mardi 14 avril 2015

LIVRE - "Richie", biographie de Richard Descoings, Raphaëlle Bacqué

Richieaux éditions Grasset. Une biographie de Richard Descoings, le patron de Sciences Po









MISE À JOUR - L'EXPRESS (15/4) : INTERVIEW : "Descoings est un héros balzacien"
L'EXPRESS / Libie Cousteau : Pourquoi la vie de Richard Descoings méritait-elle un livre?

RB : Richard Descoings est un héros balzacien qui raconte la France d'aujourd'hui. Si j'avais suivi de loin son action à la tête de Sciences po, je n'avais pas mesuré combien son parcours illustre toutes nos contradictions. Ce sont sa mort, mystérieuse, et son enterrement, spectaculaire, le 11 avril 2012, qui m'ont amenée à me pencher sur son destin. Rappelez-vous! Toute la nomenklatura française réunie autour de son cercueil, à l'église Saint-Sulpice. La cérémonie retransmise par des haut-parleurs. Des jeunes gens en pleurs sur le parvis, côtoyant ministres, grands patrons, éminents professeurs, hauts fonctionnaires. Même Barack Obama fait parvenir un message. Seul le président Nicolas Sarkozy, retenu à l'étranger, manque à l'appel, mais il téléphone à la veuve de Richard Descoings le matin même. Lors de cette cérémonie religieuse où Nadia Marik, l'épouse, et Guillaume Pepy, l'ancien compagnon du défunt et président de la SNCF, se tiennent côte à côte, un professeur me souffle : « C'était aussi un démon. » Plus tard, j'ai découvert à quel enchevêtrement de mondes il faisait allusion.

Le parcours de ce fils de médecins vivant à Saint-Germain-des-Prés commence pourtant de façon très ordinaire, non?

Au départ, c'est un modèle de conformisme cochant toutes les cases des élites à la française : lycée Louisle- Grand, prépa à Henri-IV, Sciences po, et ENA, où il s'y reprend à trois fois avant d'être admis. « Trop lisse » , tranche le jury. Aucun de ses condisciples, d'ailleurs, ne le remarque. Lorsqu'il sort dans « la botte » , c'est la stupeur générale, d'autant qu'il dissimulait ses notes durant sa scolarité. A l'époque, il cache sa double vie. Le soir, il délaisse son costume-cravate pour un pantalon de cuir et un tee-shirt moulant et file au Palace danser jusqu'à l'aube. Son histoire raconte aussi l'émergence d'un certain milieu gay et sa visi - bilité de plus en plus grande dans la société.

Longtemps, il continue à dissimuler son homosexualité...

Jeune conseiller d'Etat, au milieu des années 1980, il se cache, en effet. Il existe pourtant au sein du Conseil une sorte de « sous-société » dont on ne parle que par allusions. Ce petit cercle d' « invertis » , comme on dit encore à l'époque, se retrouve dans les bars ou au Gymnase Club du Palais- Royal. Ce qui fait évoluer Richard Descoings, c'est sa confrontation avec le sida. L'un de ses amis en meurt et il s'engage à Aides, où il va tenir un rôle central auprès de Daniel Defert, le compagnon du philosophe Michel Foucault. C'est lui qui rédige les statuts de l'association. Cette expérience à Aides - « La chose la plus difficile que j'ai connue, après le concours de l'ENA » , disait-il - va lui apprendre ce qu'on ne lui avait jamais enseigné jusque-là : l'esprit collectif, la récolte de fonds, le lobbying auprès de l'Etat. Il y rencontre aussi un monde bien plus libéré des codes sociaux. A partir de là, Descoings et ses amis, Guillaume Pepy et Christophe Chantepy [directeur de cabinet de Jean-Marc Ayrault] notamment, constituent un cercle amical autant que professionnel, qui réunit des homosexuels, presque tous issus de l'ENA, qui se feront la courte échelle dans les arcanes du pouvoir.

Autre rencontre déterminante dans la vie de Richard Descoings, celle d'Alain Lancelot, patron de Sciences po. Pourquoi?

Dès 1987, il fait partie du petit cercle de disciples du directeur, aux côtés de Laurence Parisot et du politologue Dominique Reynié. Subjugué par son intelligence, Lancelot le fait entrer au Siècle, ce club où les élites soignent leurs carrières en discutant de la marche du monde autour d'un dîner. Mais c'est au sein du cabinet de Jack Lang que se révèle la passion de Richard Descoings pour l'éducation et la jeunesse. Devenu directeur de Sciences po en 1996, il va entretenir des relations d'une grande proximité avec nombre d'étudiants, postant photos et confidences sur --- son profil Facebook, à l'attention des 5000 jeunes gens qui étaient ses « amis » et l'appelaient « Richie » .

S'il finit par assumer son homosexualité, vous révélez, dans votre livre, une vie privée assez dissolue et un personnage souvent borderline...

Descoings est un coeur sauvage qui se masque sous les atours rassurants et policés de l'élite. Dans les années 1990, il expérimente les paradis artificiels, avec Diane de Beauvau, reine du Palace, et hante les bars et les boîtes de nuit avec elle. Guillaume Pepy l'aidera à renoncer à cette vie décousue, lui permettant d'accomplir son ambition.

Est-ce aussi parce qu'il a le goût de la transgression qu'il parvient à réformer en profondeur Sciences po, dont il prend la direction à la veille de ses 40 ans?

Il hait ce conformisme social, mais en joue avec un cynisme achevé. C'est parce qu'il est énarque et conseiller d'Etat, membre du Siècle et respectueux de cet esprit de corps qu'il peut bousculer Sciences po en s'affranchissant de toutes les règles habituelles. C'est parce qu'il a fait entrer dans son conseil d'administration les représentants de l'Inspection des finances, du Conseil d'Etat ou de la Cour des comptes que tous ferment les yeux sur ses dérives financières. C'est parce qu'il respecte les codes des élites que les plus conservateurs acceptent de voir ce directeur flirter avec ses étudiants et danser, ivre, lors de fêtes de remises de diplômes, à Londres ou à Berlin. Les ministres, de droite comme de gauche, n'y trouvent rien à redire. L'ampleur des réformes qu'il va mener suscite un mouvement qui embarque tout le monde. En quelques années, il internationalise ce qui n'était qu'une petite école française, dont il vend l'excellence aux plus grandes universités mondiales.

Puis il y a l'ouverture de Sciences po aux lycéens issus des zones d'éducation prioritaires (ZEP) des quartiers défavorisés : quelle en est la portée?

Richard Descoings est conscient que Sciences po reste essentiellement peuplé d'étudiants issus de la bourgeoisie. Dès 1998, Dominique Reynié lui suggère d'introduire une discrimination positive. « Trop casse-gueule » , rétorquet- il à l'époque. Deux ans plus tard, l'un de ses anciens élèves relance l'idée. Le projet se boucle en quelques mois. Il est à haut risque. Mais, malgré l'opposition des étudiants, les haut-le-coeur de l'intelligentsia et les prises à partie de ses congénères du Siècle, Descoings tient bon. Bien joué. Il n'aurait pas tant plu aux médias et n'aurait pas reçu tant d'aides financières des entreprises s'il n'avait pas ouvert Sciences po à ces élèves venus des banlieues. Ce petit millier de jeunes gens a eu un impact politique extra ordinaire.

Est-ce ce succès qui lui monte à la tête?

Le succès attire un nombre croissant d'étudiants. Pour construire son Harvard à la française, Descoings a besoin de mètres carrés supplémentaires, de professeurs étrangers prestigieux, d'ouvrir des antennes en province. De plus, il fonde de nouvelles écoles (journalisme, communication). Il lui faut donc de l'argent.

Entouré de courtisans, il se comporte comme un monarque irascible. A quel moment cela dérape-t-il?

Cette ambition s'accompagne d'une gestion dispendieuse. En fréquentant les grandes universités américaines, Richard Descoings finit par se sentir l'égal des présidents de Harvard et de Stanford, et compare son salaire aux leurs. Pébereau a bien créé un comité des rémunérations, mais n'y figurent que des grands patrons et des représentants des grands corps de l'Etat, qui ont « oublié » que Sciences po vit d'abord de l'argent public. Petit à petit aussi, Descoings s'enferme dans un mode de direction autoritaire avec sa femme, Nadia Marik, qu'il a nommée n° 2 de l'école. Dans un établissement où l'on passe son temps à enseigner les risques du conflit d'intérêts, c'est assez malvenu. Personne n'ose s'opposer au « roi Richard » , ceux qui le font se retrouvent exclus. Son charisme et sa réussite le protègent. Sa popularité auprès des étudiants est inédite. Même Nicolas Sarkozy songe un temps à le nommer ministre. Tous rêvent de son succès de rock star.

Son existence, d'ailleurs, s'achève comme celle d'une rock star...

L'opération de communication et de verrouillage orchestrée aussitôt qu'il est retrouvé mort dans une chambre d'hôtel new-yorkais est digne d'une grande vedette. Trois ans après, les grands doges de Sciences po, Michel Pébereau, Jean-Claude Casanova, mais aussi les représentants des grands corps de l'Etat, sont toujours en place. C'est là que le parcours de « Richie » prend un tour balzacien : ils sont le pouvoir à la française de toute éternité. Après avoir accompagné Descoings dans ses succès et dans sa folie, ils se sont défaussés lorsqu'il a été mis en cause par la Cour des comptes, repoussant les curieux et les critiques après sa mort. Puis, ils ont organisé la succession en écartant tous ceux qui, d'une façon ou d'une autre, auraient pu dénoncer un héritage qui est aussi le leur.




MISE À JOUR - LE MONDE (14/4) : MORCEAUX CHOISIS
Le matin même de son départ pour New York, trois jours avant sa mort, Richard Descoings envoya un message, comme une prémonition ironique, à ses collaborateurs : " Si l'on s'écrase, la messe aura lieu à Saint-Sulpice : Mozart à tue-tête, Plug n'Play au premier rang. Pas d'argent pour le cancer, tout pour les fleurs. "

La cérémonie grandiose que fut son enterrement ne respecta qu'à moitié ses directives. Les funérailles eurent bien lieu, le 11 avril 2012, à l'église Saint-Sulpice, au coeur de Paris, mais l'association Plug n'Play des " gays, lesbiennes, bis, trans, queer de Sciences Po " fut discrètement renvoyée sur les bords de la nef. A sa place, au premier rang, de l'autre côté des bancs réservés à la famille et aux amis accablés par le chagrin, s'installa le plus complet assortiment de la nomenklatura française.

Une demi-douzaine de ministres, les plus grands banquiers et des hauts fonctionnaires en pagaille. Le président Nicolas Sarkozy, retenu à l'étranger, avait téléphoné personnellement à la veuve le matin même. La moitié de l'équipe de campagne de François Hollande, en pleine bataille présidentielle, s'était déplacée. Un aréopage de costumes noirs encadrait le maire de Paris, Bertrand Delanoë, et les représentations étrangères avaient envoyé leurs ambassadeurs. Même l'Américain Barack Obama avait présenté, depuis la Maison Blanche, ses condoléances.

Sur la place, une impressionnante procession de professeurs et d'étudiants en larmes, tenant une fleur blanche, patienta près d'une heure devant les barrières de métal érigées par la police, avant de les franchir au compte-gouttes. L'église, malgré ses quelque trois mille places, était trop petite, et des centaines de jeunes gens suivirent dehors la cérémonie, retransmise par des haut-parleurs. Des deux côtés du portail, on avait installé deux grandes photos du patron de Sciences Po, les mains levées comme pour une prière. (...)

Ce fut pourtant une sorte d'étrangeté de voir arriver ce cercueil au milieu des calices d'or et des cierges, entourés des étudiants catholiques de l'école venus servir la dernière messe de leur directeur. Quelques jours auparavant, le patron de la SNCF, Guillaume Pepy, et Nadia Marik, la femme de Descoings, avaient annoncé sa mort ensemble, sur les faire-part publiés dans la presse. Même le Père Matthieu Rougé ne parut pas s'en formaliser. Le prêtre et confesseur des députés de la paroisse Sainte-Clotilde, à deux pas de l'Assemblée nationale, avait été appelé à la rescousse pour cette étonnante célébration. Comme les amis qui se succédèrent en un dernier hommage, il débuta son sermon en saluant pareillement l'épouse et l'ancien compagnon : " Chère Nadia, cher Guillaume "... à l'ENA, personne ne le remarque...

Comment a-t-il fait pour remonter la pente? 
Personne, aujourd'hui encore, n'est capable de le dire. Richard ne faisait pas partie des cercles d'amitié les plus en vue. Il n'appartenait à aucune des écuries de ces bêtes à concours qui se surveillaient depuis deux ans. Et pourtant, à l'ahurissement général, lors du classement de sortie au printemps 1985, ce garçon transparent a obtenu la dixième place. Couronné dans la fameuse " botte " qui rassemble les meilleurs élèves. Il a choisi le Conseil d'Etat. On y dit le droit, et la rumeur parmi les énarques affirme qu'on y a du temps libre.

Ce coup d'éclat décisif est resté une surprise pour presque tous. Il est d'usage à l'ENA de laisser aux élèves le loisir de choisir s'ils veulent que leurs notes soient connues de tous ou pas. Les hâbleurs, les bons éléments les rendent publiques quand les stratèges ou ceux qui peinent les occultent. Depuis deux ans, Richard cachait les siennes afin que personne ne sache où le situer...

Le jour de ce fameux classement qui a brisé les espoirs des uns et assuré l'avenir des autres, l'un de ses condisciples, outré de voir ce garçon qu'il tenait pour insignifiant rafler une place dans l'Olympe des grands corps, s'est avancé vers lui avec ce cri du coeur : " Mais tu es qui, toi? "

Le plus jeune directeur de Sciences Po
Quand Richard traverse le petit jardin de Sciences Po, sa longue silhouette mince flottant dans son loden, on croirait un étudiant. Les professeurs qui, jusque-là, l'avaient à peine remarqué détaillent entre eux les chaussures de cuir, le costume sombre et la cravate impeccablement nouée. Mais lorsque leur regard se lève un peu plus haut, ils s'effraient du visage de gamin sous les cheveux ondulés. Le nouveau directeur n'a pas encore 38 ans.

Dans les couloirs, la galerie de portraits de ses prédécesseurs offre, depuis les débuts de la IIIe République et la fondation de l'Ecole libre des sciences politiques, un remarquable échantillon de barbons à longs favoris ou, au mieux, de sémillants quinquagénaires. Et lui, avec sa tête de premier communiant, ses longues jambes et son gros cartable d'écolier, le voilà patron du temple des élites!

Dès que son nom a couru pour succéder à Alain Lancelot, un petit groupe de professeurs est parti en ambassade consulter René Rémond. Maigre et sec, grand catholique et d'une intelligence aiguë, le président de la Fondation nationale des sciences politiques est la figure morale de Sciences Po. Une sorte de statue du commandeur dont le grand oeuvre, Les Droites en France, tient lieu de bible dans les amphis, les rédactions des journaux et les partis politiques depuis près d'un demi-siècle.

" N'est-ce pas un peu prématuré, pour ce jeune Descoings, de prétendre, à son âge... " Mais Rémond n'a aucunement l'air terrifié. A près de 80 ans, il envie au contraire l'énergie de la jeunesse. " Ce garçon a toutes les qualités, et Mitterrand, Giscard et Chirac ont été ministres à moins de 40 ans, a souri l'historien. Il faut revitaliser l'école par un apport de sang frais! " La délégation de professeurs a dû battre en retraite.

Richard est conscient que sa jeunesse fait peur. Sa voix sourde paraît mal assurée et il s'efforce de l'affermir. Il a gommé ce léger ton efféminé qu'il prend lorsqu'il veut séduire un homme. Dans la maison de Guillaume Pepy, près de Dreux, où il est parti trois jours pour préparer son discours devant le conseil d'administration, il demande à Dominique Reynié : " Tu crois que je peux me vieillir d'un ou deux ans? "

On comprend qu'il soit inquiet. Le conseil d'administration de Sciences Po est une assemblée de sexagénaires érudits et conservateurs. Jamais ils n'ont été gouvernés par un homme aussi jeune. L'école fonctionne depuis toujours dans un entre-soi rassurant peuplé d'historiens et de sociologues, d'une part, de représentants des grands corps de l'Etat, de l'autre. Ce sont ces derniers qu'il connaît le mieux et a entrepris de séduire. (...)

Envoyer les étudiants un an à l'étranger
Dans le jardin de Saulnières - la maison qu'il a achetée avec Guillaume Pepy - , la petite troupe s'est réunie pour prendre le café (...). Il fait beau. On s'installerait presque dans des chaises longues pour une sieste légère, dans les parfums du printemps. Comment s'endormir, cependant, en ayant sans cesse Richard sur le dos?

Jamais il ne dételle! Dans cette école où l'on enseigne la modération et le balancement circonspect, ce " oui, mais " tellement Sciences Po, le directeur impose un rythme effréné qui bouscule tous les usages.

Le matin, il a prêché pour que l'on adopte très vite la réforme lancée par Allègre. Dès que le conseil d'administration l'aura votée, la scolarité à Sciences Po passera de trois à cinq ans. Mais comment occuper les étudiants durant ces deux années supplémentaires? Au déjeuner, on a parlé stages, cours d'application. Mais rien de saillant n'a retenu l'attention du patron. Pour le café, il veut du neuf! Quelque chose qui transforme les élèves et les marque à jamais.

Habitué des séjours en Asie, où il a vécu plusieurs années, Jean--Luc Domenach trouve toujours les Français... trop français. " Ce serait bien d'obliger les étudiants à voyager... " (...) Au conseil d'administration suivant, le fougueux général expose son projet : " Notre horizon, c'est le monde, notre maison c'est l'Europe. " On l'écoute avec scepticisme. C'est bien beau, mais comment compte-t-il s'y prendre? Un professeur se souvient encore d'avoir entendu son voisin souffler : " Mille étudiants chaque année à l'étranger? Il rêve! "

(...) Le ministre des affaires étrangères, Hubert Védrine, a accepté de demander aux ambassadeurs de France à l'étranger - presque tous d'anciens diplômés de l'école - de faciliter le plus possible les contacts. C'est ainsi que l'ambassadeur de France à Washington, François Bujon de l'Estang, et le sherpa de Jacques Chirac à l'Elysée, Jean-David Levitte, lui ont recommandé une Française étonnante, à Chicago. A la tête de Baker & McKenzie, l'un des plus grands cabinets d'avocats du monde, Christine Lagarde est prête à donner quelques conseils.

De deux ans plus âgée que Richard Descoings, c'est une provinciale qui a spectaculairement réussi aux Etats-Unis. Diplômée de l'Institut d'études politiques d'Aix-en-Provence, elle a plaisanté d'emblée devant le conseiller d'Etat en lui avouant qu'elle avait échoué à l'ENA. Elle n'a rien à envier à Richard, cependant.

Première femme à présider le comité exécutif de Baker & McKenzie, cette grande bringue rieuse qui parle anglais avec aisance est régulièrement sollicitée par le Wall Street Journal pour sa vision du monde des affaires. Grâce à elle, le directeur français pénètre les arcanes des " law schools " américaines et fréquente les dîners du Tout-Chicago.

" L'imposture fonctionne ", soupire parfois Richard lorsqu'il mesure le décalage entre ses appuis les plus spectaculaires et la réalité de sa petite école.

La crème de la crème
Rue Saint-Guillaume, toute une génération qui avait connu l'école d'antan se sent dépossédée depuis son arrivée. Sa stratégie en coups de boutoir et son goût pour le changement permanent commencent à créer résistances et inquiétudes. Chacun se sent continuellement sur la sellette, angoissé à l'idée de ne pas en être, d'être dépassé. Lors d'un pot de départ en retraite, un professeur a lancé : " Il y a un fou à la tête de l'école, bonne chance à ceux qui restent! " Lorsqu'une bonne âme a rapporté la scène au directeur, il a fait son sourire en dents de scie et lâché avec un mouvement léger de la main : " Bon débarras, non? "

Les collaborateurs de Richard ont vite compris qu'il vaut mieux ne pas s'opposer à lui. Un début de critique, un soupçon de doute, et l'oeil rieur, l'écoute attentive se transforment en indifférence polie, prélude dangereux à l'excommunication. " Je ne peux marcher qu'avec des gens qui ont envie de me suivre ", a-t-il prévenu d'emblée. Et, pour ceux qui regimbent, il fait mine de serrer un garrot imaginaire...

Il y a autour de lui des jeunes gens prêts à se damner pour lui plaire. On les reconnaît à cette façon qu'ils ont de chercher à briller, à devancer ses désirs, à leur regard éperdu de reconnaissance au moindre compliment. Ses collaborateurs, surtout, forment un petit groupe compact d'admirateurs.

Cette armée, dont la plupart des soldats n'ont pas 30 ans, s'est vu proposer des salaires inhabituels dans un établissement d'enseignement, même à HEC ou Polytechnique. " 60 000 euros à 27 ans, c'est beaucoup ", a tiqué le banquier Michel Pébereau en apprenant la rémunération de Xavier Brunschvicg, ce jeune syndicaliste de SUD tout juste bombardé directeur de la communication. " Il me faut la crème de la crème ", a rétorqué Richard.

L'idole des jeunes
Du haut de leurs 20 ans, les garçons les plus hardis s'émerveillent de voir l'empire qu'ils croient avoir sur cet homme. Ils suivent sur Facebook les effets de leur charme. " Un ange est entré dans mon bureau ce matin ", écrit Richie sur son mur Facebook après avoir croisé un étudiant au regard de biche. " Faut-il des quotas d'homosexuels dans une école? ", provoque-t-il lors des oraux du concours d'entrée. Il flirte dans les couloirs. Lors des fêtes de fin d'année, quand la cafétéria se transforme en boîte de nuit, le voilà qui se plonge avec délice dans ces foules juvéniles avides de se faire photographier à ses côtés et de lui plaire.

Mi-ange, mi-diable, il aime qu'on le flatte, il aime qu'on l'aime. Jamais rassasié de l'amour que la jeunesse lui voue. Sur Internet, Richie entretient des conversations intimes avec des garçons de trente ans ses cadets. " Je me sens très seul... "" Pourrais-je dire que j'ai réussi ma vie? " Evoque " Guillaume "," Nadia ", ses amours, sa psychanalyse. Le mentor s'est mis à révéler sans fard à ces jeunes gens subjugués sa bipolarité, qui le mène parfois de l'exaltation à la dépression.

Les rumeurs courent facilement les amphis et les jalousies s'insinuent parfois jusque dans les promotions. Les rédacteurs du - journal étudiant - In Vodka Veritas se sont mis à rire de ceux qui passent pour les " gigolos " du directeur. Un brillant garçon de 19 ans, auquel Richie a délégué le soin de prendre les photos qui alimenteront son compte Facebook, se voit moqué régulièrement dans des articles non signés. Le jeune homme, terrifié des surnoms dont on l'affuble, est venu demander son aide à Richard. " Vous en souffrez, mais moi aussi ", répond le directeur en se refusant à intervenir.

Janus des temps modernes, il s'est mis à tout mélanger. Il peut dîner au Siècle, " ce lieu de réassurance, rit-il, où l'on est sûr de ce que l'on est ", et se confesser sur Facebook, ce réseau qui échappe à tous les pouvoirs établis. Il est le prince des grandes confusions. Vie publique et vie privée. Représentant d'une oligarchie soucieuse de préserver son héritage et directeur de jeunes consciences. Idole des médias et contestataire des conservatismes. Il veut jouer sur tous les tableaux. (...)

 

MISE À JOUR - JDD (11/04) : EXTRAIT
"La vie avec Guillaume Pepy a pris une autre tournure. Les jeunes chargés de mission, les secrétaires entendent parfois à travers la cloison des bureaux leurs violentes disputes. Jouant avec les coeurs, Richie est sans cesse happé par d'autres conquêtes, par des orgies d'alcool. A la SNCF, Guillaume s'assomme de travail, enchaîne des longueurs de piscine le matin avant de plonger dans les réunions de travail et les négociations avec les cheminots. Personne ne se doute de l'enfer qu'il vit. 'Quand je m'endors, j'entends les trains', dit-il en souriant à ses collaborateurs.

Même les compagnons des premières années ont fini par s'éloigner. Christophe Chantepy a pris peu à peu ses distances. 'Che-Che' en avait assez des dîners annulés et du vague mépris qu'il sentait parfois chez son ami. Olivier Challan Belval s'est fâché tout de go. Il avait pensé donner un coup de pouce déterminant à Richard en plaidant sa nomination à Sciences Po auprès de Philippe Séguin. Il a mal supporté que ce dernier ne lui ait jamais dit merci et, devant son arrogante indifférence, a claqué la porte sur leur amitié passée.

Richard a une manière de marcher au bord de l'abîme, comme s'il voulait toujours en frôler les limites, qui épuise son entourage. C'est un homme qui aime entraîner les autres dans les incendies qu'il provoque. Il fume trop, boit plus que de raison et replonge parfois dans ses anciens démons, cocaïne et ecstasy, qui lui donnent l'illusion de pouvoir vaincre le sommeil et l'adversité.

Une journaliste l'a croisé rue du Faubourg-Saint-Antoine au petit matin, pieds nus, la chemise déchirée, clamant : 'Je sors de boîte de nuit!' Son amie Christine Lagarde, après un week-end à Port-Cros chez des amis communs, où elle l'a vu ivre à tomber par terre, a confié à un proche : 'Il faut que nous lui disions d'arrêter, sinon il ne durera pas très longtemps.'

Même le directeur-adjoint Guillaume Piketty s'inquiète lorsqu'il le trouve fébrile, le matin, le front moite et les mains tremblantes au-dessus de sa dixième tasse de café. Piketty convoque parfois un délégué syndical trop revendicatif pour le prier de ménager celui qu'il appelle 'le Grand'. 'Fais attention, il est fragile, tu sais. Et c'est la seule chance que nous ayons de faire changer cette maison...'

Mais 'le Grand' se moque de ces précautions. C'est un séducteur qui jouit de faire souffrir ceux qui l'aiment. Il provoque, cherche à subvertir, à 'déniaiser' les garçons qui l'entourent. Les jeunes chargés de mission du directeur ont hérité d'un surnom glaçant : 'les gitons'.

S'il n'était pas si inventif, s'il n'avait une intelligence si vive, un charme si évident, personne ne le suivrait. 'Pour être innovant, il faut être déviant!' clame-t-il. Mais sa lumière brûle et consume les coeurs autour de lui. Le professeur Jean Leca, spécialiste de philosophie politique, a décrété tout haut : 'C'est un satrape, il terminera mal!' Mais Nadia comme les autres a été happée par son charme vénéneux."

MISE À JOUR (25/3)
Selon la lettre Before Dinner de Challenges, Guillaume Pepy, président de la SNCF, agite ses réseaux dans les rédactions pour obtenir le manuscrit du livre que la journaliste Raphaëlle Bacqué du Monde va publier le 15 avril prochain chez Grasset. Il s'agira d'une biographie, la première sur feu Richard Descoings, qui fut l'emblématique directeur de Sciences Po, disparu dans des conditions troubles le 3 avril 2012 à New York. Intitulé « Richie », le livre s'attachera à retracer la carrière et la vie de ce haut fonctionnaire très politique et médiatisé et présenté comme un ami proche de Guillaume Pepy.

Raphaëlle Bacqué, auteur d'un récit biographique sur François de Grossouvre, Le dernier mort de mitterrand, publie Richieaux éditions Grasset. Une biographie de Richard Descoings, le patron de Sciences Po Paris mort brutalement à New York, qui était ainsi surnommé par ses étudiants. À travers la vie de ce personnage brillant et controversé, la journaliste du Monde brosse le portrait d'un monde balzacien où se croisent les politiques, les grands patrons et les intellectuels.

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