jeudi 3 novembre 2011

Li Daokui : « Si la Chine soutient l'Europe, elle attendra plus de compréhension de ses intérêts »

Le Figaro, no. 20918 - Le Figaro, jeudi 3 novembre 2011, p. 15

INTERVIEW Directeur du Center for China in the World Economy (CCWE) de l'université Tsinghua, Li Daokui est aussi membre du Comité pour la politique monétaire de la Banque

centrale chinoise. Propos recueillis parArnaud de la Grange

LE FIGARO. - Depuis le début du plongeon grec et de la crise européenne, la Chine ne cesse de répéter qu'elle soutiendra l'Europe et l'euro. Mais ces derniers jours, il semble qu'il y ait quelques atermoiements. La Chine est-elle vraiment résolue à participer à un plan de sauvetage de l'Europe ?

LI DAOKUI. - La Chine est prête à aider l'Europe, à l'évidence, mais il y a au moins deux préconditions. La première, c'est être sûr que le Fonds européen de stabilité financière (FESF) sera efficace, utile pour aider à stabiliser la situation européenne. Pékin veut donc s'assurer de la validité des mécanismes. Rien ne serait pire pour la Chine que de contribuer à quelque chose qui irait à l'échec au bout de quelques mois. La deuxième condition touche aux garanties offertes. Tous les investisseurs ont besoin de savoir quel degré d'engagement et de contrôle leur est permis, car on ne peut exclure que l'affaire ne fonctionne pas. Est-ce que ces garanties seront offertes par des dettes sélectionnées, comme la française et surtout l'allemande ?

À combien l'intervention chinoise pourrait-elle se chiffrer ?

Si les conditions sont remplies, on peut penser qu'un montant autour de 100 milliards de dollars n'est pas inconcevable.

Dans les discussions en cours, la Chine demande-t-elle des contreparties, par exemple, des avancées sur la reconnaissance du statut d'économie de marché par l'UE ou une moindre pression pour la réévaluation du yuan ?

Je ne peux dire de ce qui se discute ou se négocie concrètement. Mais si la Chine investit et soutient l'Europe, il n'est pas irraisonnable qu'elle demande au minimum un peu plus de compréhension de ses intérêts. Après, jusqu'où les choses peuvent aller, c'est une autre histoire...

Dans la presse chinoise et sur Internet, on voit beaucoup de voix s'insurgeant contre ce possible soutien chinois à l'Europe. Est-ce un facteur pris en compte ici ?

Oui, bien sûr. L'opinion publique chinoise compte beaucoup plus qu'on ne l'imagine souvent en Europe. Disons qu'aujourd'hui, de nombreux Chinois qui sont mal ou peu informés de la situation ne sont pas d'accord avec ce soutien potentiel à l'Europe. En revanche, tous ceux qui sont éduqués et bien au fait de ces questions comprennent bien les enjeux et cette position.

Le fait d'investir dans les dettes européennes fait que, mécaniquement, la Chine investira moins dans la dette américaine. Est-ce que cela peut avoir un impact sur les relations sino-américaines ?

Je ne pense pas. Les États-Unis connaissent parfaitement le tableau général, et ils peuvent très bien comprendre les préoccupations chinoises et européennes. Ils savent bien que cela n'est pas dirigé contre eux. De plus, le marché de la dette américaine est suffisamment attractif aujourd'hui pour que cela ne leur cause pas de préjudice.

Cette période cruciale, où la Chine pourrait participer activement au sauvetage de la zone euro, vous semble-t-elle un tournant dans les relations internationales ?

Oui. C'est un moment très important. Cette période achève de montrer aux dirigeants chinois, ainsi qu'à la frange avertie de la population, combien la Chine est devenue un élément clé dans les affaires du monde. Combien les destinées politiques et économiques de la Chine et de l'Europe sont liées, aussi. En ce sens, c'est certainement le commencement d'une nouvelle ère.

Propos recueillis par Arnaud de la Grange

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