pour l'Europe. L'Europe aura-t-elle la tentation du repli ? Ou saura-t-elle y voir une chance ?
Lorsqu'on interroge les analystes sur ce thème, ils sont convaincus que les infrastructures de transport représentent des cibles privilégiées pour les entreprises de l'empire du Milieu, car elles sont cruciales pour la maîtrise des flux commerciaux avec l'Europe. Après la Grèce, nous allons probablement voir des ports italiens ou espagnols tomber dans l'escarcelle de Pékin. Les Européens vont-ils s'en offusquer, ou y voir une bonne nouvelle pour l'activité et l'emploi ? La même question peut s'appliquer aux marques de grande consommation (alimentaire, mode, électronique grand public) déclinantes en Europe : elles sont susceptibles d'intéresser fortement des entreprises chinoises qui peinent à asseoir leur crédibilité vis-à-vis des consommateurs, y compris dans leur propre pays. L'Europe va-t-elle s'arc-bouter et empêcher à tout prix ses marques à bout de souffle de passer sous giron chinois, alors que cela peut représenter pour elles une bouffée d'oxygène ? Quant aux entreprises européennes à plus fort contenu technologique, il est clair qu'elles intéressent aussi les Chinois. La plus grande prudence s'imposera en la matière pour ne pas céder les savoir-faire les plus stratégiques. Mais comme le note Gordon Orr, qui dirige les opérations de McKinsey en Asie, « le jour où les entreprises chinoises rachèteront des sociétés technologiques sera aussi celui où la Chine protégera efficacement la propriété intellectuelle. Cela constituera une bonne nouvelle pour les économies avancées ».
Enfin, plusieurs intervenants à Dalian ont fait remarquer que les entreprises des pays émergents ont souvent dû s'imposer sur des marchés déjà existants. Elles ont donc dans leur code génétique une aptitude à l'adaptation et à l'innovation qui pourrait être un bol d'air pour nos économies ankylosées. A l'image des pays dont elles sont issues, elles bouillonnent d'énergie. De la même manière que la Chine, il y a trente ans, s'est fait violence pour s'ouvrir avec prudence aux vents du large et sortir de sa torpeur, on ne pouvait pas, à Dalian, échapper à cette question : et si l'heure était venue, pour l'Europe, d'en faire autant ?
Gabriel Grésillon
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Il y a 1 an
1 commentaires:
analyse de Tidjane Thiam, pour qui « les banques françaises ont longtemps cru qu'être présentes en Pologne, c'était se diversifier géographiquement.
Le problême n'est il pas plus tôt qu'elles ont cru qu'être présentes en GRECE, c'était se diversifier géographiquement ?
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