mercredi 13 mai 2015

Asie du Sud-Est: Manille face au Goliath chinois en mer de Chine méridionale

Le général Gregorio Catapang, chef de l'armée philippine, a l'air soucieux en passant en revue les grues rouillées et la piste d'atterrissage vétuste de la minuscule île de Thitu, désormais en première ligne de la guerre des bâtisseurs qui fait rage en mer de Chine méridionale.


A moins de 50 kilomètres de là, les grues géantes déployées par la Chine étincellent sous le soleil, symbole de la frénésie de construction du géant asiatique sur l'archipel des Spratleys, qui a vu apparaître comme par magie de nouvelles îles.

La Chine et le Vietnam, qui a également des prétentions sur cette mer stratégique, sont engagés dans une course aux infrastructures, dans laquelle les Philippines sont à la traîne.

Les 356 habitants de Thitu, la deuxième en importance des îles Spratley, contrôlée par Manille et encerclée de récifs coralliens, craignent d'être bientôt évincés de chez eux par ce conflit qui se joue pour le moment à coups de dragues et de ciment.

"Avant d'atterrir ici nous avons vu les travaux de remblaiement sur le récif (voisin) de Subi et c'est vraiment énorme", dit le général Catapang, en visitant les installations décrépites de l'île, qui possède apparemment pour toute défense deux canons anti-aériens.

La Chine revendique la souveraineté de la quasi totalité de la mer de Chine méridionale, y compris de zones proches des frontières de ses voisins. Et depuis quelques années, Pékin est de plus en plus agressif.

Les Spratleys, un archipel de plus de 100 îles, récifs et atolls à mi-chemin entre le Vietnam et les Philippines, est l'une des zones les plus disputées à cause de son importance militaire stratégique.

- "Gagner du terrain sans un coup de feu"-

Washington a tiré la sonnette d'alarme la semaine dernière, accusant Pékin d'y avoir construit jusqu'à 800 hectares d'îlots artificiels. Les Etats-Unis estiment possible que la Chine y érige aussi des aéroports, des infrastructures de surveillance et des ports.

La mer de Chine méridionale est un carrefour de routes maritimes vitales pour le commerce mondial, et recèle potentiellement des réserves d'hydrocarbures.

Alarmés par l'attitude de Pékin, les voisins ayant des visées sur les Spratleys ne veulent pas être en reste. Selon les médias, le Vietnam mène des activités de remblaiement dans deux sites tandis que Taïwan et la Malaisie ont annoncé des projets d'amélioration de leurs installations navales.

Manille, qui contrôle neuf îles et récifs de l'archipel, n'a en revanche pas fait grand-chose, pour des raisons budgétaires mais aussi car elle espère que l'ONU règlera ce conflit.

Sur Thitu, à quelque 400 km à l'ouest de l'île philippine de Palawan, où il n'y a l?électricité que cinq heures par jour, la vie est d'ordinaire tranquille. Mais l'armée philippine dit que depuis avril, les bâtiments chinois mouillant au large de Subi demandent aux avions militaires philippins de déguerpir au motif qu'ils violent l'espace aérien chinois.

"C'est un problème pour nous qui vivons ici. Nous sommes dépendants des avions pour notre nourriture", dit à l'AFP Larry Jugo, employé municipal de 37 ans.

Le contre-amiral Alexander Lopez, commandant des forces philippines en mer de Chine méridionale, accuse aussi Pékin de harceler les bateaux qui ravitaillent neuf membres de la marine philippine habitant le récif de Second Thomas.

"Ils construisent des choses. (...) C'est très alarmant", dit le contre-amiral.

A 600 km au nord-est des Spratleys, sur Scarborough, un récif en zone économique exclusive philippine mais qui est contrôlée par Pékin depuis 2012, les Chinois repoussent les pêcheurs philippins, dit Manille.

Pour les autorités philippines, comme pour les analystes, tous ces éléments entrent dans le cadre d'une vaste campagne visant à empêcher de facto Manille de faire valoir ses revendications.

"Il n'y a pas grand-chose que les Philippines puissent faire" même s'ils gagnent devant l'ONU, dit Harry Sa, analyste à l'école S. Rajaratnam des Etudes internationales de Singapour. "La Chine agit intelligemment. Ils gagnent du terrain sans avoir à tirer un seul coup de feu".

Manille demande aux Nations unies de dire que les revendications chinoises sont illégales. Une décision est attendue en 2016 mais Pékin refuse de prendre part au processus et devrait rejeter toute conclusion qui lui serait défavorable.

La Chine est autrement plus puissante militairement que les Philippines mais d'après les analystes, elle ne devrait pas ouvrir le feu délibérément sur des bâtiments philippins, de peur que Manille ne demande l'appui de son allié américain au nom d'un traité de défense mutuelle de 1951. Et d'apparaître comme un agresseur dans la région.

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