mardi 2 juin 2015

DOSSIER - Bourse, quelle zone géographique privilégier ?

Depuis le début de l'année, le marché des actions connaît des évolutions contrastées. Alors que les places boursières européennes et asiatiques sont en train de boucler un premier semestre en fanfare, dans le même temps, les investisseurs font preuve d'attentisme à l'encontre des États-Unis et de certains pays émergents. Reste à savoir si ce même scénario sera toujours à privilégier dans les mois à venir.


Il faut dire que sur le plan économique, une nouvelle dynamique de croissance semble s'installer dans le monde. Même si le produit intérieur brut américain continue de croître à un rythme soutenu depuis plusieurs années, les économies japonaise et européenne commencent à voir leur ciel s'éclaircir pour la première fois depuis la crise financière de 2008. D'ailleurs, le FMI vient de réviser à la hausse ses prévisions de croissance économique pour le Japon et la zone euro, dopées par le pétrole bon marché et la hausse récente du dollar. Pourtant, alors que la zone euro est en passe de devenir le deuxième moteur de la croissance mondiale en 2015 aux côtés des États-Unis, la Chine, pour sa part, inquiète. Sur les trois premiers mois de l'année, l'Empire du Milieu a fait état d'une croissance, en rythme annualisé, de «seulement» 7 %, soit bien en-deçà des chiffres auxquels le pays nous avait habitués ces dernières années. Les raisons de cette décélération de l'activité économique ne manquent pas, même si la principale explication réside dans la volonté des autorités chinoises de «réduire les vulnérabilités liées à la croissance rapide du crédit et de l'investissement » comme le souligne un récent bulletin publié par le Fonds Monétaire International. Néanmoins, au sein des pays émergents membres des BRIC (Brésil, Russie, Inde, Chine et Afrique du Sud), c'est la Russie qui devrait voir ses perspectives économiques le plus nettement se dégrader en 2015, avec un taux de croissance s'enfonçant largement dans le rouge selon les dernières estimations du FMI (cf. tableau p.56). En effet, les sanctions internationales envers Moscou liées aux tensions géopolitiques en Ukraine et le fort recul des prix du pétrole ont frappé de plein fouet l'économie russe. En revanche, pour l'heure, la crise ukrainienne aux portes de l'Union européenne, ne semble pas avoir de répercussions sur la reprise économique qui est en train de prendre forme dans la zone euro. Autre point rassurant pour l'Europe, en ce début d'année, la BCE a décidé de passer à la vitesse supérieure avec la mise en oeuvre d'une politique monétaire de plus en plus accommodante. Comme sa capacité d'action est maintenant épuisée sur les taux d'intérêt - puisqu'ils évoluent désormais à des niveaux proches de zéro - elle vient de lancer au mois de mars dernier, un vaste programme de rachat de dettes de plus de 1 000 milliards d'euros afin de lutter contre la déflation et relancer la croissance en Europe.

La désynchronisation des politiques monétaires est en marche

Ce programme d'assouplissement quantitatif, appelé par les anglo-saxons Quantitative Easing (QE), s'inspire de celui lancé à la fin de l'année 2008 par la Réserve fédérale américaine (Fed), peu après le déclenchement de la crise des subprimes aux États-Unis. Son principe est simple : il s'agit d'injecter massivement des liquidités dans le système financier, via des achats d'emprunts d'États et autres titres de dette réalisés sur le marché secondaire. Pour l'heure, l'action de la BCE a surtout eu pour effet de faire flamber le prix des obligations souveraines émises par des pays comme l'Allemagne ou la France ; à tel point que plus de la moitié des emprunts d'États européens affichent aujourd'hui un rendement négatif si l'on en croit une étude réalisée par Allianz Global Investors. Logiquement, cette situation devrait pousser les investisseurs à la recherche de rendement à se tourner davantage vers des actifs risqués, comme les actions par exemple, historiquement plus rémunératrices sur longue période que les obligations (cf. tableau p.55). D'ailleurs, l'appétit des investisseurs pour la Bourse a été observé aux États-Unis pendant toute la durée du QE mené par la Réserve fédérale américaine, qui vient de prendre fin au mois d'octobre dernier avec le retour d'une croissance économique jugée suffisamment solide et pérenne par les autorités monétaires américaines. En effet, alors que la taille du bilan de la Fed n'a cessé de grossir entre 2008 et 2014 avec la mise en place de son programme d'assouplissement quantitatif, dans le même temps, l'indice large de la Bourse américaine, le Standard & Poor's 500, a vu son cours presque tripler de valeur, évoluant de pair avec la montée en puissance de l'action de la Réserve fédérale américaine (cf. graphique). Reste à savoir si ce même scenario se reproduira dans la zone euro, sachant que le QE de la Banque centrale européenne devrait durer au minimum jusqu'au mois de septembre 2016 mais pourrait éventuellement continuer au-delà en cas de nécessité si l'on en croit les récentes déclarations de Mario Draghi, le gouverneur de la BCE. Une désynchronisation des politiques monétaires est donc clairement en train de se mettre en place des deux cotés de l'Atlantique, d'autant plus que pour Cyrille Collet, directeur de la gestion actions chez CPR AM, «au cours de l'été, la Fed va vraisemblablement relever son taux directeur - fixé à 0,25 % depuis 2008 - face à la vigueur de la reprise économique aux États-Unis». Il n'en reste pas moins que cette question reste encore en suspens, ce qui préoccupe bon nombre d'investisseurs. En effet, «Janet Yellen, la présidente de la Réserve fédérale américaine, est pour l'instant restée relativement floue sur l'ampleur et la date du relèvement des taux d'intérêt» ajoute t-il. Il est vrai que son objectif n'est pas de plomber l'activité économique outre-Atlantique ; son timing dépendant avant tout de l'évolution des conditions conjoncturelles de ces prochains mois.

Un potentiel de hausse qui semble limité aux Etats-Unis

Quoi qu'il en soit, cette incertitude liée à la décision de la Fed n'est pas de nature à rassurer les investisseurs ; d'autant plus que «la forte croissance des bénéfices est derrière nous aux États-Unis» précise Michel Juvet, économiste et associé de la banque privée suisse Bordier & Cie. Or, la profitabilité future des sociétés cotées joue un rôle déterminant dans le processus de valorisation boursière. En effet, les investisseurs préfèrent investir sur des titres qui connaissent une dynamique positive de profit, à condition, bien évidemment, de les acheter à un prix raisonnable. Pour juger du niveau de leur cherté, ils utilisent notamment le classique Price Earning Ratio ou PER, mesurant le rapport entre le cours de Bourse d'une entreprise et son bénéfice annuel net par action. Ainsi, plus le PER est faible, plus l'action est considérée comme bon marché et inversement. D'après CPR AM, pour l'année 2015, le ratio cours/bénéfice de l'indice boursier MSCI USA - mesurant la performance globale du marché boursier américain - ressort à 17,6 «contre une valeur historique tournant plutôt autour de 15» rappelle Cyrille Collet (cf. tableau p.59). En clair, si les bénéfices à venir se maintiennent aux niveaux actuels, un investisseur attendrait plus de dix-sept ans avant de pouvoir récupérer sa mise de départ. L'autre indicateur de valorisation, généralement utilisé par les professionnels, le ratio Price to book - mesurant le rapport entre la capitalisation boursière et la valeur comptable d'une entreprise - incite également à une certaine prudence sur les marchés américains : sa valeur ressort à 2,7 en 2015 pour le MSCI USA (cf. tableau p.59). Bien évidemment, cette analyse ne veut pas pour autant dire que la Bourse américaine va s'arrêter de monter dans les mois à venir. Mais, comme le rappelle Cyrille Collet «après 5 années de belles performances, elle devient de plus en plus chère, compte tenu d'une croissance des profits inférieure à 2 % en 2015, bien loin des taux de progression des bénéfices enregistrés ces dernières années». Des chiffres qui pourraient d'ailleurs être revus à la baisse si le dollar continue de flamber sur le marché des changes. En effet, de nombreuses multinationales américaines, comme General Motors, Amazon, IBM ou encore Procter & Gamble font déjà les frais du renchérissement du billet vert. D'ailleurs, Apple par la voix de son directeur financier, a ainsi récemment fait savoir que son chiffre d'affaires a été amputé de 2,7 milliards de dollars au cours du seul premier trimestre 2015.

La zone euro a la faveur des gérants

Par comparaison, la dynamique de profit des entreprises européennes est sur une pente bien plus ascendante. Outre la mise en place du programme d'assouplissement quantitatif de la BCE qui incite les investisseurs à se positionner sur des actifs risqués, les actions de la zone euro bénéficient de deux coups de pouce. Le premier, c'est le cours de l'euro qui s'effrite contre les principales devises depuis près de douze mois, accusant notamment un recul de plus de 20 % contre le dollar. Cet affaiblissement de la devise européenne est un avantage pour toutes les entreprises qui produisent leurs biens et services dans la zone euro et les exportent en dehors de celle-ci. En effet, compte tenu de cette dépréciation, elles peuvent soit décider d'ajuster à la baisse leurs prix de vente en devise - ce qui les rend plus compétitives sur la scène internationale - soit de les maintenir inchangés et ainsi augmenter mécaniquement leurs marges. Comme l'imagine, tous les segments de l'économie ne sont pas sensibles de la même manière à cette dépréciation de la monnaie. En revanche, la plupart des multinationales européennes composant les indices boursiers et réalisant une part importante de leur chiffre d'affaires en dehors de la zone euro, en sont les premières à en bénéficier. L'autre élément favorable pour les actions européennes, c'est la baisse des prix du pétrole. En un peu moins d'un an, les cours ont chuté de près de 50 %, passant de 100 dollars le baril à environ 60 dollars aujourd'hui. Même si cette baisse est à relativiser car exprimée en euro, la baisse du cours de l'or noir est moindre - compte tenu de l'appréciation du dollar dans le même temps - il n'en reste pas que certains secteurs, comme les transports et l'industrie en sont les grands gagnants. D'ailleurs, «l'euro et le pétrole ont conduit à un puissant mouvement de révision à la hausse des profits depuis le début de cette année puisque l'on s'attend désormais à une croissance bénéficiaire de 16,60 % pour l'indice boursier européen MSCI EMU en 2015 » précise Cyrille Collet. Si l'on ajoute à cela une valorisation encore raisonnable par rapport aux marchés boursiers américains avec un PER et un ratio Price to book ressortant respectivement à 16,8 et 1,7 pour cette année (cf. tableau p.59), on comprend mieux pourquoi les actions européennes ont eu la faveur des investisseurs en cette première partie d'année. En effet, depuis le 1er janvier, les indices des principales places boursières européennes affichent des performances à deux chiffres, que ce soit au Portugal, aux Pays-Bas, en Italie ou encore en Allemagne et en France. Ainsi, la valeur de l'indice CAC 40, calculée en tenant compte des dividendes réinvestis, à la manière du DAX allemand, enregistre une hausse de plus de 10 % et se retrouve à ses plus hauts historiques, effaçant ainsi les traces de la dernière crise financière (cf. graphique p.60). Pourtant, en dépit de leur rebond amorcé depuis 2009, «les bourses européennes restent encore en retard par rapport aux marchés boursiers américains» rappelle Michel Juvet (cf. graphique p.62) ; ce qui l'incite «à surpondérer les actions de la zone euro dans les portefeuilles, compte tenu des révisions à la hausse des profits qui devraient se poursuivre au cours des prochains mois». Cerise sur le gâteau, selon une récente note publiée par la société de gestion Alma Capital & Associés, les opérations de fusions-acquisitions devraient encore dynamiser les bourses européennes dans les prochains mois, comme le montre le tout récent rachat du groupe de transport français Norbert Dentressangle par l'américain XPO Logistics.

Le Japon semble enfin sortir de sa léthargie

L'amélioration des perspectives bénéficiaires des entreprises est également perceptible au Japon, portée là encore par la chute des cours du pétrole et l'effet devise (cf. tableau p.59). En effet, comme l'euro, le yen a vu sa parité dévisser contre le dollar, en particulier depuis fin 2012, date de l'arrivée au pouvoir du nouveau Premier ministre japonais, Shinzo Abe. Décidé à sortir le Japon de la crise dans laquelle le pays est plongé depuis la fin des années 1990, ce dernier a lancé un vaste et ambitieux programme économique dénommé Abenomics. Il s'agit d'un triptyque de réformes menées tambour battant : une stratégie de croissance conjuguée à un plan de relance budgétaire et à une politique monétaire accommodante réalisée par le biais d'un programme d'assouplissement quantitatif. Après deux ans d'efforts, les Abenomics commencent à porter leurs fruits au pays du Soleil-Levant. D'après les dernières prévisions du FMI, la croissance du PIB japonais atteindrait ainsi 1 % en 2015 contre -0,10 % l'an dernier (cf. tableau p.56). Dans ce contexte économique plus favorable, les entreprises nippones composant l'indice boursier MSCI Japon devrait voir leurs bénéfices croître de 12,10 % cette année, tout en affichant des valorisations encore raisonnables, notamment en termes de ratio Price to book (cf. tableau p.59). Preuve de ce regain de forme, les grands noms de l'industrie, comme Toyota, Nissan, Honda, Hitachi ou encore Panasonic ont récemment convenu d'une hausse de salaire significative pour leurs employés, au vu de la remontée de leurs bénéfices. De plus, «les entreprises japonaises se veulent désormais plus respectueuses des intérêts des actionnaires» indique Wolfgang Fickus, membre du comité d'investissement de Comgest. D'ailleurs, «l'amélioration de la gouvernance d'entreprise et du rendement aux actionnaires est devenu une thématique d'investissement majeure sur le marché boursier japonais» ajoute t-il. Bref, autant d'éléments positifs qui ont incité les investisseurs à retrouver le chemin de la Bourse. Pour la première fois en quinze ans, l'indice vedette de la Bourse de Tokyo, le Nikkei 225, est repassé au-dessous du seuil symbolique des 20 000 points, gagnant plus de 10 % depuis le début de l'année. Cependant, en dépit de ces récentes performances, les actions japonaises restent encore à la traîne par rapport aux actions européennes et américaines ; rappelons que le plus haut historique de l'indice Nikkei 225 a été atteint en décembre 1989, à près de 40 000 points.

La Chine et les pays émergents suscitent des interrogations

L'avis des spécialistes est en revanche plus contrasté sur les pays émergents qui continuent d'enregistrer dans leur ensemble une croissance économique supérieure à celle des pays développés. Ainsi, le FMI table en 2015 sur un PIB en progression de 4,30 % contre une hausse de 4,60 % en 2014 et 5 % en 2013 (cf tableau p.56). Il faut dire que parmi les BRIC, le Brésil et la Russie devraient afficher cette année un taux de croissance négatif, une première depuis 2009. Les obstacles structurels à la croissance, pointés du doigt par les nombreux experts économiques, comme la faiblesse de l'investissement productif ou encore le climat des affaires terni par des scandales de corruption - à l'image de la récente affaire Petrobras au Brésil - suscitent la méfiance des investisseurs. Pour preuve, leur devise respective est en chute libre sur le marché des changes. Ainsi, depuis 2012, le rouble et le real brésilien ont perdu près de 50 % de leur valeur contre le dollar. Pour tenter d'enrailler cette dégringolade, les banques centrales de ces deux pays n'ont pas hésité à relever le niveau de leur taux d'intérêt directeur à des niveaux supérieurs à 10 %, pénalisant par ricochet l'activité économique. Bien évidemment, cette situation pèse sur les indices boursiers brésiliens et russes qui sont aujourd'hui loin d'avoir retrouvé leurs plus hauts historiques, atteints avant le déclenchement de la crise financière en 2008 et ce, malgré un rebond des cours enregistré depuis le 1er janvier dernier. Mais, si la croissance économique de l'ensemble des pays émergents marque le pas, c'est également à cause de la Chine. En effet, l'atterrissage de la deuxième économie mondiale est assez brutal : le FMI prévoit une hausse de «seulement» 6,80 % de son PIB en 2015 alors que le pays nous avait habitués à des taux de croissance à deux chiffres pendant la majeure partie des quinze dernières années (cf tableau p.56). Il faut dire que certains moteurs économiques montrent actuellement des signes d'essoufflement, qu'il s'agisse du secteur de la construction pénalisé par la morosité du marché immobilier ou encore les exportations, en chute de 15 % sur un an, selon l'administration générale des douanes chinoises. Reste à savoir si dans ces conditions, le gouvernement chinois sera en mesure d'atteindre son objectif de croissance fixé à environ 7 % pour cette année. Néanmoins, il affiche clairement sa volonté de soutenir l'activité économique et de reformer les entreprises d'État ainsi que les marchés financiers «ce qui devrait être positif pour le marché des actions» selon Wolfgang Fickus, précisant au passage «qu'une stratégie de stockpicking reste préférable compte tenu de l'environnement actuel, particulièrement volatil». D'ailleurs, même si le ralentissement chinois inquiète les experts, cela ne semble pas pour autant dissuader les investisseurs, notamment les ménages chinois. Il faut dire qu' «ils se ruent actuellement sur les actions domestiques, n'hésitant pas à emprunter pour spéculer en Bourse» indique Cyrille Collet. Cette frénésie s'est traduite par une progression de plus 50 % de l'indice SSE de la Bourse de Shanghai depuis le 1er janvier, laissant craindre à beaucoup la formation d'une immense bulle spéculative, en particulier sur les actions A libellées en yuans et réservées aux chinois résidents. Pourtant, dans leur ensemble, les marchés émergents sont loin d'être surévalués si l'on observe les principaux indicateurs de valorisation. Ainsi, les ratios de PER et de Price to book ressortent respectivement à 12,4 et 1,4 pour l'indice boursier MSCI dédié aux pays émergents, le MSCI EM. De plus, à l'heure où la recherche de rendement est bien souvent devenue une préoccupation majeure et un thème central d'investissement, ces marchés sont encore en mesure d'offrir des taux de dividendes attractifs, tout comme les actions américaines et européennes (cf. tableau p.59). Reste à savoir si les pays émergents vont rapidement retrouver la faveur des investisseurs (cf. graphique p.62). Quoi qu'il en soit, si l'on en croit les professionnels, l'environnement actuel de taux bas dans les pays développés, joue clairement en faveur des investissements en actions. Pourtant, il ne faut pas perdre de vue que de plus en plus de gérants de portefeuille se déclarent aujourd'hui préoccupés par la surévaluation croissante de cette classe d'actifs, d'après un récent sondage mené par la banque américaine Bank of America - Merrill Lynch. D'ailleurs, ils ne sont pas les seuls. La présidente de la Fed, Janet Yellen, partage également ce point de vue, estimant au mois de mai dernier que les Bourses étaient surévaluées.

Romain Féraud
Gestion de Fortune, no. 260 - Dossier, lundi 1 juin 2015, p. 54

Performance annualisée sur 40 ans (1974-2014)
Actions 14,60 %
Logement Paris 12,80 %
SCPI 10,50 %
Obligations 7,30 %
Livret A 5,40 %
Or 4,90 %
Inflation 4 %
Source : IEIF

Prévisions de croissance (en %)
2014 / 2015
Monde 3,40 / 3,50
Pays avancés 1,80 / 2,40
États-Unis 2,40 / 3,10
Zone euro 0,90 / 1,50
Japon -0,10 / 1
Pays émergents 4,60 / 4,30
Brésil 0,10 / -1
Chine 7,40 / 6,80
Russie 0,60 / -3,80
Source : FMI

INTERVIEW - Trois questions à Mark Mobius, président exécutif de Templeton Emerging Markets Group

Pensez-vous qu'il est intéressant d'investir sur les marchés émergents à l'heure actuelle ?

Mark Mobius : En tant que pionnier de l'investissement dans les pays émergents depuis 40 ans, je continue à croire au potentiel de ces marchés. En effet, les taux de croissance économique de ces pays restent élevés et constituent un atout indéniable. En 2015, ils devraient largement surperformer ceux des pays développés. De plus, de nombreux pays émergents, parmi lesquels la Chine, l'Inde, l'Indonésie, le Mexique et la Corée du Sud, ont annoncé ou lancé des réformes variées visant globalement à supprimer les barrières bureaucratiques qui entravent la croissance, ainsi qu'à favoriser l'esprit d'entreprise et à soumettre à la discipline du marché certains secteurs inefficaces. Beaucoup de ces pays cherchent également à rééquilibrer la structure de leur économie pour donner plus d'importance à la demande des consommateurs, au détriment des exportations et de modèles lourds en investissement.

Nous considérons comme particulièrement prometteur le potentiel des nouvelles technologies en matière de croissance. Par exemple, certaines technologies de communication en ligne et mobiles donneront la possibilité aux pays en développement de gagner plusieurs étapes de développement économique qu'ont connues les pays développés, et d'adopter directement des systèmes modernes efficients.

Dans la mesure où nos indicateurs de recherche bottom-up identifient toujours des opportunités d'investissement intéressantes à long terme, nous restons optimistes quant au potentiel des marchés émergents.

Jugez-vous possible une correction de la Bourse chinoise dans les mois à venir ?

MM : Il y a aura probablement une correction sur le marché chinois mais la question aujourd'hui est de savoir quand cette correction aura lieu. Les marchés haussiers peuvent souvent durer plus longtemps que les anticipations initiales. Potentiellement, une intervention du gouvernement pourrait être un déclencheur mais de multiples autres facteurs peuvent déclencher une correction. Le «marginfinancing» a explosé et atteint des niveaux élevés, forçant le gouvernement à imposer des limitations récemment. Le gouvernement pourrait également mettre en place d'autres restrictions pour empêcher les petits investisseurs de s'endetter outre mesure et d'entraîner une surchauffe du marché.

Sur une vision plus long terme, les changements opérés récemment dans le secteur de la finance et concernant les entreprises publiques semblent prometteurs. Les banques en particulier les grandes banques avec de puissantes franchises de dépôt, ainsi que les sociétés financières sont susceptibles de profiter du développement des marchés financiers. La consolidation du secteur des matériaux de construction, et la rationalisation des capacités de production offrent également un potentiel de création de valeur à long terme. Les groupes pharmaceutiques et certaines entreprises du secteur de la consommation devraient aussi en bénéficier, à la faveur de la croissance de la demande structurelle. Les efforts constants du gouvernement pour rééquilibrer l'économie en délaissant les exportations et les investissements au profit de la consommation intérieure pourraient être positifs à long terme pour l'économie et les marchés.

Quel est votre avis sur le marché russe ? Et le Brésil ?

MM : Si les sanctions américaines et européennes se poursuivent à l'encontre de la Russie, le rouble devrait rester faible ou continuer à se déprécier et cela pourra affecter le marché en général. Au-delà de la question des sanctions qui demeure essentielle, nous remarquons des efforts faits par le gouvernement russe notamment en matière de politique monétaire.

Ces derniers mois, le gouvernement russe a annoncé une série de mesures dont le montant s'élève au moins à 35 milliards de dollars pour lutter contre la crise économique, notamment un projet de recapitalisation des banques de 15,7 milliards de dollars et l'injection de 4,7 milliards de dollars de capital dans la banque nationale de développement, afin de lui permettre de stimuler l'octroi de prêts pour soutenir l'économie. La Russie restera confrontée à de nombreux défis que la politique monétaire seule ne pourra résoudre.

Concernant le Brésil, je suis un peu plus optimiste concernant les perspectives d'investissement qu'il y a six mois. Nous espérons notamment que l'attention accrue portée à la corruption va contribuer à initier des changements dans la gestion des entreprises et des réformes sur le plan politique.

Nous étudions les secteurs liés à la consommation, qui ont vu leurs résultats diminuer en raison de la stagnation du revenu par habitant, ainsi que le secteur bancaire qui pourraient offrir des opportunités intéressantes à l'avenir. Aujourd'hui, le sentiment s'est nettement dégradé et le marché boursier enregistre des performances décevantes. Malgré tout, j'aimerais exposer les raisons de mon optimisme. Le pays a en effet une économie gigantesque et dynamique qui devrait encore se développer en dépit des problèmes politiques et du besoin de réformes. Les brésiliens ont aussi un côté plus activiste et n'hésitent pas à faire entendre leur voix. Enfin nous identifions de nouvelles opportunités notamment sur des multinationales auparavant trop onéreuses, présentant des perspectives solides, une équipe dirigeante compétente et un niveau d'endettement réduit.

Mettre des actions étrangères dans le PEA

Réservé initialement aux actions françaises au moment de sa création en 1992, le plan d'épargne en actions a été étendu par la suite aux valeurs européennes. Depuis 2003, il est même possible de loger dans un PEA des parts d'OPCVM, à condition que le portefeuille de la SICAV sélectionnée comporte au minimum 60 % d'actions éligibles, ce chiffre étant porté à 75 % pour un FCP. En dépit de ces contraintes, à l'heure actuelle, l'offre de fonds PEA disponibles en France est très large : Morningstar en recense actuellement plus de 3 000 sur sa plateforme en ligne. De plus, à travers des techniques financières sophistiquées, certaines sociétés de gestion sont aujourd'hui capables d'offrir des produits investis sur des marchés actions situés en dehors des frontières européennes. Ainsi, par exemple, les FCP Federal Indiciel US, Federal Indiciel Japon et CamGestion Emerging BRIC ont respectivement pour objectif de répliquer la performance des marchés actions américains, japonais et émergents. De la même manière, plusieurs trackers - juridiquement des OPCVM - éligibles au PEA, permettent aux épargnants d'être investi sur les principaux indices boursiers non européens. La plupart des promoteurs français d'ETF en proposent, que ce soit Amundi, EasyETF (BNP Paribas) ou encore Lyxor (groupe Société Générale). Les possibilités de diversification géographiques ne manquent donc pas dans le cadre d'un PEA, ce qui permet aux épargnants d'en profiter, tout en bénéficiant d'un cadre fiscal allégé.

LE POINT DE VUE DE VINCENT JUVYNS - Stratégiste chez JP Morgan Asset Management
Propos recueillis par Michel Lemosoff

Il continue aujourd'hui à préférer les actions aux obligations et les marchés développés aux marchés émergents, bien que ces derniers lui paraissent tôt ou tard appelés à retrouver la faveur des investisseurs. «Dans la zone euro, l'emploi reste le grand problème, déplore le professionnel. Or, si vous protégez trop certaines personnes, les autres ne rentreront pas dans le système. Les entreprises ont des salariés à durée indéterminée et des clients à durée déterminée... La demande de crédit, poursuit-il, notamment de la part des ménages dans l'immobilier, se raffermit. Là où le bât blesse, c'est que les PME ont du mal à se financer. Cela dit, la situation d'ensemble s'améliore. Il faut maintenant transformer l'essai. L'assouplissement monétaire de la BCE ne créera pas de croissance, mais il va créer un cadre favorable». Les flux de capitaux soutiennent les marchés européens, même si, dans l'absolu, ceux-ci ne sont plus sous-valorisés. Vincent Juvyns est aussi positif sur les actions japonaises. Le marché japonais - le seul marché développé qui se traite en dessous de sa moyenne historique - s'affranchit de la baisse du yen pour progresser. La chute du prix du pétrole est très bénéfique à l'économie nippone. Aux Etats-Unis, près de 70 % du PIB reposent sur la consommation, qui devrait rester bien orientée, indépendamment de la force du dollar, car le pouvoir d'achat des Américains augmente, du fait de la dynamique de l'emploi, même si les hausses de salaires ne sont pas spectaculaires, et de la diminution du coût de l'énergie. S'agissant des taux d'intérêt, le stratégiste souligne que la raréfaction des ressources obligataires, avec une demande mondiale d'obligations (2 600 milliards de dollars) supérieure de 30 % à l'offre estimée cette année, constitue une vraie aubaine pour éviter un krach obligataire. En Europe, 30 % de l'encours total obligataire ont des rendements négatifs. L'action est peut-être la nouvelle obligation !

POINT DE VUE SUR LA BOURSE CHINOISE

Nicholas Yeo, responsable actions (Chine/Hong Kong) chez Aberdeen Asset Management

Nous nous sommes souvent rendus en Chine ces derniers temps. L'an dernier, nos gérants ont effectué 190 visites d'entreprises en Chine continentale, sans compter les réunions avec les équipes de gestion basées à Hong Kong, qui réalisent la majeure partie de la recherche sur les sociétés chinoises. Nous avons toujours été réceptifs aux thématiques relatives à la Chine - émergence de la classe moyenne, urbanisation, taux d'épargne élevé, demande insatisfaite - mais l'un des facteurs qui nous a toujours dissuadés de sauter à pieds joints sur ce marché est la piètre qualité de nombreuses entreprises que nous trouvons là-bas.

Quid de la gouvernance ?

La gouvernance d'entreprise - ou, pour être plus précis, son absence - constitue le principal écueil à nos yeux. Voilà pourquoi nous conseillons toujours à nos clients de s'exposer dans un premier temps à la croissance de l'économie chinoise en investissant dans des entreprises cotées sur une place financière étrangère (à Hong Kong habituellement), où les règles de protection des investisseurs sont appliquées avec davantage de rigueur.

Une bulle ?

Dans des périodes comme celle que nous vivons actuellement, alors que les actions A libellées en monnaie locale cotées à Shanghai et à Shenzhen ont vu leurs cours bondir de près de 80 % en l'espace de six mois, on peut facilement devenir moins vigilant. Les marchés sont clairement effervescents, mais ne s'agit-il pas d'un mouvement spéculatif ? Les clients exigent des explications lorsque leurs investissements rapportent moins que l'indice de référence.

Lorsque la gourmandise l'emporte sur la peur, les investisseurs seraient bien inspirés de se souvenir que sur les quelques 2 000 entreprises de l'univers des actions A, seules 700 font l'objet d'un suivi régulier de la part des analystes financiers. Sur les autres, les connaissances sont très limitées. Ce que nous savons, c'est qu'elles sont dans un état si précaire que leur survie ne tient qu'aux prêts octroyés par des entités publiques, une bouée de sauvetage destinée à préserver des emplois et les économies d'innombrables petits investisseurs. La Chine est un marché où l'absence de recherche et d'analyse avant un investissement peut avoir des conséquences désastreuses.

Les gérants réputés qui ont fait leurs armes sur les marchés développés risquent de se heurter à des difficultés s'ils se fient trop à des chiffres qui s'avèreront par la suite fictifs, s'ils prennent ce qu'on leur dit pour argent comptant ou s'ils se retrouvent du mauvais côté d'une manipulation de marché flagrante.

Des vérifications d'usage poussées peuvent souvent dévoiler des abus scandaleux. Il nous est arrivé de découvrir que l'épouse d'un dirigeant haut placé d'une entreprise cotée en bourse dirigeait une entreprise similaire mais non cotée ; les deux entreprises mutualisaient leurs ressources de recherche et de développement et certains des meilleurs produits issus de cette R&D devenaient la propriété de l'entreprise de Madame. Certains investisseurs n'ont pas conscience de cet arrangement ; d'autres s'en moquent tout simplement car l'entreprise cotée est toujours valorisée à hauteur de 40 à 50 fois ses bénéfices. Ce mépris flagrant pour les intérêts des actionnaires a tendance à être la règle et non l'exception, d'où l'échec de la plupart des entreprises chinoises à nos tests de contrôle qualité.

D'autres éléments négatifs

De nombreuses autres choses alimentent notre défiance à leur égard. Il suffit d'analyser suffisamment de comptes de résultats pour être frappés par les chiffres conséquents en face de la ligne «frais commerciaux, généraux et administratifs», une rubrique où les frais relatifs à des «divertissements à caractère professionnel» non spécifiés peuvent être dissimulés. Une autre astuce classique consiste à étendre le délai d'amortissement des immobilisations pour augmenter la valeur des actifs inscrits au bilan. Dans le cas des banques chinoises, la quête de signes de fragilité de leur bilan est souvent tout aussi importante que l'examen attentif des chiffres publiés.

La question qui est sur toutes les lèvres est la suivante : le rebond en cours est-il viable ? Il est quasiment impossible d'y répondre avec conviction car il n'y a plus vraiment de connexion entre le niveau des bénéfices des entreprises et les cours de bourse. Ces gains défient tout simplement la logique de l'analyse traditionnelle des investissements.

La réponse dépend en grande partie du comportement des petits porteurs chinois : resteront-ils persuadés que le gouvernement prendra de nouvelles mesures pour atténuer le ralentissement économique et soutenir les cours des actifs ? Or ces petits porteurs peuvent être imprévisibles. Par exemple, les cours des actions ont à peine réagi à la récente décision de libérer une partie de réserves élémentaires de liquidités des banques commerciales pour stimuler le crédit (en abaissant le fameux «coefficient de réserves obligatoires»), une initiative qui aurait dû propulser les cours encore plus haut.

Voilà pourquoi nous jouons la carte de la sécurité en faisant ce que nous avons toujours fait : rechercher des entreprises de qualité à des prix raisonnables. Lorsqu'un investissement voit sa valeur augmenter de façon excessive, nous allégeons nos positions et réinvestissons les liquidités ailleurs.

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