vendredi 15 mai 2015

Pourquoi le lin ?

80 % de la production mondiale de lin est européenne - 61 % des consommateurs sont prêts à payer plus cher un produit en lin certifié.



Si vous pensez encore qu'un drap en lin est une vieillerie jaunie qui s'achète dans les vide-greniers, entre chemises de nuit rétro et serviettes monogrammées, vous avez tout faux. Aujourd'hui, cette noble matière dame le pion au coton et booste tout le secteur du linge de maison. Voici pourquoi...

On ne voit plus que lui, dans les boutiques pointues et les magazines de déco. Proposés en une dizaine de tons, draps, housses de couette et voilages en lin s'arrachent à La Redoute ou à AM PM, la marque déco branchée de l'enseigne. Aux Galeries Lafayette Maison et au BHV, qui lui consacrent désormais des corners dédiés, ses ventes ont dépassé celles du coton basique. Au Monoprix, les arrivages en série limitée sont illico dévalisés. Quant au très chic concept-store Merci, QG des bobos parisiens et des people en virée shopping, il a tout misé sur cette fibre depuis son ouverture en 2009, allant jusqu'à planter un champ de lin dans sa cour intérieure ! Déclinés en 18 coloris, nappes et draps en lin sont devenus les produits iconiques du magasin : numéro un des ventes en ligne, ils totalisent, à eux seuls, 10 % du chiffre d'affaires en boutique. Pourquoi tant de lin partout ? La linenmania ambiante relève-t-elle du pur phénomène de mode ? Pas que...

Parfaitement écolo

Le lin coche toutes les cases qui plaisent à l'époque, affirme la Confédération européenne du lin et du chanvre (Celc). Contrairement au coton, cultivé au bout du monde à grand renfort de pesticides et transformé dans des conditions de travail exécrables, le lin est écolo, durable, artisanal et local. Quatre-vingt-cinq pour cent du lin mondial pousse en Europe, près du littoral atlantique (France, Belgique, Pays-Bas). Le Nord - Pas-de-Calais, la Picardie et la Normandie produisent à eux seuls 80 % du lin européen. Sans engrais, sans OGM, et sans irriguer les sols - le lin se contente de l'eau de pluie. Son exploitation industrielle est aussi garantie «zéro déchet» : tout ce que boude l'industrie textile est recyclé dans l'huile de lin (peintures, cosmétiques...) ou le linoléum, un revêtement de sol «100 % naturel». Et comme l'arrachage et le rouissage emploient une main-d'oeuvre qualifiée et nombreuse (cinq fois plus importante que pour le blé), en achetant du lin, on contribue au maintien d'une agriculture de proximité... comme en mangeant les carottes des Amap ! Ça se gâte sûrement à l'étape suivante ? Même pas. Certes, les teintures sont rarement environment-friendly, mais, le lin ayant une haute affinité tinctoriale (il boit gloutonnement la couleur), les doses sont moindres que pour le coton. Enfin, s'il est rarement filé et tissé dans l'Hexagone (où les fabriques spécialisées ont été laminées par la crise), il l'est généralement au Portugal, en Pologne ou en Lituanie, dans de petites usines traditionnelles qui n'ont rien à voir avec les sweatshops du Pakistan. Ouf ! Dans des draps en lin, le consommateur dort du sommeil du juste.

Chaud l'hiver, frais l'été

Sauf que... ce parcours sans faute n'explique en rien notre nouvel engouement : 78 % des gens ignorent tout des performances écolo du lin, et 57 % pensent même qu'il s'agit d'une plante exotique (sondage Celc). Tout aussi méconnues sont les autres qualités du plus vieux textile au monde (Cléopâtre était déjà fan). Sa fibre creuse est thermorégulatrice, avec effet respirant l'été et effet isolant l'hiver. Antistress, elle favorise la détente et le sommeil. Anallergique et antibactérienne, on l'utilise dans les services de dermatologie. Elle absorbe jusqu'à 20 % de son poids en eau sans paraître humide au toucher. Et elle est quasiment indestructible et imputrescible. La preuve ? Regardez les bandelettes des momies...

Souple, patiné, ondulé et sans repassage !

Mais attention, le lin qui cartonne aujourd'hui n'a plus grand-chose à voir avec les draps amidonnés de nos aïeux. La matière star du moment s'appelle en fait du «lin lavé». A l'état brut, le tissu est soumis à différentes phases de lavage avec des enzymes et des adoucissants. Ça lui donne un aspect patiné et un relief très particulier, légèrement ondulé, alternant microcreux et microbosses. Doux et souple comme votre jean stonewashed préféré, il a aussi une immense qualité : il ne se repasse plus. Et c'est ça, bien sûr, qui change tout ! Déjà vieilli comme s'il était dans la famille depuis trois générations, à la fois décontracté et statutaire (car de 20 à 30 % plus cher que le coton), le lin lavé séduit, en priorité, une clientèle bobo qui adore l'effortless, ce faux négligé très travaillé. Comme les sneakers de créateur ou les cabas Jérôme Dreyfuss, il s'intègre à la panoplie des cool citadins d'aujourd'hui. «On est plus dans le plaisir et moins dans l'apparat, affirme Daniel Rozensztroch, le directeur artistique de Merci. Si elles sont belles et agréables au toucher, on se fiche que les serviettes de table soient chiffonnées. On se facilite la vie, on accepte que les choses ne soient pas impeccables... Comme la couette, le lin froissé va devenir un basique.» Autre nouveauté : «Alors que les gros motifs, lancés par Primrose Bordier dans les années 70, ont longtemps tracté le marché, aujourd'hui, les unis supplantent les imprimés. On a une vraie envie de simplicité.» Simplicité ? Ça se discute. Car, selon les pros de la déco, rien de plus plouc désormais que le concept de «parure de lit» (drap de dessous + housse de couette + taies coordonnées). Le nouveau mot d'ordre ? «Dé-pa-reil-ler». Pour bluffer les occupants de la chambre d'amis, il faut réussir un subtil mélange de couleurs assorties sur le lit... Si possible coordonné au dégradé de peintures Farrow & Ball sur les murs. Ça nécessite un certain doigté. Et encore, on vous fait grâce de la problématique du cache-sommier !

Un nuancier si subtil

«Le succès du lin lavé s'explique d'abord par le rendu extraordinaire des couleurs», estime Sylviane Grinspan, acheteuse linge de maison aux Galeries Lafayette-BHV. Résultat, l'enseigne développe sa gamme comme des collections de prêt-à-porter. «L'indigo, par exemple, a d'abord débarqué dans le vêtement avant d'envahir l'univers du lit. On le propose en uni, mais aussi à grosses rayures sur fond blanc ou écru, ou même en imprimé floral surteint, dans un esprit très japonisant. Mais on mise aussi sur les deux couleurs tendance de l'été : le turquoise et le corail.» Chez Merci, pour fidéliser les early adopters et séduire les suiveurs, la stratégie est encore plus affûtée. Aux 12 teintes indéboulonnables du nuancier s'ajoutent chaque saison six coloris «éphémères» (dont un bleu persan et un jaune impérial pour l'été 2015). Mais on affine aussi la palette pour mieux coller... aux tendances déco du moment : des bleus et du framboise assortis aux intérieurs fifties, des gris et des kaki pour fans de lofts et de mobiliers industriels. Attention, donc, à ne pas s'emmêler les pinceaux ! Eh oui, la déco effortless («Voyez comme je me fiche des conventions, avec mes draps tout chiffonnés»), c'est du boulot...

Star de la cuisine et du bain

En attendant, le lin continue son irrésistible expansion. Après la chambre et la table, il réinvestit la cuisine - un de ses territoires d'origine -, avec des tabliers et des essuie-mains. Le torchon à l'ancienne en lin, garanti antiboulochage, imbattable pour essuyer les verres, est le nouveau cadeau qui fait mouche dans les dîners. Très chic, ceux de Landmade, VPCiste de déco made in France, sont tissés par Charvet, vieille maison d'Armentières. La Trésorerie, nouveau bazar fétiche des journalistes déco (vaisselle, linge, ustensiles... artisanaux et sourcés en Europe), en propose aussi des flopées. Le matériau du moment s'invite aussi dans la salle de bains. Signée Merci, AM PM, ou Absolument Maison (Galeries Lafayette), la serviette «nid d'abeille» - une finition alvéolée inspirée du linge ancien - démode la fouta de hammam en coton, star des étés précédents. Le drap de bain en lin XXL devrait aussi, sous peu, déferler sur les plages chic de l'Atlantique, de l'île d'Yeu à Biarritz. D'autant qu'il est bien plus doux, léger et efficace pour sécher le baigneur transi que son équivalent traditionnel en bouclette. «Le lin commence même à détrôner l'éponge, qui est pourtant un pilier de la culture française : on est quand même les seuls au monde à utiliser des gants de toilette», s'amuse Daniel Rozensztroch. A la rentrée, conquis, on se jettera sur de nouveaux accessoires en lin. Venus de Scandinavie et surfant sur la tendance du «Spa à domicile», les miniserviettes de sauna, les luffas et les gants exfoliants sont déjà partout. Et La Trésorerie propose même de très snobs chiffons à récurer ou éponges à vaisselle en lin brut, importés du Japon, autre pays accro à ce textile.

Bientôt dans les palaces ?

«Sachant qu'on n'a encore jamais communiqué sur le côté écolo du lin, il y a encore un immense réservoir de clientèle», estime Sylviane Grinspan. Dans la ligne de mire des fabricants : le marché de l'hôtellerie... qui fait de la résistance ! Si les maisons d'hôte chic sont d'ores et déjà conquises, difficile, en revanche, de faire dormir dans des draps chiffonnés les habitués des hôtels de luxe. Dans les palaces, le lit bordé au cordeau a encore de belles nuits devant lui. Mais, partout ailleurs, le «cool chiffonné» séduit. Au point que Merci s'apprête à lancer... une ligne de draps en coton froissé. Qui devrait vite donner des idées aux copieurs. Et des insomnies aux fabricants de centrales vapeur. M.-O.B.


Marianne, no. 943 - Quelle époque !, vendredi 15 mai 2015, p. 80,81,82,83
MARIE-ODILE BRIET


DÉCHIFFRAGE EXPRESS

Dans quoi dormez et rêvez-vous ?

Aucune idée ? Alors qu'on scrute dorénavant l'étiquette de nos vêtements, on est moins regardant pour le linge de maison. Dommage, car la qualité de nos nuits dépend beaucoup de la composition de nos draps.

La percale

Ce grand classique est l'aristo de la famille coton. Réalisée avec les fibres les plus longues du coton égyptien (le plus coté au monde), la percale est tissée très serrée avec au minimum 80 fils (très fins) au centimètre carré. A l'arrivée, ça donne un drap d'aspect très lisse et légèrement brillant, beaucoup plus doux que le coton premier prix. Cher, mais facile d'entretien, et réputé increvable.

Le satin

Ce n'est pas un matériau, mais un procédé de fabrication (un mode d'entrecroisement des fils de chaîne et de trame), qui donne au tissu un rendu légèrement brillant et un toucher soyeux. A fuir : le satin de polyester, qui glisse et fait bouillotte l'été. Préférer le satin de coton, qui emprisonne mieux la couette. Et choisir un imprimé frais ou du blanc. De couleur vive, ça fait vite lupanar.

La soie

Marcel Proust (qui a des draps de soie dans sa chambre reconstituée au musée Carnavalet) ne jurait que par elle. Mais, aujourd'hui, pour se lover dans cette matière infiniment voluptueuse, il faut compter... 3 762 € la parure chez Frette, la marque milanaise préférée des palaces. Sans oublier les gages de la femme de chambre (lavage à la main). Autre option : les sites spécialisés dans la soie chinoise (Lilysilk, Maison de la soie), mais dont les modèles, hélas, évoquent plus le penthouse pour émirs avenue Foch que la chambrette de Marcel.

La flanelle

Epais, doux et duveteux, disponible un peu partout (La Redoute, 3 Suisses, Linvosges, Carrefour), le drap en flanelle, qui se plaît dans les maisons de campagne, est le meilleur ami du frileux. C'est aussi une matière 100 % naturelle : du coton ayant subi un léger grattage, qui en efface la trame. Penser à vérifier qu'il est prérétréci, sous peine de mauvaises surprises au premier lavage.

Le bambou

Hyperconfortable et souple, le drap confectionné à partir de fibres de bambou (un matériau à l'image très «nature», qui cartonne en déco) est le nouveau venu de l'armoire à linge. Les ados l'adorent : c'est comme dormir dans son vieux tee-shirt préféré. Il ne se repasse pas et sèche en un clin d'oeil. Mais attention : la «viscose de bambou», dont la fabrication emploie produits toxiques et polluants, est tout sauf écolo ! Privilégier les fabricants utilisant le procédé Lyocell (la fibre s'appelle alors Lyocell ou Tencel), nettement plus vertueux.

Le chanvre lavé

Mêmes propriétés que le lin (absorbant, thermorégulateur, résistant), même parcours (il pousse de part et d'autre de la frontière belge), même côté froissé so chic, il a juste un aspect plus brut et un toucher plus rêche. AM PM mise depuis deux ou trois saisons sur cette fibre émergente, avec un beau choix de couleurs. Et Couleur Chanvre (couleur-chanvre.com) fabrique en France et emploie des teintures bio pour ses draps, rideaux, nappes, coussins... Mais ça reste un marché de niche : il y a très peu de surfaces cultivées.


COMMENT LAVER DU LIN LAVÉ

- Ne pas bourrer la machine : pour garder leur moelleux, vos draps doivent pouvoir s'ébattre à l'aise dans le tambour.

- Choisir un programme à 40 ou 60 °C (en cas de taches).

- Idéalement, éviter le sèche-linge, surtout avec du lin low cost (souvent tissé en Chine, ce qui n'est pas toujours précisé sur l'étiquette ; en revanche, le label «Masters Of Linen» garantit l'origine 100 % européenne), sinon ça va finir par boulocher. Etendre de préférence les draps sur un fil déjà pliés.

- Et surtout ne pas repasser : le fer écrase les fibres et le drap perd sa douceur et son gonflant.

© 2015 Marianne. Tous droits réservés.

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