Le Monde - Environnement & Sciences, jeudi 22 septembre 2011, p. 8
Les habitants de Hongxiao, petit bourg au sud-ouest de Shanghaï, pensent avoir remporté une bataille. L'usine de panneaux solaires qu'ils soupçonnent d'avoir pollué la rivière traversant leur village a suspendu son activité depuis lundi 19 septembre. Pour obtenir cet arrêt temporaire, il aura fallu en venir aux poings.
Les trois manifestations qu'ils ont organisées en fin de semaine, aux côtés des résidents des trois bourgs qui jouxtent l'imposant complexe de Jinko Solar, un exportateur coté à la Bourse de New York, ont dégénéré. Les pierres ont volé jusque dans la cantine de l'usine, les portes du bâtiment ont été forcées, quatre voitures de dirigeants de l'entreprise ont été retournées. Pour rétablir le calme dans cette zone mi-rurale, mi-industrielle où d'imposantes usines sont campées au beau milieu des rizières, le gouvernement a appelé des policiers antiémeute.
Dans le Zhejiang, province qui couvre le sud du très productif delta du Yangzi, les progrès économiques sont rapides mais présentent un coût écologique élevé. L'environnement devient une source de tensions politiques, comme l'illustre le soulèvement de Hongxiao. Et comme l'a illustré en août celui de Dalian, dans le nord-est du pays, où des habitants ont obtenu la fermeture d'une usine pétrochimique.
Le gouvernement local de Hongxiao a fini par intervenir, surtout après la découverte à la fin du mois d'août, de poissons morts dans la rivière. L'usine a admis lundi que des déchets contenant du fluorure, un produit toxique à haute dose, avaient été stockés à l'extérieur des bâtiments et qu'une " fuite ", pendant les pluies abondantes de la fin août, avait pollué le cours d'eau.
Aux employés de Jinko, les patrons avaient raconté une version différente. " Dimanche, les chefs de service ont réuni toutes les équipes et expliqué que la pollution avait été causée par une autre usine dont des employés sont venus en douce jeter les eaux usées chez nous ", explique un couple de travailleurs migrants originaires de la province du Henan.
La pollution de l'eau n'est pas la seule inquiétude. Les habitants racontent que les seize cheminées de l'usine, dont une partie a été installée il y a un an, dégagent une odeur nauséabonde. " Ça commence juste après minuit. Et lorsque le vent vient de l'est, c'est terrible. Il y avait d'ailleurs moins de moustiques cet été ", raconte une femme qui vit à quelques mètres du mur qui sépare l'usine du village.
Surtout, les habitants n'en pouvaient plus de n'obtenir aucune information fiable sur l'environnement de leur village. A 60 ans, atteint d'un cancer du poumon, Ma Gensheng n'a pas pu aller manifester. Mais il ne décolère pas : " Je ne saurai jamais si ma maladie est due à l'activité de l'usine mais beaucoup de voisins le pensent ", dit cet homme, enlevant sa casquette pour dévoiler un crâne nu. C'est le seul témoin à donner son nom sans crainte. Les médecins lui ont dit qu'il n'en avait plus que pour quelques mois. " Nous pensons que les produits qu'ils utilisent sont dangereux. L'air empeste et si les poissons sont morts dans la rivière, l'eau ne doit pas être bonne pour les rizières. En plus, l'école primaire est à 100 m de l'usine. " Sa conclusion ? " Jinko doit déménager ! "
Un de ses voisins, Yang Lihua, entrepreneur de 42 ans, fait partie de ceux qui ont été arrêtés pour avoir appelé les familles à se rassembler pour faire entendre leur colère. Les autorités de Haining, la municipalité à laquelle est rattaché le bourg, ont annoncé mardi que 31 personnes étaient en détention depuis les manifestations.
31 victimes de cancers
Un homme est retenu au commissariat pour avoir " répandu des rumeurs " : il aurait avancé le chiffre de 31 victimes de cancers dans les quatre villages environnants depuis 2006. Or bon nombre d'habitants sont persuadés que ce chiffre est réel, bien qu'ils ne parviennent pas à citer les noms de tous les malades.
" La police a arrêté des gens au hasard ce week-end. Pourquoi protège-t-elle l'usine et pas nous, les villageois, alors que nous avons plusieurs fois dénoncé cette pollution ?, s'énerve une jeune femme. C'est pour cela que nous nous en sommes également pris aux véhicules de police. " Chaque soir, des agents bloquent l'accès à la rue où se trouve l'entrée de l'usine, empêchant les journalistes chinois d'y accéder. L'explication est évidente aux yeux de cette femme : l'entreprise étant de loin le premier contribuable au budget du gouvernement local, les officiels se plient à ses demandes.
Zhang Longgeng, directeur financier de Jinko Solar, temporise : " En tant qu'entreprise cotée, nous assumerons nos responsabilités. Nous nous préoccupons de la santé des gens et coopérons pleinement avec le gouvernement local. " Il précise que l'entreprise dispose d'un système de traitement des eaux et ne relâche jamais ses eaux usées sauvagement.
" Quant au nombre de cancers, les autorités ont démenti, la personne qui a lancé la rumeur a été arrêtée, dit M. Zhang. Certains villageois veulent donner de l'importance à l'histoire des poissons morts. Nous ne savons pas pourquoi ils s'en prennent à Jinko. "
Harold Thibault
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