mardi 4 octobre 2011

REPORTAGE - Faillites, suicides, entrepreneurs en fuite... A Wenzhou, le blues du secteur privé

Le Monde - Economie, mardi 4 octobre 2011, p. MDE5

Les gigantesques résidences le long du fleuve n'ont pas bougé et quelques riches exhibent toujours leur voiture de sport sur la grande avenue du Peuple. Mais il ne faut pas s'y tromper, Wenzhou vit des moments difficiles. Connue à travers toute la Chine pour la puissance de ses hommes d'affaires et de ses spéculateurs, cette ville de 3 millions d'habitants située à 250 kilomètres au sud de Shanghaï subit de plein fouet le manque de liquidités.

Un chauffeur de taxi, M. Xu, rectifie d'ailleurs cette image de cité richissime et précise que le petit peuple en bave : " Ici, les riches spéculent sur tout, même sur les abricots, mais si ils ont dix appartements vides, nous, nous n'avons rien du tout. " Pourtant ces derniers mois, les fortunés de Wenzhou ont aussi leurs soucis touchés qu'il sont par le resserrement du crédit à l'échelle nationale. La police de la ville a d'ailleurs annoncé, mardi 27 septembre, que le patron d'une société produisant des chaussures s'est suicidé et que vingt-neuf autres entrepreneurs ont pris la fuite, incapables de rembourser des prêts contractés hors du système bancaire.

Car Pékin a imposé depuis l'automne 2010 un durcissement du crédit bancaire pour lutter contre l'inflation, notamment dans le secteur immobilier. Les taux d'intérêt de la banque centrale ont été relevés trois fois depuis le 1er janvier. Les banques commerciales préfèrent donc prêter aux grands groupes publics, qui bénéficient implicitement du soutien de l'Etat, qu'aux petites et moyennes entreprises (PME) privées.

Or, ce que Wenzhou sait faire de mieux depuis l'ouverture économique a été de développer son secteur privé. Eloignée des régions privilégiées par le gouvernement central pour ses investissements (Pékin, Shanghaï ou Canton), la ville a appris à se débrouiller. Ses hommes d'affaires empruntent aux tontines, les cercles de crédit privés, ou investissent directement dans l'immobilier en groupe. " Ces achats groupés permettent d'avoir du poids dans les négociations et d'effectuer des investissements plus conséquents ", explique Gao Haoxiang, de " l'agence immobilière " du quotidien Wenzhou Soir. Le journal local s'est fait une spécialité d'organiser, par ses pages d'annonces immobilières, la rencontre d'investisseurs à la recherche de partenaires.

Tarissement des fonds

M. Gao explique que la rigueur du crédit depuis près d'un an a renforcé les réseaux de financement sous-terrains : " De plus en plus de prêts se font directement entre personnes mais les taux sont bien plus élevés que ceux des banques. " Les coûts de financement des entreprises de l'agglomération ont augmenté de 40 % à 50 % depuis 2010, selon l'Association de développement des PME de Wenzhou.

Cela pousse certains à la faillite. Le 21 septembre, la police a ainsi dû empêcher une manifestation de créanciers devant le siège de Center Group, un producteur de verres optiques en situation de banqueroute, endetté à hauteur de 1,3 milliard de yuans (150 millions d'euros). Son directeur, Hu Fulin, aurait quitté la ville.

Or, Wenzhou est une cité-clé et avant-gardiste du secteur privé de la Chine. Le reste du pays reproche d'ailleurs fréquemment aux investisseurs issus de la ville d'être des spéculateurs. Ils ont été très actifs sur l'immobilier à Shanghaï " parce que les prix y étaient élevés et que tous considéraient que c'était la ville porteuse pour investir ", dit M. Gao. Des chambres de commerce de Wenzhou sont enregistrées aux quatre coins du pays, jusqu'à la très reculée préfecture d'Aksu, aux confins du nord-ouest de la Chine, près de la frontière kirghize.

Le tarissement des fonds les pousse donc à réduire la voilure, ou à regarder ailleurs. En août, un sondage de la principale chambre de commerce de Wenzhou a montré que 80 % de ses 40 000 membres réfléchissent à retenir leurs investissements sur les marchés immobiliers de Shanghaï et de Pékin, où les prix ont cessé leur ascension ces derniers mois.

Harold Thibault

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