Depuis le 40e anniversaire de sa création le rôle et les objectifs de l’ASEAN ont changé. Conçue à ses débuts pour lutter contre la menace vietnamienne elle s’est élargie de 6 à 10 membres et désormais a également tissé des liens avec le Japon, principal investisseur dans la région, la Chine puissance dominante dans cette zone, et qui à travers les communautés Chinoises présentes dans les pays de l’ASEAN possèdent de nombreux relais. Éric Laurent : Quelle est l’évolution que l’on peut décrire quant à la situation de cette organisation?
Jacques Gravereau : L’ASEAN est une association politique. Il y avait 6 pays au départ, il y en a 10 aujourd’hui, y compris des pays peu fréquentables comme la Birmanie, qui est rentrée, il y a 3 ans. Et au fond, l’ASEAN a du mal à sortir de cette association de dialogue purement politique. Elle regroupe des pays si disparates qu’il y a un principe sacro-saint dans l’ASEAN, comme dans le reste de l’Asie : la non-ingérence dans les affaires d’autrui. Donc, l’ASEAN s’interdit de faire une déclaration de ce qui se passe dans tel ou tel pays membre.
Même si elle a exprimé son mécontentement pour la situation birmane?
Oh ça, ça était une discrétion extrême. L’affaire birmane n’est pas tout à fait ce que l’on attendait de l’ASEAN. Elle a toute une histoire. Elle a essayé de passer à une vitesse supérieure par une intégration économique et elle a créé l’AFTA (ASEAN Free Trade Asia), une sorte de traité de libre-échange entre les différents pays de l’ASEAN. Et cela ne marche pas très bien. Il y a des niveaux de pays disparates (PIB Cambodge = 400$/hab. et PIB Singapour = 35000$/hab.). De plus, l’ASEAN qui aurait dû faire un front uni au moment de la crise asiatique 1997-1998 ne l’a pas fait, une crise financière majeure avec une dévaluation en catastrophe des monnaies asiatiques. Et, l’ASEAN a réagi qu’il ne s’occupait pas d’économique. Mais, politiquement, on attendait un geste qui n’est pas venu. Elle a vécu un énorme trou d’air à ce moment-là qui l’a obligé, pour exister politiquement, à s’élargir avec d’autres pays d’Asie, à commencer par l’ASEAN + 3 (Chine, Japon, Corée du Sud).
Quand on regarde l’histoire de l’ASEAN, on s’aperçoit qu’il y avait 2 inquiétudes. D’une part, le voisin Vietnamien. Et puis, la Chine qui a été une préoccupation des dirigeants de l’ASEAN (ne serait-ce que les guérillas au sein des pays, soutenues par Pékin autrefois).
Pour la Chine, c’est un peu plus compliqué. C’est le grand suzerain de l’Asie, du moins le proclame-t-elle. Et la Mer de Chine du Sud est revendiquée par les Chinois, mais aussi par les Philippines, l’Indonésie, la Malaisie, le Viêt-Nam, etc. La Chine est la grande dynamo de l’Asie avec 11% de taux de croissance, 3200 milliards $ de PIB. Tout le monde a les yeux qui s’orientent vers elle. De plus, il y a dans les grands réseaux de l’ASEAN, une réalité beaucoup plus secrète qui est chinoise. Les Chinois font la pluie et le beau temps. Alors, ce ne sont pas les mêmes, mais ceux de la diaspora. Il y a 35 millions de Chinois en Indonésie et en Malaisie, en Thaïlande, etc. Ils sont les clefs de tout le business. Donc, il y a une osmose entre ces Chinois et les autres.
De quelle manière la diplomatie chinoise considère-t-elle l’ASEAN? Est-ce comme une profondeur stratégique naturelle, comme un relais au fond évident?
Profondeur stratégique naturelle, bien sûr. Il y a au milieu de l’ASEAN, le fameux détroit de Malacca par lequel transitent le pétrole, les conteneurs, ce qui irrite la Chine. La Chine veut jouer un rôle amical. Par exemple, lors du Tsunami en Indonésie à Sumatra, la Chine a envoyé immédiatement des aides d’urgence, une partie de l’armée, etc. Donc, il y a bien une politique de bons offices par lesquelles la Chine essaye de faire beaucoup d’amabilité.
Mais pourquoi les 10 États ont-ils choisi la Chine, le Japon et la Corée du Sud? Est-ce pour éviter un tête-à-tête avec Pékin?
Oui. Mais aussi parce que l’ASEAN était un peu en panne. Ils n’avaient pas retrouvé un second souffle depuis les épisodes de la crise asiatique qui avait secoué tout le monde. Donc, ils se sont ouvert au Japon. Il ne faut pas oublier que le Japon est le grand investisseur dans la zone historiquement. Et puis, il y a la Chine. La Corée du Sud pour faire bonne mesure. Les Coréens du Sud sont les 3e investisseurs étrangers dans les pays de l’ASEAN derrière Hong Kong et Taïwan.
Cette ouverture à ses 3 pays remonte à environ 5 ans. Quels ont été les résultats jusqu’alors?
Il y a une structure de dialogue. On se parle. Ensuite, on parle de stratégies, d’intégrations économiques, et, ce qui est dans les cartes actuellement, mais qui a pris un peu de retard, c’est une grande zone de libre-échange entre la Chine et l’ASEAN. On a signé au Cambodge il y a deux ans, un très grand protocole pour cela.
Vous n’avez pas tout de même pas l’impression, depuis l’échec de l’APEC, que cette zone Asie Pacifique est un mythe, une illusion pour une zone de libre-échange?
Le multilatéralisme est supplanté par les multiples accords bilatéraux. Mais, l’ensemble du système des accords régionaux ne fonctionne pas très bien.
L’ASEAN semble-t-elle condamnée à une association secondaire?
Ce n’est pas secondaire. C’est quand même une organisation politique dotée d’un secrétariat permanent qui regroupe 560 millions d’habitants, dont 230 en Indonésie. C’est derrière la Chine, le 2e consommateur en énergie au monde dans les 20 ans qui viennent. Donc, l’ASEAN a un poids considérable…
… mais qui a une volonté politique et une volonté de rayonnement, de peser politiquement très faible.
Oui, parce que c’est une zone disparate qui n’a pas d’histoire commune réelle, contrairement à l’Europe. On retrouve des Bouddhistes, des Musulmans et des Chrétiens. Il y a des systèmes de parti unique et des systèmes de démocratie. Donc, c’est une zone compliquée, disparate, mais néanmoins, passionnante.
Jacques Gravereau est Docteur en sciences écnomiques, fondateur et directeur de l'Institut HEC-Eurasia
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