Le président contesté du comité Nobel de la paix, Thorbjørn Jagland, a été démis mardi, victime d'une déchéance sans précédent qui risque de relancer les interrogations sur l'indépendance politique de cet organe influent.
À la tête du comité depuis 2009, le Norvégien de 64 ans a été en première ligne lors des polémiques déclenchées par les prix attribués à Barack Obama, au dissident chinois Liu Xiaobo et à l'Union européenne.
Rétrogradé au rang de simple membre alors qu'il souhaitait ouvertement être reconduit, il a dû céder les rênes à Kaci Kullman Five, jusque-là vice-présidente. Jamais en 114 ans d'histoire Nobel un président sortant n'avait été écarté contre son gré.
Mme Kullman Five a refusé de divulguer les raisons du choix fait par la majorité du comité, composé de cinq membres désignés par le Parlement norvégien.
"Conformément à la tradition, je ne vais pas commenter ni rendre compte de ce qui s'est dit", a-t-elle déclaré à la presse. "Il y a un large consensus au sein du comité pour dire que Thorbjorn Jagland a été un bon président pendant six ans".
L'intéressé, ex-Premier ministre travailliste et ex-ministre des Affaires étrangères, a réagi de manière laconique. "Je dois me plier" au choix du comité, a-t-il dit à la radiotélévision NRK.
Également secrétaire général du Conseil de l'Europe, M. Jagland a souvent prêté le flanc aux critiques.
Ses débuts à la tête du comité Nobel avaient été tonitruants, quand en 2009 le prix avait récompensé un Barack Obama tout juste entré en fonction et empêtré dans deux guerres en Irak et en Afghanistan. Beaucoup avaient jugé ce choix prématuré, voire l'avaient tourné en ridicule.
M. Jagland s'était attiré les foudres de Pékin un an plus tard avec la "nobélisation" du militant des droits de l'Homme Liu Xiaobo, qualifié de "criminel" par le régime chinois et emprisonné pour "subversion". Depuis, les relations diplomatiques entre la Chine et la Norvège sont gelées.
Le prix à l'UE, en 2012, avait aussi fait des vagues, a fortiori dans un pays qui refuse d'adhérer au bloc européen, alors même que l'Union était enlisée dans l'une des pires crises politiques et économiques de son histoire.
D'autres détracteurs ont aussi fustigé la double casquette de M. Jagland qui, en raison de ses fonctions au Conseil de l'Europe dont la Russie est un membre important, pourrait renâcler selon eux à décerner le Nobel à des individus ou organisations critiques à l'encontre de Vladimir Poutine.
- 'Génuflexion' face à la Chine? -
La déchéance de M. Jagland a été rendue possible par le changement de la majorité politique en Norvège.
Ayant conquis le Parlement en 2013, les partis de droite ont pu désigner un membre supplémentaire et faire basculer la majorité au sein du comité Nobel, lequel a ensuite décidé d'écarter le travailliste Jagland.
Membre du comité Nobel depuis 2003, Mme Kullman Five, 63 ans, est une ancienne dirigeante du parti conservateur.
"Jusqu'à présent, tous les présidents sortants du comité Nobel avaient pu rester en place, alternance politique au Parlement ou pas", a souligné Asle Sveen, historien du prix. "Cela peut être perçu comme une volonté du gouvernement de droite d'exercer davantage de contrôle politique sur le comité."
Pour lui, le changement opéré mardi risque d'être assimilé à "une nouvelle génuflexion" des autorités norvégiennes face à Pékin. L'an dernier, Oslo avait déjà ostensiblement snobé une visite du dalaï lama, essayant en vain de réparer ses relations avec la grande puissance asiatique.
"La Chine a souhaité le départ de Jagland, y voyant la figure de proue du Nobel à Liu Xiaobo. Pour Pékin, le changement à la tête du comité peut être interprété comme un signe que les pressions paient", a expliqué l'historien à l'AFP.
"Une telle interprétation est sans fondement", a rétorqué Mme Kulmann Five. "J'ai soutenu de tout coeur le prix attribué à Liu Xiaobo".
L'Institut Nobel a par ailleurs annoncé mardi que 276 candidatures avaient été retenues pour le Nobel 2015, deux de moins que l'année précédente.
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