A moins de trois mois des jeux Olympiques de Pékin, la fierté des Chinois est à vif. Les critiques occidentales contre la répression au Tibet, le parcours chaotique de la flamme olympique en Europe puis en Asie et la multiplication des appels à un boycott de la cérémonie d'ouverture de la compétition le 8 août ont ravivé dans le pays un nationalisme toujours incandescent. La population a le sentiment que des forces extérieures tentent de saborder la renaissance de leur pays.
Outrées, les élites se sont déchaînées dans la presse officielle contre cette nouvelle injustice venue s'ajouter aux perpétuelles critiques étrangères sur la pollution, la dangerosité des produits « made in China » et la collaboration avec les régimes criminels du Soudan ou de Birmanie. Les plus jeunes ont, cette fois, choisi de s'en prendre à la France, l'amie traditionnellement soumise et aujourd'hui soupçonnée - à tort - de retourner sa veste. Les magasins Carrefour sont devenus des victimes expiatoires. Ils ne sont pas les premiers symboles étrangers attaqués ces dernières années. Les poussées de fièvre nationaliste sont chroniques dans le pays.
En 1999, la colère de la rue s'était élevée contre les intérêts américains. L'Otan venait de bombarder par accident l'ambassade de Chine à Belgrade. Deux ans plus tard, les Etats-Unis sont de nouveau mis en accusation après la collision d'un de leur avion espion et d'un jet chinois au-dessus des côtes chinoises. Le « petit » Japon, comme l'appellent par opposition à la Grande Chine les Chinois, est aussi régulièrement pris à partie par la presse et des cortèges agressifs. En 2005, des manifestations violentes avaient éclaté dans plusieurs villes du pays contre la candidature de Tokyo à un siège permanent au Conseil de sécurité de l'ONU. Les éditoriaux accusaient également le Japon de s'entêter à ne pas reconnaître les atrocités commises par ses troupes sur le territoire chinois avant et pendant la Seconde Guerre mondiale.
D'autres poussées nationalistes ont conduit des entreprises étrangères à revoir leur communication dans le pays. En 2004, Nike avait dû s'excuser publiquement avant d'annuler la diffusion d'un spot montrant un basketteur noir américain battant un maître de kung-fu et des dragons, considérés comme des symboles sacrés dans le pays. Toyota avait retiré un an plus tôt une publicité montrant des lions de pierre chinois s'inclinant au passage de son nouveau 4 × 4 Prado.
Comme souvent, ces colères populaires étaient spontanées et pas entièrement téléguidées. Si les autorités chinoises usent du nationalisme, elles ne contrôlent pas toutes ses explosions et se contentent souvent de surfer sur la réactivité populaire. Le communisme étant mort, le Parti communiste chinois a trouvé une nouvelle légitimité dans sa réussite économique et un patriotisme pragmatique. Le Parti se présente ainsi comme la seule institution pouvant défendre dignement les intérêts collectifs de la nation, sur une scène internationale forcément hostile. Il cultive ainsi, dans sa propagande et les manuels scolaires, l'image d'une Chine ayant régné sur une large partie du monde pendant 5.000 ans avant d'être humiliée et dépecée par les impérialismes occidentaux et japonais entre de la première guerre de l'opium en 1840 et la proclamation de la République populaire en 1949.
Depuis qu'ils ont pris le pouvoir avec Mao, les communistes affirment reconstruire le pays pour lui redonner son lustre passé. Nombre de territoires « envahis » par les ennemis étrangers ont ainsi été récupérés. Le Tibet, Hong Kong, Macao ont déjà réintégré la mère patrie. Taiwan ne saurait tarder, affirme Pékin. Plus tard, lorsque le pays aura résolu ses problèmes intérieurs et retrouvé sa majesté militaire, d'autres zones considérées, selon le discours officiel, comme parties intégrantes de « l'espace vital » national seront reconquises. Les cartes vendues dans le pays revendiquent déjà un contrôle sur l'intégralité de la mer de Chine méridionale. Peu importe que les îlots des Paracels et des Spratleys se trouvent à plus de 1.000 kilomètres au sud du pays et à moins de 80 kilomètres des côtes des Philippines et de la Malaisie.
Depuis les années 1980, ce nationalisme est aussi convoqué pour justifier l'ouverture économique. Deng Xiaoping expliquait que seule la réforme permettra de renforcer le pays contre « l'hégémonie internationale ». Le contact avec les étrangers doit permettre de s'initier à de nouvelles technologies, de s'enrichir par le commerce et de comprendre le jeu international (ONU, OMC...).
Imprégnés dès leur plus jeune âge de ces discours et conscients du potentiel de leur gigantesque empire, les citoyens chinois n'ont pas besoin de déclic officiel pour s'embraser. La dernière campagne contre les intérêts français a démarré sur les forums Internet bien avant que la presse officielle ne diffuse ses premiers éditoriaux critiques. La population est viscéralement attachée au Tibet. Le peuple est convaincu que la nation se saigne depuis cinquante ans pour arracher la province autonome au Moyen Age et ne peut comprendre que des étrangers soutiennent la cause de « séparatistes ingrats ». Les impérialistes occidentaux auraient trouvé une fois encore un prétexte fallacieux pour humilier la Chine.
Ayant vu dans ce mouvement une occasion de resserrer les rangs autour de ses élites et du Parti communiste à quelques mois des Jeux, les autorités chinoises ont semblé, dans un premier temps, soutenir voire encourager la flambée nationaliste. Depuis quelques jours, leur embarras est palpable. Tout en maintenant un discours de fermeté contre le dalaï-lama et ses soutiens étrangers, le gouvernement tente de recadrer le mouvement nationaliste vers des causes plus « rationnelles ». Il a censuré des forums Internet xénophobes et renforcé la présence policière autour des manifestations patriotiques.
Pékin ne veut pas de dérapage à quelques jours des Jeux qui doivent célébrer « l'émergence pacifique » d'une Chine civilisée. Le Parti craint surtout de voir les plus fervents nationalistes se retourner contre le pouvoir central, en demandant un durcissement de la politique étrangère. Déjà, une petite minorité libérale accuse les autorités de se montrer trop tolérantes avec les « indépendantistes » de Taiwan, les discours critiques occidentaux et les « provocations » japonaises. Si Pékin ne tenait pas plus fermement ses promesses de fierté nationale, les ultras pourraient appeler le peuple à contourner le Parti pour se réapproprier la défense de la patrie. Un engrenage redoutable pour le pays et le reste du monde.
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