lundi 24 décembre 2007

INTERVIEW - Mais pourquoi tant de frénésie - Jean-Luc Domenach

Le Point, no. 1840 - Société, jeudi, 20 décembre 2007, p. 194

Le Point
: Pourquoi et comment la Chine arrive- t-elle à conjuguer réforme économique et structure autoritaire ?


Jean-Luc Domenach : La première clé pour comprendre, c'est le sentiment partagé, pour des raisons différentes, par le Parti communiste et la population : plus jamais ce qu'ils ont connu sous Mao. Ils ne disent pas la même chose, mais ils sont d'accord sur le « plus jamais ».

La population a souffert à un point inimaginable depuis 1949, pas seulement matériellement, mais parce qu'elle était, dans ce régime totalitaire, mobilisée sans arrêt, et qu'elle avait toujours peur du voisin et du lendemain. Le Parti a, lui aussi, été victime d'un dictateur qui le passait à la moulinette en permanence. La grande chance, la paradoxale chance de survie, et du régime et de la population, a été que bon nombre des dirigeants du Parti ont été emprisonnés. La population a, du coup, pu envisager de faire un bout de chemin avec eux. Deng Xiaoping est le représentant de ces gens-là. Lorsqu'il a proposé à la population de laisser le Parti communiste au pouvoir, mais en donnant la priorité à l'économie, celle-ci a été d'accord : ce serait toujours ça de gagné !

Deuxième clé, l'entrée dans le marché mondial, à la fois parce que c'est bien mieux ailleurs que chez nous (pense la population), et parce qu'on va s'y faire plein d'argent (pensent les cadres). Depuis le début des années 90 ils ont nettoyé, à leur façon, l'économie, ils ont rentabilisé le système industriel, ils ont adhéré à l'OMC, et maintenant ils cassent tout dans le marché mondial.

Troisième clé, les dirigeants. Ils sont très différents des précédents, pas plus démocrates mais beaucoup plus intelligents. Ils voudraient, en gros, perpétuer le régime en créant une sorte de social-démocratie autoritaire-une social-démocratie à parti unique-qui fournirait à la population tous les avantages de la démocratie sans la démocratie. Ils ne plaisantent pas. Et la population est assez prête à accepter ce deal dans la mesure où l'échec de 1989 a complètement compromis la démocratie et que ce qu'elle voit de la démocratie occidentale ne la convainc pas : si c'est Bush..., si c'est Chirac, le président mis en examen..., si c'est un pays où on laisse les banlieues s'embraser..., un pays comme la France bloqué pendant dix jours par des grèves qui émanent d'une partie privilégiée de la classe ouvrière... Simplement, le problème, aujourd'hui, aussi bizarre que cela puisse paraître, c'est que ce que les dirigeants voudraient faire, les appareils locaux s'y refusent. Pourquoi ? Parce qu'ils préfèrent pousser les feux de l'économie et de la prédation. Voilà le cadre global.

Diriez-vous que la Chine est encore un pays communiste ?

Je dirai qu'ils ont encore une partie du pire du communisme et déjà une partie du pire du capitalisme. Je dirai que les deux hypocrisies s'ajoutent. Par exemple, devant un mendiant paralytique qui se traîne, personne ne s'arrête : les cadres communistes ne s'arrêtent pas parce que le paralytique n'est pas à sa place (à la vérité, il n'y a pas de place pour les paralytiques), et les cadres capitalistes ne s'arrêtent pas parce qu'ils ont autre chose à faire. On est passé de l'ignorance de l'individu motivée par l'idée du communisme à l'ignorance de l'individu motivée par le capitalisme.

Vous décrivez une brutalité stupéfiante dans les rapports sociaux. Avez-vous le sentiment qu'elle est ancienne et qu'elle est réactivée ? D'où vient-elle, à votre avis ?

A l'origine, les Chinois ne sont pas plus violents que d'autres peuples. La brutalité, c'est l'Occident qui la leur a enseignée, parce que les Occidentaux les ont exploités tant qu'ils ont pu... Il y a des choses vraies dans la légende antioccidentale ! Ensuite, la période historique de l'avènement du communisme a été épouvantable. Les communistes, eux, ont, en gros, brutalisé tout le monde sous prétexte de préparer un avenir radieux. Et maintenant il y a une couche supplémentaire de brutalité qui vient du règne du capitalisme.

J'oserai pourtant parler d'une légère amélioration. Parce que la société tout entière était brutalisée sous les communistes et que maintenant seuls sont brutalisés ceux qui sont vraiment pauvres. Or, la croissance progressant de 10 % en moyenne, le nombre des pauvres est maintenant réduit à un sur dix, alors que neuf sur dix étaient maltraités par les communistes.

Hormis sur la bande côtière et dans les grandes villes de l'intérieur, les gens bénéficient-ils de la croissance ?

Très franchement, oui. A mesure qu'on s'enfonce dans le pays, on trouve certes de plus en plus de pauvreté, mais, même dans cette pauvreté, il y a moins de vraie misère qu'avant. Il faut arriver en bordure des déserts ou dans les zones montagneuses des confins pour voir encore des familles où chacun n'a qu'un vêtement pour toute l'année. J'ai encore vu des femmes nues pour cause d'indigence, mais c'est devenu très rare, alors que c'était chose courante. Même si les gens détestent tous le pouvoir, tous reconnaissent que ça va mieux.

Dans le nord du Sichuan, en allant vers les confins tibétains, les communautés rurales sont exsangues.

Au Sichuan, les familles survivent bien souvent en vendant leurs filles à des paysans de pays plus favorisés. Le pire, ce sont les provinces du Ningxia et du Gansu, des zones cultivables il y a encore cinquante ans, où maintenant le désert gagne ; les habitants n'ont plus rien à faire qu'à partir.

Un des drames de la Chine est de n'avoir qu'assez peu de terres cultivables...

On s'accordait autrefois sur le chiffre de 14 % du territoire, on est maintenant à 10 %. A 50 kilomètres de Pékin, il y a une dune qui avance, qui a déjà mangé un village et est en train d'attaquer le deuxième. Les zones cultivables sont prises en étau entre la désertification, la salinisation, la dégradation du sol, d'une part, et l'urbanisation, d'autre part.

C'est, d'abord, l'effet d'une catastrophe qui date de deux mille ans et plus. Les Chinois ont construit en bois et ils ont toujours déforesté. La couverture du sol est donc problématique depuis longtemps, d'où inondations, terres emportées, etc. Deuxièmement, il y a la folie des communistes qui ont irrigué, cultivé n'importe comment. Maintenant, dans le capitalisme qui cherche seulement le profit, disparaissent un certain nombre de petites précautions qui se prenaient encore sous le communisme : il n'y a pratiquement plus de plantations d'arbres sur les pentes, etc. Tout ça s'additionne pour réduire jour après jour le monde rural.

Les cadres du Parti ont-ils encore une influence réelle ?

J'étais professeur à Qinghua, la meilleure université chinoise, un mélange d'Ena et de Sciences po, et mes étudiants entraient au Parti. Pourquoi ? Certainement pas parce qu'ils étaient communistes. Simplement pour réussir dans la vie. Le PCC est le parti des chefs et des futurs chefs.

Comment sont-ils vus ?

Ils sont généralement considérés comme, au mieux, des arrivistes, au pis, des crapules et des arrivistes. La mémoire populaire ne pardonne pas. Les gens se souviennent et ne peuvent pas supporter la goinfrerie ostentatoire de certains. On oscille entre désintérêt, défiance et mépris. Ont-ils de l'influence ? C'est très clair : ils sont écoutés quand on a intérêt à les écouter, quand ils expliquent qu'une mesure est utile au développement, et donc au porte-monnaie de tout un chacun. Il y a là une forme de cynisme partagé.

En dernière analyse, et c'est la grande surprise, alors que la situation s'améliore, la population est convaincue que le « miracle » va finir par capoter. C'est l'une des explications du taux d'épargne absolument fantastique en Chine : les gens épargnent en moyenne plus de 40 % de leurs revenus. Cela tient au déglinguage du système de santé-c'est la seule chose qui était mieux sous le communisme-, au déglinguage de l'éducation. On met de l'argent de côté pour le cas où tout se gâterait.

Le gag du gag du gag, c'est que les cadres eux-mêmes doutent de l'avenir. Ainsi, le chef politique de la zone portuaire de Tientsin (censée remplacer le port de Shanghai) m'a expliqué sa stratégie familiale : son fils, qui a fait Harvard, est aux Etats-Unis, et il compte y rester. Les cadres font passer l'argent, autant qu'ils le peuvent, vers l'extérieur. Chaque année, des dizaines de millions de dollars sortent en douce pour aller se mettre à l'abri à l'étranger.

Je dirai donc que les cadres sont encore un peu écoutés, mais qu'ils ne s'écoutent pas tellement eux-mêmes.

Vous parliez du système de santé en pleine déconfiture...

Le professeur Bernard Debré, qui connaît bien la Chine et collabore avec les grands hôpitaux de Shanghai, affirme que les Chinois sont capables de faire, ici où là, un bon hôpital, mais qu'ils ne sont pas capables de bâtir un système de santé. Selon moi, cela tient au fait que les communistes ont galvaudé l'idée du public. Là comme ailleurs, le communisme, qui était théoriquement un système de sainteté, a produit des réactions individualistes, où chacun est un loup pour l'homme et trouve qu'il vaut mieux l'être carrément que de façon voilée.

L'éducation serait aussi mise à mal...

La grande éducation, l'éducation pour tout le monde, est moins bien qu'avant, mais reste quand même acceptable, par rapport à d'autres pays du tiers-monde ou à l'Inde. Il y a une mobilisation minimale, moindre-parce que c'était une des choses que le communisme suivait de près, pour faire passer sa propagande par l'écrit-, mais ce n'est pas catastrophique. Idem pour le secondaire, à cette nuance près qu'il y a de plus en plus de secondaire privé.

L'université, quant à elle, s'est améliorée par rapport au passé. Elle est beaucoup moins politisée, mais reste encore gérée de façon très bureaucratique, et pour cette raison n'atteint pas les niveaux souhaités. L'intelligence, le talent, l'innovation n'y sont pas mis en avant. Or c'est un gros problème. Les dirigeants voudraient vraiment une économie de très haut niveau, et pour ça il leur faut de meilleurs ingénieurs, de vrais savants. Aujourd'hui, comme le dit très bien Guy Sorman dans un livre récent, le high-tech chinois n'est pas chinois et n'est pas très high. Il faudrait vraiment qu'ils desserrent leur poigne, qu'ils développent dans les universités une véritable atmosphère de liberté culturelle. On en est bien loin.

Les étudiants qui étaient partis étudier aux Etats-Unis, par exemple, rentrent, dit-on...

On raconte des histoires ! Ne rentrent des Etats-Unis que ceux qui sont devenus débiles à la suite d'un accident, ceux que leur mère rappelle de façon autoritaire (ça compte encore en Chine), ceux qui se sont fait mettre le grappin dessus par une femme lors d'un voyage en Chine. Les bons, ceux qui ont de bonnes carrières devant eux, ne rentrent pas ou, s'ils le font, ils gardent un pied ailleurs. Je peux vous le dire parce que mes classes ont été décimées. Dans une classe de trente étudiants en maîtrise, il en reste quatre ou cinq en Chine. Les quinze meilleurs sont partis pour les Etats-Unis, et les dix suivants (c'est comme un championnat de foot) en Australie, au Canada, puis en Europe : Angleterre, Allemagne. En France, on nous envoie les candidats aux études de théâtre, des choses comme ça, et les autres, on les envoie à la plage, en Italie ou en Espagne. Je n'imaginais pas cette désespérance des Chinois envers leur pays. Nous les croyons d'un nationalisme exacerbé, mais, pour moi, c'est un nationalisme de fuyards. Ils font les malins, en fait ils partent à la première occasion.

Vous êtes l'auteur de « L'archipel oublié », un livre terrible sur le laogai(redressement par le travail) qui dénonçait les camps chinois. Que reste-t-il de ces camps aujourd'hui ?

En 2002, je suis retourné à Xining, au Qinghai, la province du Nord-Ouest qui était un véritable goulag. Je n'ai vu qu'un camp de laojiao, c'est-à-dire rééducation par le travail, où la peine, attribuée de façon administrative, est en principe moins dure. On m'a dit que cette province où les conditions climatiques et géographiques sont horriblement dures demeurait un réceptacle majeur de condamnés, mais que les camps seraient éloignés de la capitale. Quant à l'immense camp de Qinghe près de Pékin, où l'on pouvait enfermer de 20 000 à 40 000 personnes, c'est devenu un quartier de banlieue avec un centre de détention et un centre de dépôt.

On a changé d'ère : on est passé d'une politique totalitaire à une politique capital-communiste, la terreur n'est plus indispensable. Donc le nombre des victimes du système a immensément diminué. On est passé d'un goulag de 10 millions de détenus à un goulag de 4 ou 5 millions-alors que la population a augmenté énormément. La proportion de prisonniers politiques sur le nombre de détenus est passée de 90 % en 1949 à 20 % en 1978, à 0,1 % aujourd'hui-où l'on avance un chiffre de 4 000 ou 5 000. Finalement, ce qui reste de pire, c'est la peine capitale. Comme le monde entier a réagi, il y a une nouvelle réglementation : toutes les condamnations à la peine capitale doivent maintenant être vérifiées par la Cour suprême. Ce qui fait que, vraisemblablement, le nombre de peines capitales est en train de diminuer de moitié. Il y en avait environ 10 000 par an. Nous avons fait le calcul en fonction du nombre de fonctionnaires chargés de cette vérification : ils peuvent difficilement vérifier plus de 5 000 à 6 000 cas dans l'année. J'en ai demandé confirmation au président de la Cour suprême, que j'ai rencontré : il m'a dit qu'il ne pouvait pas commenter, mais que nous n'étions pas loin de la vérité.

Qu'en est-il des conditions de vie des travailleurs de base ?

C'est un scandale épouvantable. Dans ce régime capital-communiste, on joue « Germinal » à bureaux fermés. Les lois sociales (qui existent) ne sont pas appliquées, les salaires minimaux non plus. Mais les travailleurs se défendent, comme on peut le faire en période de plein-emploi : en mettant en concurrence les patrons. Pour un euro de plus, les gars se taillent. Cette main-d'oeuvre que beaucoup ont décrite comme servile, parce qu'il y a des migrants très peu protégés, est une main-d'oeuvre d'esclaves mais avec téléphone portable.

Il y a eu un épisode bouleversant, en 2004-2005. Des millions de travailleurs ont fait la balayette, il n'y a pas d'autre mot, entre Canton et Shanghai. Ils en avaient assez de se faire taper dessus et d'être, à Canton, plus mal payés qu'ailleurs par des firmes taïwanaises ou chinoises d'outre-mer, et ils sont allés près de Shanghai profiter de meilleurs salaires versés par des firmes japonaises et américaines. Du coup, les salaires ont augmenté à Canton. Aux dernières nouvelles, ça repart dans le sens inverse. C'est extraordinaire. C'est émouvant à pleurer de voir le courage de ces gens, et finalement leur degré de conscience de la nécessité de ne rien lâcher.

Pensez-vous que la Chine amorce un mouvement qui a été celui des sociétés industrialisées, c'est-à-dire une amélioration des conditions de vie qui pousse à refuser certains travaux ? Vous évoquez le moment où la Chine manquera de bras indigènes...

On est déjà dans le moment où, dans beaucoup d'endroits, les conditions de travail comptent beaucoup. Et on est déjà dans un moment où les ouvriers des villes laissent aux ouvriers des champs le sale boulot. Dans certains endroits, il y a déjà des étrangers : dans l'un des pavillons du centre de réception des hôtes de l'Etat, ce sont des Noirs qui font la plonge !

Ce qui est original, en Chine, c'est la masse. Mais dans l'ensemble, la direction est à peu près la même qu'ailleurs.

Vous décrivez la Chine comme un pays « immense, fragmenté et mal organisé », et l'on voit bien les obstacles qu'elle a à affronter. Pensez-vous qu'elle puisse s'en tirer ?

Depuis ce livre, ma réflexion a progressé, de nouvelles informations se sont ajoutées, et maintenant on peut craindre l'incident économique un peu grave susceptible de remettre en question le compromis entre le pouvoir et la population. Alors là, je ne sais pas du tout ce qui se passera.

Cet incident économique, est-ce le krach redouté par certains économistes comme Greenspan ?

D'abord, on ne peut de toute façon pas imaginer que l'économie conservera son rythme de croissance actuel. Parce que les charges ne cessent de s'alourdir. Les salaires grimpent de 15 à 20 % par an. La protection sociale, désormais tout le monde la réclame, y compris les dirigeants, qui se veulent modernes (« Alors, vous êtes les premiers communistes à faire une politique sociale », leur ai-je dit en riant). Ils ont commencé par construire des autoroutes, aujourd'hui ils construisent des routes départementales, secondaires, etc. Ils s'engagent dans la lutte contre la pollution, ils souhaitent des équipements culturels-le peuple demande à être amusé, maintenant qu'il vit mieux. Tout cela va coûter cher, très cher. Donc je crois que, si le rythme de croissance n'est retombé qu'à 7 % dans cinq ans, ce sera très bien.

Ensuite, il y a des dangers beaucoup, beaucoup plus graves. En premier lieu, les dangers qui découlent de l'économie américaine : le système chinois est fondé sur l'exportation, principalement aux Etats-Unis. Si vous enlevez ces exportations-là, le commerce extérieur chinois est tout juste en équilibre. En Europe ils font un gros bénéfice, mais ils sont, par exemple, négatifs avec le Japon et négatifs avec l'ensemble du tiers-monde, pour des raisons évidentes.

Deuxièmement, l'inflation. Elle est en train de démarrer, elle est de 4 ou 5 % dans l'ensemble, mais elle est infiniment plus importante sur les produits de première nécessité : la farine, le riz et le porc.

Liée à l'inflation, il y a la question des dépôts bancaires. Moins rémunérés, les gens les retirent pour jouer en Bourse, ils adorent ça. Et il est hors de doute qu'il y a une bulle boursière. Si jamais un élément de catastrophe intervient, alors là... N'oubliez jamais que la Chine est prompte aux extrêmes, la foule chinoise est une foule qui gonfle. Avec mes élèves, nous nous amusions à créer des attroupements : on se mettait à dix et on regardait. A ceux qui s'amassaient, qui posaient des questions, on disait : il y a quelque chose d'extraordinaire. Une fois plus de 700 personnes s'étaient amassées en quelques minutes... Vous comprenez ?

Vous décrivez un marché de dupes entre l'Occident et la Chine, leur âme contre nos produits...

Ils nous ont vendu quelque chose qui n'a pas de prix, en échange du confort, de la consommation... Au mieux, de Carrefour. Qu'est-ce qui reste pour nous ? Ça durera ce que ça durera, car le peuple chinois a une capacité de bêtise insondable, mais nous avons, aujourd'hui, gagné la paix. Nous avons gagné un nouveau membre de la société des nations. Et gagné une des chaudières de la croissance mondiale.

Je dois dire que les mouvements d'investissement vers la Chine suscitent mon hilarité... Nous verrons la suite sur les gros contrats de Sarkozy. Mais à un échelon inférieur, il y a de quoi mourir de rire. Combien d'entreprises européennes se sont trouvées mariées avec des intermédiaires chinois qui disparaissaient du jour au lendemain ? Qui les laissaient assurer le paiement des factures, pour ne revenir que plus tard, à la condition que les compteurs soient remis à zéro ?... On s'est fait avoir de façon extraordinaire !

Y a-t-il là-bas une vie intellectuelle au sens où nous l'entendons ?

La bête commence à s'ébranler. Il y a, par exemple, une revue, Lire , qui a une petite allure de notre revue Le Débat , en moins bien. Il n'y a pas encore de vrais intellectuels, mais il y a de plus en plus d'experts et, dans les domaines qui sont utiles au pouvoir, ces experts sont de qualité croissante. Les dirigeants soucieux de leur pays et de sa place dans le concert des nations les consultent. Quels sont les domaines utiles au pouvoir ? L'économie, la sociologie et l'histoire du monde. Les dirigeants ont interrogé des historiens sur « comment naissent et meurent les grandes puissances ». Parce que leur question est : faut-il, devons-nous, comment allons-nous devenir une grande puissance ? Ensuite, ils demandent aux économistes quelle est la bonne politique économique. Sous l'influence des experts, ils sont passés du tout à l'exportation à quelque chose de beaucoup plus sophistiqué, appuyé sur un marché intérieur. Troisièmement, ils convoquent des sociologues à qui ils demandent comment on peut refaçonner la société pour qu'il y règne plus d'harmonie.

Mes amis les experts m'ont raconté comment ça se passe. Chaque intello a au total une heure : vingt minutes pour parler et quarante minutes pour répondre aux questions. Les types reviennent sur les genoux et en tremblant, bien sûr. Mais il y a là quelque chose de réconfortant, et dans le débouché qui est donné à l'intelligence, et dans l'attention que le pouvoir accorde à la connaissance. Dans un régime communiste, c'est quand même très nouveau.

Dernière chose positive, le droit d'aller à l'étranger. Les échanges internationaux sont toujours positifs pour la paix, et je trouve la société chinoise moins guerrière qu'avant. D'hommes qui ont voyagé, vu, écouté on peut attendre des progrès

Propos recueillis par Louise Chevalier

Encadré(s) :

Le PCC séduit toujours

Contre toute attente, le Parti communiste chinois continue à attirer de nouveaux adhérents, particulièrement auprès des étudiants et de la nouvelle élite financière née des réformes. Le PCC compte plus de 73 millions de membres (5 % de la population chinoise) et a vu ses effectifs augmenter de plus de 2 millions de nouveaux adhérents par an depuis l'ouverture historique du Parti aux entrepreneurs privés en 2001, révèle le département d'organisation du comité central.

Wang, 25 ans, brillant étudiant de Qinghua, l'université actuellement la plus réputée en Chine, est emblématique de cette évolution. Originaire de province (son père et son grand-père paternel sont eux-mêmes membres du Parti), il est entré à 13 ans à la Ligue de la jeunesse communiste, sorte d'antichambre, et a enfin été admis comme membre l'an dernier après un parcours de plus de dix ans semé de rapports d'activité et de participation à des manifestations. Il a prêté serment devant le drapeau chinois et cette cérémonie l'a autant ému que sa remise de diplôme. Il a fait ce choix avec autant d'opportunisme que de conviction : être membre du PCC facilitera grandement sa carrière, surtout s'il présente les concours administratifs ! C. P.

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