mardi 3 mars 2015

Pékin suspend l'importation d'ivoire sculpté - Harold Thibault

Le moratoire imposé pour une durée d'un an ne suffira pas à juguler le braconnage des éléphants d'Afrique

Shanghaï - correspondance - Principale source de la demande en défenses d'éléphants, la Chine a annoncé, jeudi 26 février, un moratoire d'un an sur les importations d'ivoire sculpté. L'administration nationale des forêts explique vouloir étudier l'impact de cette mesure sur la protection des pachydermes. « Cette action montre l'engagement de la Chine à endiguer le commerce illégal de l'ivoire et à protéger les éléphants d'Afrique » , a fait valoir auprès de la presse officielle Meng Xianlin, directeur général du bureau chinois de contrôle du commerce d'espèces protégées.


Le timing de cette annonce ne doit rien au hasard. La Chine subit les critiques internationales pour son manque d'action, alors que ses consommateurs nourrissent le braconnage d'éléphants sur le continent africain. Selon une étude publiée en août 2014 dans la revue américaine Proceedings of the National Academy of Sciences ( « Actes de l'Académie nationale des sciences »), environ 100 000 éléphants d'Afrique ont été tués en seulement trois ans.

Le prince William, héritier du trône britannique, fortement engagé dans la lutte contre ce trafic en Afrique, est en visite en Chine du 1er au 4 mars. Le duc de Cambridge apparaît notamment dans une campagne de sensibilisation de l'organisation Wild Aid, aux côtés de Yao Ming, le célèbre joueur de basket-ball. Il achèvera son voyage par une étape dans un sanctuaire d'éléphants de la province du Yunnan (sud-ouest), afin d'attirer le regard de l'opinion publique et des autorités.

Par ailleurs, une nouvelle conférence sur la lutte contre le commerce illégal d'espèces protégées doit se tenir fin mars à Kasane, au Botswana, et Pékin tient à montrer que des progrès sont réalisés de son côté. La Chine est signataire de la Convention internationale sur le commerce des espèces menacées, mais elle autorise toujours l'importation d'ivoire d'éléphants morts de cause naturelle, ainsi que celui acquis avant l'interdiction.

« Très peu d'impact »

Les ONG de protection des espèces en danger soulignent que la Chine devrait interdire tout commerce d'ivoire, afin de réduire la demande, mais Pékin argue de sa longue tradition de sculpture sur ce matériau rare. Ces ONG constatent que la dernière annonce chinoise aura un impact très modeste, puisque le gros du commerce international est constitué de défenses non travaillées, qui seront ensuite gravées sur le territoire chinois. « La majeure partie de l'ivoire importé légalement ou illégalement en Chine est de la corne brute. L'ivoire déjà sculpté représente une portion minime des importations chinoises, de sorte que cette suspension temporaire n'aura que très peu d'impact » , constate Grace Gabriel, directrice pour l'Asie de l'International Fund for Animal Welfare.

De même, l'ONG Environmental Investigation Agency (« Agence d'investigation environnementale »), basée à Londres, juge que ce type d'annonces est de la « poudre aux yeux » tant que Pékin n'interdit pas la vente et laisse ouverts plus de 180 boutiques et ateliers de gravure. La Chine avait déjà détruit un stock de 6,1 tonnes d'ivoire récolté sur 600 éléphants en janvier 2014, quelques semaines après que d'autres puissances asiatiques et les Etats-Unis eurent procédé à des opérations similaires.

Mais des conflits d'intérêts empêchent l'adoption de mesures plus drastiques, comme l'interdiction du commerce de l'ivoire. L'administration des forêts tire un revenu de l'enregistrement des pièces sculptées mises sur le marché. Environmental Investigation Agency avait par ailleurs publié en novembre 2014 un rapport dénonçant la subite hausse de la demande lors de la visite d'officiels chinois en Tanzanie, pays le plus touché par le braconnage.

En décembre 2013, l'étape à Dar es-Salaam d'une équipe de la marine chinoise s'était accompagnée d'une inflation de l'ivoire. Un revendeur s'est targué auprès de l'ONG d'en avoir vendu pour 50 000 dollars (45 000 euros) à des officiers chinois. En mars 2013, une visite du président Xi Jinping avait déjà conduit les prix à doubler dans la capitale tanzanienne, du fait de la demande des membres de la délégation. La Chine avait dénoncé des accusations « sans fondement » à la suite de la publication de ce rapport.

Le Monde - Placements, mardi 3 mars 2015, p. 8
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