Les Echos, no. 21053 - L_enquête, lundi 7 novembre 2011, p. 11Dans la province industrielle du Guangdong, la hausse des coûts tourne au casse-tête. Les entreprises les plus faibles y succombent. Les autorités aident les autres à se réinventer. Avec plus de machines et moins d'hommes.Sur leur étagère, rangés côte à côte, Pluto, Tigrou et Super Mario affichent un sourire radieux qui les ferait adopter par le premier bambin. Tout autour, dans le même meuble vitré, leur centaine de congénères en peluche semblent tout aussi réjouis. Assis juste à côté, Deng Hongping n'a pourtant pas le coeur à rire. Patron fondateur de la petite entreprise de confection de jouets Donglin, il tourne dans tous les sens le casse-tête qu'est devenue la gestion de sa société. Ce self-made-man à la chinoise, qui a commencé comme simple ouvrier à l'âge de dix-sept ans, met aujourd'hui toute son énergie à réinventer son entreprise pour la sauver. Mais il l'avoue : « Je suis désespéré ! »
Nous sommes à Dongguan, dans cette province méridionale du Guangdong qui s'est vu assigner le rôle de territoire d'expérimentation du capitalisme à la fin des années 1970. Poumon industriel qui garantit à lui seul presque 30 % des exportations de la Chine, le Guangdong est aujourd'hui à un croisement. La demande des marchés développés se tasse. La main-d'oeuvre se renchérit rapidement, de même que les matières premières. Et pour ne rien arranger, le taux de change du yuan s'est apprécié face au dollar. Une série de difficultés qui résume à elle seule l'implacable alternative qui se pose aujourd'hui à nombre d'entreprises du pays : monter en gamme ou mourir.
Darwinisme économique
A quelques mètres de Pluto et Tigrou se trouve l'atelier de Donglin. Ou plutôt ce qu'il en reste. Une couche de poussière a élu domicile sur la plupart des 66 machines à coudre installées en ligne. Seules huit couturières travaillent encore ici. En tout, Deng Hongping n'emploie plus, aujourd'hui, qu'une trentaine de personnes. Contre 200 il y a quelques années.
Pas besoin de chercher loin pour avoir l'explication. « A la fin des années 1990, on payait 700 yuans par mois des salariés qui travaillaient quatorze heures par jour. Aujourd'hui il faut leur donner près de 3.000 yuans pour huit à dix heures de travail quotidien. » Trop cher. Voyant ses marges fondre, Deng Hongping a fini par délocaliser. Non pas au Vietnam ou au Bangladesh, trop lointains et complexes, mais dans l'intérieur des terres, là où l'on peut encore payer les travailleurs moins de 1.500 yuans par mois. Autrefois sous-traitant, il est devenu lui-même donneur d'ordre pour des prestataires installés dans le Henan.
Ce jour-là, des centaines de Super Mario ayant effectué plus de 2.000 kilomètres en camion s'entassent dans l'atelier de Donglin. Ici, on se contente désormais de contrôler leur qualité et de leur coudre une ultime étiquette. Deng Hongping le sait bien : d'un point de vue strictement économique, son atelier de Dongguan est en train de perdre sa raison d'être. D'ailleurs, son chiffre d'affaires a beau augmenter, son profit, lui, est en baisse de plus de 30 %. Dans le Guangdong, les tâches intensives en main-d'oeuvre n'ont plus d'avenir.
D'où le plan de Deng Hongping. Il a embauché cinq designers, chargés de dessiner eux-mêmes les jouets produits - donc en grande partie sous-traités -par sa société. « Notre marge est d'un peu plus qu'e 1 yuan par peluche dessinée par nous, contre moins de la moitié pour tout jouet que nous exécutons sur les plans d'un donneur d'ordre. » Mais la partie est loin d'être gagnée. Il faut se faire un nom, s'imposer en tant que marque. Puis réussir à se protéger de la contrefaçon. Deng Hongping est lucide. Il a beau juger que sa stratégie est la seule possible, Deng Hongping se dit « très inquiet pour l'avenir ». A deux pâtés de maisons de là, une rue étonnamment silencieuse. « Ici, il y avait encore récemment des ateliers de confection de jouets », raconte-t-il. Son seul espoir serait « que le gouvernement mette un terme à l'inflation, qui nous oblige constamment à augmenter les salaires. » Mais on sent qu'il craint d'être une des victimes indirectes du darwinisme économique du secrétaire général du Parti communiste du Guangdong, Wang Yang (lire ci-contre). Ce dernier n'a-t-il pas déclaré qu'il faut « laisser faire faillite les entreprises pour lesquelles il n'existe pas d'alternative » ?
Chouchouter les salariés
Une phrase qui n'est pas synonyme, pour autant, de laisser-faire absolu. Lorsqu'il y a du potentiel, les autorités se mobilisent. A une trentaine de kilomètres de l'entreprise Donglin, Li Shaohui est également assis à côté d'une vitrine. Cette fois, ce sont des Ronald McDonald's et autres figurines pour Happy Meal qui retracent, sur vingt ans, l'histoire de sa société, Combine Will. D'une tout autre envergure, celle-ci a reçu l'appui du gouvernement local pour se réinventer. Une équipe de consultants venus de Hong Kong, financée à moitié par les autorités, a proposé deux axes stratégiques pour l'avenir : diversification et automatisation. Lorsqu'on façonne le plastique, pourquoi se cantonner aux jouets, activité low cost par excellence ? Chez Combine Will, on fabrique désormais, entre autres choses, des distributeurs de savon liquide automatisés, sur lesquels la marge est plus élevée. L'autre nouveauté est immédiatement perceptible lorsqu'on visite le site de production. Ici, une femme s'affaire entre trois machines qui, toutes les huit secondes environ, lui présentent, au bout d'un bras articulé, une nouvelle pièce de plastique fraîchement pressé qu'elle doit découper en plusieurs morceaux à répartir dans différentes boîtes. « Les Temps modernes » en Chine. « Nous avions 3.000 salariés, nous ne dépassons plus les 2.000 », s'enorgueillit Li Shaohui. A terme, faudra-t-il produire ailleurs ? « Nous y réfléchissons. Peut-être qu'un jour nous devrons conserver ici les seules activités de recherche et développement. »
En attendant, mieux vaut chouchouter ses salariés. « S'ils peuvent gagner quelques dizaines de yuans de plus ailleurs, ils vous quitteront du jour au lendemain », prévient Joël Pujol, un consultant français installé dans la région depuis une vingtaine d'années. Deng Hongping s'arrache parfois les cheveux, « avec les jeunes notamment, qui n'ont plus aucune fidélité envers l'entreprise car ils ne craignent plus le chômage, et s'informent entre eux de toute offre d'emploi plus rémunératrice ».
Le problème se pose aussi chez la société Wooltex, qui produit des fibres textiles. John Lam, qui en dirige les finances, a divisé par deux son nombre de salariés, grâce à l'investissement dans de nouvelles machines. Au final, il est ainsi parvenu à... maintenir constante sa masse salariale. Alors John Lam bichonne ses équipes. Dans la cantine flambant neuve, on croise des familles avec enfants. « Nous voulons que nos équipes, logées sur place, se sentent ici chez elles, d'où la présence des enfants. » Juste à côté, quelques salons de karaoké et des terrains de sport pour se détendre.
Fini le Far West. L'époque où certains patrons du Guangdong étaient des mercenaires à la manoeuvre sur une zone de non-droit est terminée. « Le profil des entrepreneurs change », note Joël Pujol. « Le made in China de cette époque est devenu indésirable ici car il dévalue le nouveau », analyse-t-il. Désormais, les autorités soutiennent les entreprises ambitieuses et innovantes.
Sans elles, Xu Xuan ne serait pas en train de présenter ses ustensiles de cuisine colorés à des milliers de curieux. C'est le gouvernement qui a payé le stand de sa société, Tansung, lors du Forum des PME de Canton. Manifestement, Tansung a su les convaincre que son projet était solide. Il consiste à prendre ses distances avec le sacro-saint modèle exportateur. La hausse du yuan pénalise les ventes. Certes, la situation n'est pas aussi critique que chez Wooltex dont John Lam prédit la mort certaine « si le yuan augmente encore de 5 % ». Mais l'appréciation du taux de change face au dollar, combinée au tassement de la demande à l'étranger, a fini par pousser Tansung à miser sur le marché intérieur. Sous-traitant pour des grandes entreprises occidentales, Tansung veut devenir une marque à part entière sur le sol chinois. Une équipe marketing ad hoc s'est penchée sur les méthodes culinaires des différentes provinces chinoises, pour coller aux demandes de chaque marché. Et négocie actuellement avec différents distributeurs potentiels. « Nous sommes entre deux eaux, et ce n'est pas une mutation simple », reconnaît Xu Xuan. Mais le cap est clair.
Nouvel écosystème
Une sorte de résumé du Guangdong ? Si les défis sont nombreux, la stratégie est sans ambiguïté. L'usine du monde veut gagner en valeur ajoutée. Et tant pis pour ceux qui ne suivent pas la cadence. L'exemple le plus frappant de cette ambition n'est, pour l'heure, qu'une série de jolis dessins futuristes. Mais lorsqu'il présente le projet « Guangzhou Knowledge City » (Canton, ville de la connaissance), le Singapourien qui le dirige, Tay Hun Kiat, sait se faire convaincant. La ville-Etat a été sollicitée par le gouvernement du Guangdong pour développer avec lui, tout près de Canton, une agglomération nouvelle destinée à l'économie de la connaissance. Faune et flore préservées sur la moitié du territoire, bâtiments à faible consommation d'énergie, réseau de transport extrêmement rapide, incitations multiples pour attirer les entreprises internationales les plus innovantes, construction par étapes progressives en fonction du succès rencontré : le moindre détail a été pensé, jusqu'aux centres commerciaux et à la distance entre les écoles, les bureaux et les restaurants. « Nous voulons créer un écosystème propice à l'innovation et la créativité », explique Tay Hun Kiat avant de dérouler la longue liste des multinationales qui se sont déjà engagées à participer au projet. Investissement de départ : 4 milliards de dollars. Investissement potentiel à terme... 60 à 70 milliards. L'atelier du monde ne sera bientôt plus ce qu'il était.
Gabriel Grésillon, ENVOYÉ SPÉCIAL DANS LE GUANGDONG
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11 commentaires:
Bonjour "Collegue".
Moi (et Filippo) aussi avons un blog sur la Chine (en italien)!!!
http://chinesews.blogspot.com/
http://chinesews.blogspot.com/2011/11/il-decadimento-dellindustria-cinese.html
La Chine comme tous les pays Occidentaux avant elle, est confronté à un casse tete, il n'y a pas de solutions miracle, et les transitions comme en France dans les années 30 ne se feront pas sans mal.
Ce qui est surprenant, c'est ce nationalisme devant l'agression exterieur, et d'un autre coté, on prete plus volontier confiance aux chiffres de pollution via l'ambassade US à Beijing qu'à son propre gouvernement...
C'est ce que je suis en train de vivre en ce moment...
Article passionnant.
Bravo pour la revue de presse que vous servez aux lecteurs de ce blog.
Hugo le Cantonais
http://rionscantonais.wordpress.com
Merci pour votre blog intéressant.
Voici mon blog qui traite de l'influence de la culture chinoise sur les affaires
http://chinabusinessonline.blogspot.fr/
Merci pour cet article fort intéressant. Oui, la Chine est confrontée à cette problématique comme tout autre pays qui s'industrialise, mais elle doit trouver la solution propre à elle, vu que les réalités sur le mode de gouvernance et de leur société ne sont pas les mêmes que celles des pays occidentaux. Diverses questions relatives à ce sujet sont discutées sur le forum Bonjour Chine.
Tres bel article sur une Chine en pleine transition. C'est exactement ce que l'on decouvre aujourd'hui
il y a de quoi faire en Chine pour trouver des solutions adaptées en dehors de ce capitalisme dérégulé
La Chine est confrontée depuis plus de 2ans à un challenge l'augmentation des salaires, du pouvoir d'achat et donc de la baisse de compétitivité ...
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