jeudi 22 septembre 2011

La cote de confiance des élites pique du nez - Huanqiu Shibao

Courrier international, no. 1090 - Asie, jeudi 22 septembre 2011, p. 37

"Peu importe que les autres leur fassent confiance ou pas, moi c'est terminé !" Le scandale Guo Meimei [du nom d'une jeune femme de 20 ans qui, en juin dernier, a affiché sur le site de microblogging Weibo un train de vie luxueux tout en affirmant diriger une entreprise liée à la Croix-Rouge chinoise] a semé le doute dans l'esprit de Mme Zhang, pourtant soucieuse des grandes causes. "Auparavant, je pensais que la Croix-Rouge, qui a le soutien du gouvernement, était le meilleur moyen pour faire des dons, mais apparemment ce n'est pas le cas !" Les explications apportées par la Croix-Rouge à la suite de l'affaire Guo Meimei n'ont pas convaincu Mme Zhang.

Par le passé, elle n'avait pourtant pas hésité à verser de l'argent à cette organisation caritative après de grandes catastrophes, que ce soit lors du séisme de Wenchuan [le 12 mai 2008, un tremblement de terre de magnitude 8 dont l'épicentre se situait dans cette ville de la province du Sichuan fit plus de 87 000 morts et disparus] ou lors des coulées de boue dans la province du Gansu [plus de 1 700 morts et disparus le 8 août 2010]. Désormais, sa position est arrêtée : "Dans l'immédiat, je ne donnerai plus par l'intermédiaire de la Croix-Rouge, pour moi elle a perdu toute crédibilité."

Des dons en chute libre

L'institution en question n'est pas la seule concernée. Ces derniers mois, des irrégularités fiscales ont touché une collecte de fonds de la Fédération chinoise des oeuvres caritatives et un programme destiné à l'Afrique de la Fondation pour le développement de la jeunesse chinoise a soulevé bien des interrogations. Cela a conduit à une baisse de la cote de confiance des organisations caritatives, entraînant une chute spectaculaire des fonds récoltés. Les dons des particuliers n'ont ainsi cessé de dégringoler depuis l'affaire Guo Meimei. Ils sont passés de 6,26 milliards de yuans [707 millions d'euros] collectés de mars à mai à moins de 840 millions de yuans [95 millions d'euros] de juin à août, soit une baisse de 86,6 %, selon les données du site [gouvernemental] charity.gov.cn.

Les organisations caritatives ne sont pas les seules victimes de cette crise de confiance. Un scepticisme généralisé s'est emparé du pays. Wu Zhongmin, professeur de sociologie à l'Ecole centrale du Parti communiste chinois, estime que l'érosion régulière de la confiance s'explique essentiellement par le problème de la crédibilité du pouvoir. Pour l'Observatoire de l'opinion publique [un institut de sondages appartenant au groupe du Quotidien du peuple, le journal du Parti communiste], cette crise de confiance touche d'abord les autorités gouvernementales, les experts et les médias. On ne les croit plus. "La perte de crédibilité est particulièrement nette au niveau gouvernemental", ajoute Pang Hurui, analyste responsable de l'observatoire.

Dans les ministères ou les collectivités locales, certains fonctionnaires tentent de museler l'information et l'opinion publique quand un événement imprévu survient, ce qui, bien souvent, ne fait qu'accroître le mécontentement populaire. Il en découle une défiance de la population à l'égard des informations transmises par les autorités, lesquelles doivent ensuite se consacrer à dissiper les rumeurs et à apaiser la grogne. De fait, le manque de franchise de certains dirigeants dans la conduite des affaires publiques ne permet pas de lever les doutes que nourrit la population. C'est alors que de soi-disant spécialistes interviennent dans les médias et avancent des opinions qui n'ont rien d'impartiales mais qui cherchent d'abord à tempérer le scepticisme ambiant. Ils aboutissent à l'effet inverse de celui recherché, provoquant des crises de confiance en chaîne.

Les dirigeants gouvernementaux, les experts et les médias étaient pourtant considérés jusqu'à il y a peu comme les catégories les plus dignes de la confiance publique. Comment expliquer leur perte de crédibilité ? Une inadéquation entre l'"offre" et la "demande" apparaît comme la réponse la plus évidente. Côté "offre", l'intérêt porté par le gouvernement à la notion de confiance demeure insuffisant. Certains services gouvernementaux locaux ou nationaux "n'agissent pas au mieux et ne réagissent pas correctement", estime Bo Guili, responsable du Centre de recherche sur l'administration publique à l'Ecole nationale d'administration de Chine.

Bureaucratie et privilèges

"S'ils n'agissent pas au mieux, c'est essentiellement parce que leur relation avec la population reste figée entre administrateurs et administrés", poursuit Bo Guili. Actuellement, une partie des dirigeants ont une conception assez stricte de la bureaucratie et restent attachés aux privilèges liés aux fonctions qu'ils exercent. Ils s'expriment beaucoup mais agissent peu. Certains fonctionnaires gardent l'habitude de réagir en étouffant ou en occultant les faits. Ce qui devrait être rendu public ne l'est pas, d'où, bien souvent, de folles rumeurs qui se répandent à grande vitesse. "Si les dirigeants ne font pas confiance à leurs administrés, comment peuvent-ils espérer gagner la leur ?"

Alors que l'"offre" gouvernementale est insuffisante, la "demande" citoyenne grossit chaque jour un peu plus. Avec les avancées sociales, les exigences croissent en matière de participation aux affaires publiques et de transparence. Faute de mieux, certains se fient à Internet pour connaître la vérité et pour exprimer leurs doléances. Mais, lorsque Internet sert à amplifier une grogne et à remettre en cause la véracité et l'équité de certaines pratiques gouvernementales, cela peut se traduire par une chute considérable de la cote de confiance des autorités.

Les experts et les médias, eux, souffrent d'un déficit de confiance qui reflète un égarement face aux conflits d'intérêts sur fond de mutation sociale. Le professeur de sociologie Wu Zhongmin estime que la perspective de gains considérables et la quête d'honneurs poussent une partie de ces spécialistes à privilégier une réussite rapide aux dépens de la sérénité de leurs recherches et de leur conscience scientifique. De leur côté, certains médias ne s'attachent plus à la véracité des faits mais s'abaissent à devenir les porte-parole de groupes d'intérêt. "Dès lors qu'ils ont perdu leur esprit de rigueur et leur impartialité, experts et médias ont également perdu ce sur quoi repose la confiance du grand public."

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