Le Monde - Economie, mercredi 2 novembre 2011, p. 14Le Fonds européen de stabilité financière (FESF) disposera-t-il de la puissance nécessaire pour racheter la dette d'Etats importants en difficulté ? Par quel effet de levier trouvera-t-il les quelque 750 milliards d'euros de renfort décidés pour ce faire à Bruxelles, jeudi 27 octobre ? Qui prêtera ? Ces questions hantent les marchés, car elles ont été laissées en suspens par les dirigeants européens, les réponses étant techniquement fort complexes.
Place donc aux négociations financières avec les pays émergents, supposés riches en raison de leurs réserves en devises pour cause de forts excédents commerciaux. Ceux-ci demandent des garanties et un retour convenable sur leur investissement dans le FESF et son fonds spécialisé.
Des négociations plus politiques sur ce financement crucial pour rétablir la confiance auront lieu au G20 de Cannes (Alpes-Maritimes), les 3 et 4 novembre, comme le prouve le fait que Nicolas Sarkozy ait décidé de consacrer son premier dîner au président chinois Hu Jintao, mercredi 2 novembre. D'autant que la politique s'est invitée de façon brutale, lundi 31 octobre, avec la décision du premier ministre grec de soumettre à référendum le plan de soutien à la Grèce. " Ce n'est pas ça qui va attirer les investisseurs ", se lamente un négociateur européen.
Le Fonds monétaire international (FMI) Le FMI risque de décevoir, car il prête à des Etats en difficulté et n'est pas habilité par ses statuts à intervenir pour des opérations de marché, tels que des rachats de dettes souveraines via un fonds spécial adossé au FESF.
Devant la demande de plusieurs pays émergents de passer par son intermédiaire pour sécuriser leurs prêts à l'Europe, plusieurs options seraient possibles.
Soit les pays membres de son conseil d'administration acceptent la création d'un fonds spécialisé, adossé au FMI, auquel un certain nombre d'entre eux apporteraient des fonds destinés aux Etats européens en péril.
Soit on renoue avec le processus mis en place en 2009 pour porter les réserves du FMI de 250 milliards de dollars à 750 milliards de dollars (550 milliards d'euros). Pour éviter que cela se traduise par une augmentation politiquement compliquée et techniquement longue du capital du Fonds, il faudrait qu'un petit nombre de pays se partagent les prêts à l'Europe sous forme de " nouveaux accords d'emprunts " transformables - éventuellement - en augmentation de capital dans quelques années.
Les réflexions ne font que commencer entre les pays membres émergents qui souhaitent épauler l'Europe pour éviter une récession mondiale et les pays membres développés qui, comme les Etats-Unis ou l'Allemagne, jugent les ressources du FMI suffisantes.
Les pays européens qui ne sont pas dans la zone euro
La Norvège Le Fonds norvégien du pétrole, le plus gros fonds souverain en Europe qui ne détient que 0,7 % des obligations émises par le FESF pour une valeur de 100 millions d'euros, ne l'aidera pas. " Je pense que ce serait une erreur que la Norvège prenne part à de telles mesures d'aide ", a expliqué le premier ministre travailliste Jens Stoltenberg. " Nous avions regardé la situation de façon positive en début d'année, explique Bunny Nooryani, porte-parole du Fonds du pétrole, les conditions de l'époque étaient meilleures du point de vue du rapport risque-profit. "
Le Royaume-Uni S'il a toujours refusé de participer au FESF, le Royaume-Uni a souscrit aux trois émissions du FESF, soit à hauteur de 11 % pour celle dédiée à l'Irlande, de 12 % et de 5 % au bénéfice du Portugal. Mais aujourd'hui, le climat politique a changé avec la montée du courant eurosceptique. S'adressant à la Chambre des Communes le 27 octobre, le chancelier de l'Echiquier, George Osborne, a déclaré que le Royaume-Uni ne permettra pas au FMI de participer au FESF. " Le FMI est là pour aider les pays, pas les devises. Par ailleurs, le Royaume-Uni ne participera pas au fonds. Notre position sur cette question est claire. "
En revanche, Londres appuiera toute éventuelle aide technique du FMI à la mise en place des nouvelles facilités de crédit du FESF.
Pourtant, nombre d'experts estiment qu'en bons pragmatiques, conscients des risques d'une crise européenne sur leur économie fragile, les Britanniques pourraient participer indirectement à une émission " si les obligations de FESF constituent du bon papier, une valeur sûre, ce que cela sera ", estime un expert.
Les pays non-européens La Chine Remettre à flots la riche Europe en puisant dans les réserves de devises du pays (3 200 milliards de dollars) accumulées grâce au sang et à la sueur des travailleurs passe mal auprès de la blogosphère chinoise.
Dans un contexte politique interne tendu, où l'extrême prudence est de mise, la réaction des internautes du pays explique en grande partie la circonspection de Pékin vis-à-vis d'une contribution chinoise au FESF.
Les dirigeants de la Chine veulent y voir clair dans les opérations en cours, exigent des garanties - notamment l'entremise du FMI - et souhaitent être perçus comme de bons négociateurs par leur opinion publique - par exemple en obtenant avant l'heure (2016) le statut d'économie de marché, qui permettrait aux produits chinois d'échapper aux clauses antidumping de l'Union européenne (UE).
En attendant, Pékin multiplie les encouragements et les promesses de " soutien actif " - comme l'ont réitéré le président Hu Jintao et son ministre du commerce, Chen Deming, à leur arrivée à Vienne lundi 31 octobre - tout en continuant de diversifier ses placements en devises au profit de la monnaie européenne.
Le Japon Ayant déjà acquis 2,7 milliards d'euros de bons européens, soit 20 % du total émis, le Japon se dit prêt à continuer. Le 31 octobre, le responsable du FESF, Klaus Regling, a rencontré Takehiko Nakao, du ministère des finances, qui lui a confirmé l'intention du gouvernement nippon de poursuivre ses achats, sans donner de détails sur leur ampleur.
Lourdement endetté, le Japon dispose toutefois des secondes réserves de devises étrangères de la planète - 1 200 milliards de dollars (856 millions d'euros) - dans lesquelles il peut puiser.
Mais le gouvernement japonais reste prudent. Ainsi, le premier ministre Yoshihiko Noda souhaite qu'en contrepartie, les pays de la zone euro consentent " de nouveaux efforts " pour " une approche plus ferme " et plus précise, afin de " dissiper les inquiétudes sur la crise ".
M. Noda veut éviter une contagion de la crise de la dette à l'Asie ou à l'économie mondiale et compte pour cela sur les décisions qui seront prises au sommet du G20 de Cannes des 3 et 4 novembre.
Le Brésil Ce pays pourrait avoir surmonté ses réticences sur le dossier de la crise européenne. Une semaine après les propos du ministre des finances Guido Mantega qui avait déclaré, le 25 octobre, que le Brésil n'avait pas l'intention de racheter de la dette et que les Européens devaient trouver sur le Vieux Continent des solutions à leurs problèmes, Brasilia serait sur le point de proposer un soutien financier par le biais du FMI.
Certes, aucun montant n'a filtré, mais la contribution du pays proviendrait de ses réserves en devises et non de ses fonds souverains, a indiqué l'agence Bloomberg, citant une source proche du gouvernement.
Le principe d'une aide passant par le FMI permettrait, en retour, de faire à nouveau pression en faveur d'une réévaluation du poids de Brasilia dans l'institution internationale. Depuis des années, les dirigeants brésiliens reprochent aux pays européens d'être " sur-représentés " dans les organes directeurs du Fonds.
L'aide à l'UE traduit aussi la volonté de Brasilia d'éviter de subir les effets collatéraux d'une éventuelle récession mondiale. En mars, la présidente Dilma Rousseff avait déjà proposé de racheter une partie de la dette portugaise, mais Lisbonne n'avait pas profité de cette main tendue.
Le Brésil est la quatrième destination des investissements européens et le sixième investisseur en Europe, selon le gouvernement. En 2011, le géant sud-américain est devenu le neuvième partenaire commercial de l'UE. Il n'est pas exclu que Brasilia évoque, lors des négociations des prochains jours, une plus grande ouverture du marché agricole européen.
Les pays du Golfe Les fonds souverains du Golfe n'ont qu'une préoccupation : protéger leurs avoirs en dollars et leurs investissements massifs aux Etats-Unis et au Royaume-Uni des effets d'une crise de l'euro. " Si une action de leur part peut assurer la stabilité de la zone euro, ils aideront, mais avec prudence et en douce ", indique Nigel Dudley, expert londonien de la finance arabe.
L'autre inconnue est l'évolution du prix du pétrole. Les fonds souverains du Golfe voudront éviter à tout prix l'effet dépressif sur les cours de l'or noir d'une récession dans la zone euro, souligne un expert de la City.
Alain Faujas avec Nicolas Bourcier (à Rio), Brice Pedroletti (à Pékin), Marc Roche (à Londres), Olivier Truc (à Stockholm)
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