lundi 12 mai 2008

SPÉCIAL CHINE - Pourquoi la Chine fait peur

Le Nouvel Observateur - Dossier, jeudi, 24 avril 2008, p. 8
AU SOMMAIRE DU MAGAZINE : 1- Pourquoi la Chine fait peur - «Quand la Chine s'éveillera, la terre tremblera», lança Napoléon. Depuis, l'Empire du Milieu, ses mandarins impénétrables et son immense peuple alimentent les fantasmes. Et voici que les protestations d'intrépides Tibétains et une flamme olympique vacillante réveillent les pires craintes. Sont-elles fondées? «Le Nouvel Obs» fait le point sur le nouvel essor chinois et ouvre le débat avec deux éminents sinologues. Pour ne plus confondre les méfaits d'un régime autoritaire avec le sort d'une population injustement stigmatisée 2- Un sentiment d'exclusion - Chinois de France : Il est 10 heures, quelques clients sont déjà attablés devant des bols de soupe de nouilles fumants. Nous sommes à Belleville, l'autre Chinatown de Paris, dans le restaurant d'Alexandre, un Français d'origine chinoise... 3- Les dix menaces du nouvel empire - En pleine expansion, la République populaire s'empare de marchés entiers, amasse d'énormes réserves financières et augmente ses dépenses militaires. A quelle fin? 4- Le grand bond autoritaire - Deux sinoloques débattent de la vraie nature du régime 5- Tibet: agir, mais mieux - Chaque semaine une personnalité nous écrit : Jean-Luc Domenach 6- Chine-Tibet: des symboles outragés






1- Pourquoi la Chine fait peur ? GAUTHIER, URSULA
«Quand la Chine s'éveillera, la terre tremblera», lança Napoléon. Depuis, l'Empire du Milieu, ses mandarins impénétrables et son immense peuple alimentent les fantasmes. Et voici que les protestations d'intrépides Tibétains et une flamme olympique vacillante réveillent les pires craintes. Sont-elles fondées? «Le Nouvel Obs» fait le point sur le nouvel essor chinois et ouvre le débat avec deux éminents sinologues. Pour ne plus confondre les méfaits d'un régime autoritaire avec le sort d'une population injustement stigmatisée

Jusqu'à il y a quelques semaines encore, aux yeux des Européens, le pays le plus menaçant pour la stabilité mondiale était les Etats-Unis. Depuis les émeutes de Lhassa et les vicissitudes de la flamme olympique, les perceptions ont changé. Selon un sondage Harris effectué entre le 28 mars et le 8 avril, le danger public numéro un, c'est désormais la Chine. La Chine qui occupe le Tibet, qui exploite ses millions de travailleurs dépourvus de droits, qui emprisonne les défenseurs les plus faibles, qui écoule ses produits toxiques ou défectueux et qui, à l'approche des JO, prétend promener sa flamme olympique sous les applaudissements du monde entier. Comme si de rien n'était.

Pour les Français, qui adorent pourtant détester les Etats-Unis, la parade manquée de la torche dans les rues de Paris a marqué un tournant. Il y aura désormais un avant et un après le 7 avril. Hier encore, la Chine apparaissait comme une formidable success-story, une locomotive providentielle pour la croissance mondiale, un modèle d'ultramodernité audacieuse. Médusée par la mutation du dinosaure communiste en superpuissance du XXIe siècle, on pariait sur ses atouts sans tout à fait oublier ses défauts. Sans être fana de la Chine, on était fasciné par le spectacle inouï de sa transformation, et de plus en plus séduit par les lanternes rouges d'«Epouses et concubines», les bosquets de bambous élastiques de «Tigre & Dragon» ou les mirobolantes tours de Shanghai dans «Mission: impossible»...

Il a suffi d'une journée pour que la magie s'évanouisse d'un coup. Une escouade de types athlétiques en survêt bleu et lunettes noires sur des visages fermés: c'est l'image glaçante qui surgit désormais quand on évoque l'empire rouge. Et c'est David Douillet qui exprime tout haut le sentiment général: «S'ils se conduisent comme ça à Paris, on se demande comment ils se conduiront chez eux.»

Côté chinois, avec un décalage dû au durcissement du contrôle sur l'information, la déconvenue a été aussi brutale. L'opinion chinoise découvrait, abasourdie, l'hostilité sans fard d'un peuple - les Français - avec lequel elle se sentait pourtant le plus d'affinités. De cette douche froide va émerger la première héroïne des JO 2008. Les photos de la relayeuse Jin Jing, une athlète handicapée aux prises avec les manifestants protibétains qui tentent, sans succès, de lui ravir la torche, font pleurer les foules chinoises. «Lange en fauteuil roulant» est devenue l'emblème d'un peuple courageux et blessé, abandonné de tous, férocement attaqué par des ennemis sans coeur.

Aujourd'hui, la colère et le ressentiment s'épanchent sur les forums, surtout ceux des enfants gâtés du miracle chinois, ces «petits empereurs» qui croient que tout leur est dû. Un nationalisme délirant, démentiel, ahurissant, s'exhale sans retenue. Il faut absolument faire payer à ces sales Parisiens leur crime de lèse-majesté. La vindicte populaire se concentre désormais sur les 122 hypermarchés Carrefour de Chine, au motif que l'un des actionnaires du groupe aurait «donné beaucoup d'argent à la clique du dalaï-lama»... Bernard Arnault - il s'agit de lui - a démenti, mais les manifestations continuent. Dans les couches modestes, on gesticule moins, mais on est très peiné: «Les gens du peuple voient dans les JO une occasion exceptionnelle de faire la fête après trente ans de labeur ininterrompu, explique le grand romancier Yu Hua. Personne ne comprend pourquoi le monde veut nous gâcher notre plaisir.»

Quant aux mandarins de Pékin, tout porte à croire qu'ils manipulent la cuisante déception collective, tout en cherchant à la contrôler afin d'éviter les débordements. En 2005, une flambée antijaponaise s'était rapidement retournée contre le gouvernement. Mais les occasions de recueillir l'assentiment général sont si rares, cela vaut la peine d'attiser en sous-main la sainte colère du peuple! Il suffit de rappeler le passé récent, quand la Chine était la proie des appétits de tous les impérialismes. De faire allusion aux «guerres de l'opium». Elles sont gravées au fer rouge, ces guerres iniques, livrées au milieu du XIXe siècle par une Angleterre qui voulait ouvrir la Chine au commerce de l'opium. Résultat: la population tout entière rendue sciemment opiomane, le pays mis en coupe réglée par des puissances se taillant des concessions à leur botte, l'explosion de l'unité nationale au profit des seigneurs de la guerre... Et en point d'orgue, l'invasion japonaise en 1931 et son cortège d'atrocités.

Ces ravages sont enseignés aux enfants, rebattus par les médias, exaltés dans les séries télévisées. Ils expliquent la susceptibilité à fleur de peau et les brusques flambées nationalistes. Mais très peu de Chinois savent que l'histoire des manuels scolaires et des talk-shows est tronquée. Ils ignorent par exemple que les mouvements lancés par Mao après la fondation de la Chine populaire ont coûté beaucoup plus de morts à leur pays que quinze ans d'occupation militaire japonaise. Ils ignorent plus encore le coût humain terrible de l'arrimage manu militari de la Mongolie, du Tibet et du Xinjiang à la «patrie socialiste». Ils savent confusément que leur histoire a été dévoreuse de vies humaines, ils ne savent pas combien les errements de leurs dirigeants y ont contribué.

Tous ceux qui ont tenté d'y remédier l'ont chèrement payé. Le célèbre rédacteur en chef Li Datong a été limogé en 2005 parce qu'il publiait des articles contestant l'histoire officielle. Et au Tibet le professeur d'histoire Dolma Kyab a été condamné à dix ans de prison. Son crime: avoir osé rédiger (il s'agit d'un manuscrit jamais publié) une histoire du Tibet non conforme à la vérité d'Etat.

Quand la contestation gagne les foules à Paris ou à Londres, les chefs de Pékin répondent par les mêmes accents autoritaristes, le même discours truffé de propagande, le même mépris pour la vérité. «La vérité, c'est que les leaders chinois ne savent pas comment se conduire face à des non-Hans (ethnie majoritaire de Chine), qu'ils soient tibétains ou européens, explique Francesco Sisci, correspondant à Pékin de «la Stampa» et fin analyste des arcanes pékinoises. Ils ne comprennent pas pourquoi on leur crache à la figure à Lhassa malgré les milliards investis, ni pourquoi le monde les montre du doigt alors qu'ils ont tout fait pour s'intégrer au concert des nations.» N'ont-ils pas conscience d'inquiéter par leur intransigeance, leur autisme, leur langue de bois? «Pas du tout. Ils se sentent au contraire agressés, et injustement.» Comment expliquer cette inadéquation des perceptions? Pour Sisci, le minimum de connaissance du monde fait défaut aux décideurs chinois - et réciproquement. «Au fond, malgré les foules d'experts formés dans les meilleures universités à l'étranger, ils ne comprennent toujours pas le fonctionnement du monde. Ils ne sont pas mûrs, psychologiquement et culturellement, pour assumer le statut de première puissance qu'ils pensent mériter.»

Vieille nation colonisatrice, nous n'aimions pas la domination américaine, sans doute aurons-nous du mal à applaudir la naissance d'un nouveau géant.

© 2008 Le Nouvel Observateur. Tous droits réservés.



2- Un sentiment d'exclusion - Bui, Doan

Il est 10 heures, quelques clients sont déjà attablés devant des bols de soupe de nouilles fumants. Nous sommes à Belleville, l'autre Chinatown de Paris, dans le restaurant d'Alexandre, un Français d'origine chinoise, qui habite là depuis vingt ans. Comme beaucoup, il se ferme quand on évoque les mots tabous: Tibet, JO. Il n'aime pas trop parler de politique, Alexandre. Evidemment, comme tout le monde ici, il a vu à la télé le fiasco du passage de la flamme à Paris. Il a été «choqué». Triste aussi que la «fête soit gâchée». Il n'est pas le seul. Contrairement à Alexandre, qui comme 80% des Chinois de Belleville vient de Wenzhou, une province de Chine populaire, Cheng Chi est une Chinoise de Taïwan. Elle «déteste» le gouvernement de Pékin et n'a pas peur de le dire. Ce qui ne l'empêche pas de se sentir ulcérée par la campagne de boycott des JO. «C'est à la Chine de balayer toute seule devant sa porte! La France se mêle de ce qui ne la regarde pas.» Cheng Chi est très remontée contre «ce Robert Ménard qui fait le guignol pour faire parler de lui» et tous les politiques qui «donnent des leçons de morale». «Beaucoup de mes amis chinois se sont sentis agressés», résume Donatien Schramm, pilier du quartier et fondateur de l'association Chinois de France-Français de Chine.

Un sentiment antichinois? Avec l'immigration plus récente, celle des Wenzhou dans les années 1980-1990, plus pauvres, moins éduqués, ne parlant pas le français, l'intégration a été plus difficile. Et si les boat people des années 1970 inspiraient la compassion, les derniers arrivés inspirent, eux, des sentiments plus mitigés à leurs voisins «français», exaspérés de voir leur poissonnerie ou leur boucher remplacés par des magasins de textile chinois. Du coup, la parole se lâche. «Regardez les banderoles qu'avait faites Georges Sarre (ndlr, ancien maire du 11e arrondissement) contre les Chinois. Jamais personne n'oserait parler ainsi des Arabes ou des Noirs. Quand il s'agit des Chinois, on peut tout se permettre » s'agace Iinh, SinoVietnamienne. «On parle souvent de nous en mal, regrette Alexandre. La dernière fois, c'était tous ces reportages sur les «appartements ravioli». Les clients ont déserté les traiteurs et on a eu des faillites en série.» Sans parler de la psychose du sras et de la grippe aviaire, quand Chinatown était devenue zone sinistrée... Dans la communauté, une rumeur plane, tenace. Des gangs de cambrioleurs cibleraient volontairement des appartements de Chinois: «Ils croient que les Chinois sont riches etontbea ucoup de liquide chez eux», s'inquiète Huynh, 60 ans. Huynh n'est pas chinoise, mais d'origine vietnamienne, établie en France depuis les années 1960. Elle se sent pourtant, une fois n'est pas coutume, solidaire de la communauté chinoise dans l'affront fait aux JO. «La France est un peu mal placée pour donner des leçons à la Chine sur ce plan-là. Après tout, qui avait des colonies en Indochine, il n'y a pas si longtemps?»

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3- Les dix menaces du nouvel empire
Bientôt la surpuissance?
BUI, DOAN; BIROLLI, BRUNO; GAUTHIER, URSULA; JAUVERT, VINCENT

1 - Le piège des délocalisations

C'est devenu l'usine du monde. Avec des villes dédiées entièrement à une seule activité - la chaussette, la cravate, le tee-shirt, les jouets... Grâce à son inépuisable réservoir de main-d'oeuvre à bas prix, la Chine est bel et bien la terre promise des délocalisations. De quoi en faire le bouc émissaire idéal. La Chine, responsable de la désindustrialisation? «Le mouvement en France était amorcé depuis bien plus longtemps», rappelle Françoise Lemoine, économiste au Centre d'Etudes prospectives et d'Informations internationales (Cepii), spécialisée sur la Chine. «Dans le textile, par exemple, les emplois étaient déjà partis vers des pays frontaliers, au Maghreb ou en Turquie.» Bref, ce sont ces derniers qui ont pris de plein fouet la concurrence chinoise avec la fin des quotas. Contrairement à la France, réorientée vers le haut de gamme, qui restait préservée. Pour combien de temps? La Chine reste pour l'instant cantonnée dans la production de masse à faible valeur ajoutée. Et elle est elle-même concurrencée par des pays qui deviennent plus compétitifs en matière de salaires: selon une récente étude du cabinet Booz Allen Hamilton, 20% des entreprises songeraient à des relocalisations dans des pays encore moins chers, comme le Vietnam. Résultat: la Chine cherche à monter en gamme. Mais elle devra affronter la concurrence d'un autre géant, l'Inde, le plus gros pourvoyeur d'ingénieurs bon marché. D. B.

2 - Des produits dangereux

C'était cet été. 20 millions de jouets Fisher Price (groupe Mattel) rappelés en catastrophe: des Polly Pocket avec des aimants que risquaient d'ingérer les enfants, des jouets Dora recouverts de peinture toxique au plomb, des trains en bois défectueux... Les 60 millions de cannettes de nourriture pour chiens et chats contaminées. Les dentifrices empoisonnés qui contenaient de l'antigel. 2007 aura été l'année de tous les scandales pour le made in China, de quoi sérieusement entamer la confiance des consommateurs. Aux Etats-Unis, la psychose est telle qu'une marque agroalimentaire a même décidé de lancer un label «China Free» pour rassurer ses clients. «Il y a eu des décès aux Etats-Unis. Pas en Europe, heureusement: nous avons mis en place un système d'alerte pour produits dangereux, et les produits chinois sont particulièrement sujets à vigilance», dit Meglena Kuneva, à la Commission européenne. En témoigne le nombre de notifications de produits dangereux passé de 468 en 2004 à ... 1 605 en 2007, dont 60% émanaient de Chine! Le gouvernement à Pékin a compris qu'il y avait péril en la demeure. D'autant que les consommateurs chinois commencent à se rebiffer, au vu des innombrables scandales qui ont émaillé ces derniers mois. Les mesures? Elles ont été drastiques. 80 usines douteuses ont été fermées. Et les têtes sont tombées: le directeur de la Sécurité alimentaire a carrément été exécuté cet été... D.B.

3 - Les damnés de l'usine

On les appelle «les oubliés du miracle chinois»: 200 millions de mingong, jeunes travailleurs migrants corvéables à merci, venus des campagnes surpeuplées, triment dans les usines de l'eldorado chinois ou au fond des mines les plus dangereuses du monde. «Ils sont toujours présentés comme les laissés-pour-compte de la croissance, mais leur exploitation constitue en réalité le socle même de cette croissance», affirme Luc Richard dans son essai «Pékin 2008» (Ed. Mille et Une Nuits). C'est en effet la «sueur bon marché» des mingong qui permet aux articles à bas prix made in China de déferler sur tous les marchés du monde. Des ouvrières encore adolescentes, appréciées pour leur docilité et leur endurance, sont payées 30 à 50 euros par mois pour travailler douze heures par jour, sans protection contre les produits chimiques qu'elles manipulent, ni contre les abus qu'elles subissent.

La signature d'un contrat de travail est obligatoire depuis... le 1er janvier 2008! Mais l'adoption de cette législation n'a guère fait avancer les choses: 80% des travailleurs n'ont jamais signé de contrat, et la loi du plus fort est toujours de mise. Les employeurs licencient à volonté, ne paient pratiquement jamais les heures supplémentaires, ni les frais médicaux en cas d'accident. «Ils profitent souvent de la vulnérabilité des migrants pour retenir des milliards de yuans (des millions d'euros) de salaires impayés», précise Benoît Vermander dans son livre «Chine brune ou Chine verte?» (Presses de Sciences-Po).

L'été dernier, l'extension effrayante de cette exploitation a été révélée par la découverte de centaines d'enfants-esclaves travaillant dans des briqueteries appartenant à des responsables locaux du PC. Au même moment, une ONG révélait que des entreprises fabriquant des gadgets pour les JO recouraient au travail forcé des enfants. U. G.

4 - Un nouveau colonialisme?

Après avoir longtemps été une voisine menaçante, prompte à contester ses frontières (avec la Russie ou l'Inde), à disputer des archipels et des zones maritimes gigantesques à tous les Etats riverains (du Japon au Vietnam en passant par les Philippines et la Malaisie), la Chine semble avoir changé de style. A l'exception de la question taïwanaise, qui peut susciter de redoutables gesticulations militaires, elle s'est dans l'ensemble convertie à la logique du soft power. Les mandarins rouges ne parlent plus que de commerce, d'investissement, d'import-export, d'échanges «gagnant-gagnant». La Chine n'a-t-elle pas besoin de matières premières comme de débouchés? Ne peut-elle réaliser des infrastructures rapidement et pour pas cher, grâce à ses armées d'ouvriers, de techniciens et d'ingénieurs durs à la tâche et économes? Elle a tout à offrir - et à gagner - aux petits Etats dans sa région et au-delà.

La formule rencontre un franc succès, à commencer par son voisinage immédiat. Les commerçants chinois ont déjà largement investi les espaces sous-peuplés d'Asie - Sibérie, républiques d'Asie centrale... Ils sont devenus des partenaires incontournables en Indochine. Depuis quelques années, la machine économique céleste s'est lancée à la conquête de l'Afrique. En 2007, la Chine a supplanté la France comme second plus gros partenaire commercial du continent noir. Pour les auteurs de «la Chinafrique» à paraître chez Grasset , la «pax sinica» et le «grand bond chinois en Afrique» sont d'ores et déjà à l'oeuvre, avec des résultats plutôt bénéfiques. Mais cette irruption chinoise n'a pas rompu avec les dérives de la Françafrique: soutien aux régimes despotiques, vente d'armes, corruption, etc. Plus inquiétant, le soutien sans faille que Pékin offre à ceux qui acceptent son partenariat: le Soudan, malgré le génocide au Darfour, le Zimbabwé de Mugabe - ainsi que le régime des généraux birmans - sont les grands gagnants d'une politique chinoise mercantile qui ne s'embarrasse pas de scrupules humanitaires. U. G

5 - Un régime trop brutal

Qu'est-ce que la Chine hypercapitaliste doit au grand despote qui fonda le régime? «Le Parti, et le principe selon lequel le Parti peut se tromper, mais seul le Parti peut rectifier ses erreurs», répond Federico Rampini («l'Ombre de Mao», Robert-Laffont, 2008). Conséquence: toutes les libertés (religieuses, civiles, de pensée, d'expression, d'association, etc.) sont toujours réversibles. Dès qu'ils sont confrontés à une opposition organisée, les mandarins rouges font comme Mao: ils sévissent. En 2007, 470 exécutions capitales documentées ont eu lieu, selon Amnesty. Le nombre réel s'élèverait à 7 000 ou 8 000 selon le sinologue Jean-Luc Domenach (lire notre débat p. 18). U. G.

6 - Des minorités laminées

La tragédie tibétaine, celle des Ouïgours du Xinjiang, celle - désormais irréversible - des Mongols montrent le visage «colonial» du régime chinois. Mao avait pourtant promis aux minorités la création d'un Etat fédéral sur le modèle des républiques soviétiques. Mais en prenant le pouvoir en 1949, il annexe purement et simplement leurs territoires - plus vastes que l'ensemble des régions de peuplement «han» (l'ethnie dominante). Condamnées à devenir minoritaires dans leur propre pays, les minorités n'ont d'autre choix que la radicalisation. U. G.

7 - La tactique du yuan

Et si la «monnaie du peuple» était la botte secrète de la Chine? Non convertible, le yuan, tout droit issu de l'économie communiste administrée, permet aux autorités chinoises d'ajuster la valeur de leur monnaie pour inonder la planète de marchandises made in China déjà avantagées par de faibles coûts de main-d'oeuvre. Imparable. Grâce à cette stratégie du «yuan bas», les excédents du commerce extérieur chinois ont atteint 1 680 milliards de dollars. Une manne que la banque centrale chinoise s'efforce, selon le jargon de la finance, de «stériliser»: les colossaux avoirs en dollars encaissés par l'entreprise Chine ne sont pas convertis en yuans mais en obligations auxquelles les banques locales sont invitées à souscrire. Cela pour éviter d'augmenter trop brutalement la masse monétaire et d'alimenter l'inflation qui a tendance à s'emballer. Les principales «victimes» de cette politique monétaire très restrictive sont bien sûr les principaux partenaires commerciaux de la Chine qui aimeraient tant voir s'apprécier le yuan pour rééquilibrer leurs échanges avec le nouveau géant. Ainsi les Etats-Unis et le G7 ne manquent-ils jamais une occasion d'exhorter Pékin à réévaluer sa monnaie. Depuis quelques semaines, face aux désordres financiers mondiaux, le gouvernement de Hu Jintao a cédé: désormais un dollar vaut 7 yuans, un niveau qualifié d'historique. B. B.

8 - Des fonds voraces

La Chine fait des emplettes. Après avoir raflé 1,3% de Total, amassé discrètement depuis novembre, un nouveau fonds de l'Etat chinois vient d'entrer dans le capital de BP (1%). Mais de là à imaginer un raz de marée chinois emportant sur son passage les multinationales étrangères, les analystes restent beaucoup plus prudents. L'essentiel de l'activité financière chinoise se concentre dans un domaine: les matières premières, et surtout le pétrole. La Chine, en effet, se retrouve dans la situation de la France et de l'Italie de l'après-guerre: l'or noir est entre les mains des majors anglo-saxonnes. Pour assurer son indépendance énergétique, la Chine réagit comme Paris lors de la création d'Elf ou Rome avec Eni, voire Tokyo avec la création de sociétés mixtes à participations japonaises...

Mais cette offensive est parcellisée. Pékin contrôle un fonds souverain: la China Investment Corp (CIC), doté de 200 milliards de dollars empruntés aux réserves de change du pays (1 600 milliards de dollars!) . Plutôt que de garder cet avoir placé en bonds du Trésor américain, le CIC est sensé partir à la recherche d'investissements plus rentables. Pourtant ses premières opérations sont loin d'être concluantes. En mai 2007, le CIC a investi 3 milliards de dollars dans le fonds américain Blackstone. Neuf mois plus tard, cette somme a fondu comme neige au soleil (- 40%) à cause de l'effondrement de Wall Street. Des déboires qui profitent à Safe, une autre émanation du gouvernement chinois. Créée il y a une trentaine d'années pour acheter des bons du Trésor américain, cette société incorporée à Hongkong rêve aujourd'hui de voler de ses propres ailes. C'est elle qui vient de marquer des points en s'offrant un ticket d'entrée au capital de Total et BP. B. B.

9 - Un géant surarmé

Quand ils évoquent leur ambition pour leur pays, les dirigeants chinois parlent d'une «montée en puissance pacifique». Pacifique? A Washington, à Tokyo et un peu partout dans le monde, on s'interroge sur les intentions réelles de l'empire du Milieu. Pourquoi, demande-t-on au Pentagone, le budget chinois de la Défense progresse-t-il de près de 20% tous les ans depuis quinze ans? Pourquoi est-il nécessaire d'entretenir une armée de 2,5 millions de soldats, la plus grande du monde et de loin? Pourquoi masser 1 000 missiles de courte et moyenne portée et près de 500 avions bombardiers le long de la côte qui fait face à l'île de Taiwan? Tout cela est-il vraiment pacifique?

Les Chinois affirment qu'il ne s'agit là que d'une mise à niveau, que leur défense a pris beaucoup de retard technologique pendant que l'Amérique et les autres grandes puissances renouvelaient leur matériel militaire. Ils ajoutent que leur pays a des dizaines de milliers de kilomètres de frontière à défendre et que le budget américain de la défense est près de dix fois supérieur au leur.

Quoi qu'il en soit, les Américains pensent que la Chine a remplacé la Russie et qu'elle sera bientôt leur principal adversaire stratégique, voire leur ennemi militaire. D'ailleurs le Pentagone assure, et ce n'est pas un hasard, que le budget de l'armée chinoise est égal à la somme des budgets japonais, coréen et... russe. Il faut aussi compter avec l'immense réseau d'espionnage de Pékin, le Guoanbu. A son propos, le grand spécialiste français, Roger Faligot, écrit, dans le livre qu'il lui consacre (Editions Nouveau Monde): «Les services spéciaux chinois sont devenus, au début du XXIe siècle, les plus importants du monde.» Et il précise que bientôt le vocable Guoanbu sera aussi tristement célèbre que son modèle, le KGB. Reste à savoir si l'affrontement tant de fois annoncé ressemblera à la guerre froide ou sera un conflit plus chaud... V. J.

10 - L'environnement en péril

Il y a la championne de tennis Justine Henin ou le coureur Haïlé Gebreselassié qui envisagent de déclarer forfait pour les JO pour «raisons sanitaires». Ceux qui ont décidé de se replier sur Singapour ou la Corée du Sud, à quelques heures de vol de Pékin, pour l'entraînement. Et les autres qui, en tout cas, veulent passer le moins de temps possible à Pékin, ou au minimum avec un masque de protection spécial. Paranoïa? A Pékin, l'une des capitales les plus polluées du monde, le ciel plombé par des nappes de brouillard gras laisse rarement percer le soleil... Inquiet pour son image, le gouvernement a tenté un plan d'urgence antipollution pour se préparer aux JO, avec la fermeture temporaire des aciéries et des usines les plus polluantes de la région. Histoire de faire de la ville un endroit - un tout petit peu - plus respirable pendant quelques semaines...

La Chine, cauchemar écologique? Les chiffres font peur. Selon une récente étude de la Banque mondiale, censurée par Pékin, 750 000 morts par an seraient directement causées par la pollution. Un tiers des rivières sont tellement chargées en polluants que l'eau ne peut plus être utilisée pour l'irrigation. 300 millions de Chinois boivent de l'eau polluée, parmi lesquels 190 millions tombent malades chaque année. En 2009, avec dix ans d'avance sur ce que prévoyaient les experts, la Chine va devenir le plus gros émetteur mondial de dioxyde de carbone, ravissant la première place aux Etats-Unis. Et sur les 30 villes les plus polluées de la planète, 20 sont chinoises. «De tous les problèmes de la Chine, la pollution est le plus urgent», estime David Dollar, à la Banque mondiale. Une situation alarmante qui pèse directement sur l'économie: la pollution coûterait au pays de 6 à 10 points de PIB. De quoi inquiéter le gouvernement qui a fait de l'environnement l'un de ses chevaux de bataille. «Il y a une prise de conscience en haut, dit Françoise Lemoine, économiste. Mais c'est très compliqué de faire passer cela au niveau des autorités locales.» D. B.





Le grand bond autoritaire
Pour Jean-Luc Domenach, le système a cessé d'être totalitaire. Pour Marie Holzman, seule la société civile a bougé. Le pouvoir est toujours aussi répressif

Le Nouvel Observateur. - Y a-t-il selon vous une chance pour que le gouvernement chinois réagisse à la crise tibétaine moins rudement que par le passé?

Marie Holzman. - Si l'on s'en tient au discours du gouvernement, on voit bien qu'il régresse en recourant au vocabulaire de la Révolution culturelle: le dalaï-lama est de nouveau traité de «moine à tête de chacal», etc. Il n'y a d'évidence aucun progrès, même si on ne peut pas exclure qu'un dirigeant chinois décide de le rencontrer malgré tout.

Jean-Luc Domenach. - Tout est possible dans un régime autoritaire. Au terme d'un règlement de compte quelconque, l'attitude du pouvoir peut changer. Mais c'est de moins en moins probable au vu de l'incroyable vague de nationalisme qui déferle sur la Chine, une vague qui rappelle les excès que nous avons connus en France à propos de F Alsace-Lorraine. Or le pouvoir est affaibli notamment parce que la croissance économique ralentit. S'il se retrouve contraint de lâcher quelque chose, ce ne sera pas sur le Tibet, et je pense que le Tibet va passer par pertes et profits.

N. O. - Vous n'êtes donc pas optimistes quant à un assouplissement de la politique vis-à-vis des ethnies minoritaires...

J.-L. Domenach. - Dans le cas des Ouïgours (musulmans turcophones), qui s'agitent de nouveau au Xinjiang, les Chinois doivent se dire qu'ils peuvent les écraser sans hésiter. Car bien qu'ils soient plus vigoureux et organisés que les Tibétains, ils ont moins de soutien à l'extérieur.

M. Holzman. - Les Chinois sont absolument sans concession vis-à-vis des Ouïgours. Rebiya Kader a fait cinq ans de prison, dont deux ans dans le noir total, parce qu'elle envoyait des informations à son mari installé aux Etats-Unis. Et quand, après sa libération, elle a été élue en 2006 présidente du Congrès mondial des Ouïgours, deux de ses fils restés au Xinjiang ont été arrêtés et torturés. Il n'y a pas de méthode plus épouvantable pour punir une femme.

J.-L. Domenach. - A mon sens, la situation ne peut que s'aggraver dans le court terme, car la légitimité du gouvernement, jusqu'à présent fondée sur sa capacité à produire de la croissance économique, est en train de glisser vers sa capacité à défendre ses prétentions nationalistes. Dans le long terme, il peut y avoir des conséquences positives; on a vu certains nationalismes évoluer vers des formes d'institution plus souples.

M. Holzman. - Pour l'instant, l'exemple des Mongols donne une idée de ce qui attend les Tibétains. Aujourd'hui, on compte un Mongol pour dix habitants en Mongolie. Le vécu de cette perte d'identité, de culture, de territoire est extrêmement violent.

N. O. - Venons-en à la question plus générale des droits de l'homme en Chine, sur laquelle vous n'êtes pas d'accord Pour vous, Jean-Luc Domenach, je résume: la situation n'est pas bonne, mais elle est meilleure qu'avant...

J.-L. Domenach. - Oui. Sauf depuis trois mois, j'y reviendrai.

Dans l'ensemble, on ne peut pas nier que ce régime jadis totalitaire soit devenu un régime autoritaire. Il reposait sur un appareil et une idéologie qui visaient à transformer le réel et les hommes, quitte à les détruire. II est maintenant dirigé par une couche sociale, issue du Parti, qui se préoccupe L d'entreprendre, quitte à vendre'ce qu'il n'est plus profitable d'exploiter. Résultat: sur le front des droits sociaux (droits des travailleurs, des femmes, etc.), le pouvoir réprime activement, mais en ce qui concerne les droits politiques (liberté d'expression, liberté de se défendre face à un parti unique, etc.), il est juste défensif et n'attaque que quand il est contesté. Il y a donc selon moi une amélioration constante - bien que limitée - des droits politiques classiques. Mais attention, il ne s'agit pas d'un autoritarisme mou, comme le franquisme de la fin. Nous sommes dans un régime autoritaire musclé qui devient sauvage chaque fois qu'il se sent menacé.

N. O. - Dans votre dernier ouvrage «La Chine m'inquiète», Perrin, 2008., vous parlez tout de même de «ramollissement».

J.-L. Domenach. - Le ramollissement s'arrête dès qu'il y a une menace, mais il existe. Les prisonniers politiques, par exemple, sont moins nombreux. Je les évaluais à 200 000 au lendemain de 1989, contre 15 000 ou 20 000 aujourd'hui. Les exécutions capitales restent trop nombreuses, mais la tendance est nettement à la baisse. Enfin, le contrôle de la presse est total là où cela compte (les titres, le journal télévisé, qui sont les mêmes partout) et beaucoup plus flou dans les articles des pages intérieures, et surtout sur internet. On voit la police du Net s'acharner à interdire des sites qui réapparaissent aussitôt sous un autre nom...

M. Holzman. - Pour moi, cette approche quantitative n'a pas de sens. Prenez le laojiao (détention arbitraire, sans procès, décidée par la police), qui était censé être réformé à la demande répétée du haut-commissaire aux Droits de l'homme. Or à l'approche des JO, que voit-on? Que le laojiao a été largement étendu, au-delà des petits délinquants, aux drogués, aux mendiants, etc., afin que les rues de Pékin soient nickel au moment des Jeux. Pendant ce temps, il y a des colloques, des débats autour de ce sujet comme autour de la peine de mort. Les spécialistes étrangers sont contents, ils ont l'impression que les choses bougent. Mais, dans les faits, rien n'a changé. Voyez la peine de mort. On a accueilli comme un grand progrès que la décision finale revienne à la Cour suprême, et non pas aux tribunaux provinciaux, pour éviter les règlements de comptes locaux. Mais l'été dernier, le responsable de l'agence de sécurité alimentaire, accusé dans le scandale des médicaments frelatés, a été arrêté, jugé, condamné et exécuté en onze jours! Un cas parmi d'autres qui montre que la justice en Chine est toujours soumise au pouvoir.

J.-L. Domenach. - Tout cela est vrai, mais un élément me rend optimiste: comme dans la France du xvnr siècle, une bourgeoisie apparaît aujourd nui et des corps professionnels se forment, comme ceux des juges, des avocats, des ingénieurs et des médecins. Ils n'agissent pas toujours pour le bien commun, mais ils sont animés d'une sorte d'élan professionnel qui les fait s'opposer par exemple à la police.

M. Holzman. -Je suis d'accord sur le fait que la société chinoise a énormément évolué. Elle est infiniment plus à même de se comporter comme toute société parvenue à maturité. En contraste, le comportement du régime paraît spécialement anachronique. A la veille du dernier congrès du Parti à l'automne, l'avocat Li Heping a été frappé pendant trois heures par les policiers qui lui disaient: «Dis que tu vas quitter Pékin!» Ils ne voulaient pas qu'il puisse rencontrer des journalistes étrangers et témoigner des abus subis par ses clients. L'avocat Teng Biao, qui a reçu le prix des droits de l'homme des mains de Rama Yade, a raconté comment des policiers avaient reçu l'ordre de résoudre une affaire de meurtre avant la fin du mois. Ils ont donc pris quatre hommes au hasard et les ont fait avouer sous la torture. Les juges savaient qu'ils étaient innocents, mais tous les quatre ont été exécutés. Des exemples terribles comme celui-ci, il y en a tous les jours.

J.-L. Domenach. -Je suis d'accord. Cette criminalité locale n'existerait pas sans le régime, et le régime en vit très largement. Mais la faction actuellement au pouvoir cherche à s'en dégager. Robert Ménard parle des 50 journalistes emprisonnés en Chine. D'une part, c'est bien peu, comparé aux 550 000 journalistes que compte le pays. D'autre part, les trois quarts d'entre eux sont des victimes de vengeances, de crapuleries locales contre lesquelles le régime a décidé de lutter pour ne pas disparaître.

N. O. - Cela nous amène à la question de la corruption. Peut-elle être résolue dans un système de parti unique?

J.-L. Domenach. - La corruption est un pilier fondamental du pouvoir et un mode de rémunération de la couche dirigeante. Malheureusement, dans l'histoire économique du monde, les pourris ne disparaissent pas parce qu'ils sont pourris mais parce qu'ils échouent.

M. Holzman. - La corruption, c'est bien pratique: chaque fois qu'il y a un problème, le pouvoir désigne tel maire véreux, tel cadre corrompu. La fureur populaire se déverse sur les pourris, qui sont dûment fusillés, et les gens se calment. C'est ainsi que le système se perpétue sans jamais se corriger. Tant qu'il n'y aura pas une presse libre où puissent s'exprimer des voix divergentes, tant qu'il n'y aura pas un espace d'opinion libre, il n'y aura pas de contre-pouvoir. Je rappelle que le fondateur du Parti démocratique de Chine, Wang Bingzhang, purge une peine de prison à vie! C'est un sacré message à l'intention de ceux qui voudraient s'y risquer, qui explique assez pourquoi les dissidents chinois n'arrivent pas à s'organiser. C'est très grave, car il n'y a pas d'alternative au régime s'il se produit une explosion du Parti, par suite d'un incident environnemental ou d'une inflation insupportable. Actuellement, les produits alimentaires ont augmenté de 50% en moyenne...

N. O. - Vous pensez que le pouvoir est inquiet?

J.-L. Domenach. - Le durcissement que l'on observe depuis trois mois le laisse penser. L'inflation a joué un rôle décisif dans le déclenchement du mouvement de 1989. Et je ne donne pas trois ans pour que la croissance descende à 5%. Les protestations ne vont pas cesser de s'enchaîner, car la population ne supporte ce pouvoir que tant qu'il rapporte de l'argent. Le Parti en est conscient et je crois que les couacs vont se succéder, sauf si l'Europe ou les Occidentaux prennent une initiative concertée. Aussi bien en politique économique que sur la question tibétaine, la France devrait consulter Angela Merkel avant de faire quoi que ce soit. L'Allemagne en Chine, c'est trois fois et demie la France et les Chinois ne se priveront jamais des machines-outils allemandes. Sans cela, on va vers des JO où il y aura du sport sur les terrains et du sport dans les tribunes.

M. Holzman. - Il faut soutenir le mouvement de défense des droits citoyens, représenté par des avocats, des militants de plus en plus nombreux , au lieu de gober la propagande chinoise sur une prétendue amélioration. Si tous les dirigeants internationaux demandaient la libération d'un seul d'entre eux - Chen Guangcheng, par exemple, l'avocat aveugle qui défend des paysannes avortées de force à huit ou neuf mois de grossesse - ce serait un message d'encouragement en direction des Chinois prêts à défendre leurs droits. Et c'est le seul moyen de faire bouger le système.

Illustration(s) :

Reuters
Canton, 11 avril 2001. Une femme accusée de meurtre écoute le verdict avant d'être exécutée

Jean-Luc Domenach Sinologue, directeur de recherche au Ceri-Sciences-Po, auteur de «la Chine m'inquiète» (Perrin). Rentre d'un séjour de cinq ans en Chine.

Marie Holzman Sinologue, auteur et traductrice d'ouvrages sur la Chine actuelle, dont «Wei Jingsheng, un Chinois inflexible» avec Bernard Debord (Bleu de Chine). Présidente de Solidarité-Chine.

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Tibet: agir, mais mieux
JEAN-LUC DOMENACH
Jusqu'à présent, le mouvement de solidarité envers le Tibet n'a convaincu que les sociétés d'Occident. Le silence du tiers-monde est assourdissant, et les autorités chinoises reçoivent un soutien massif de leur opinion publique. D'autre part, Pékin n'a pas encore subi de pressions diplomatiques réellement vigoureuses. Faut-il donc se taire devant la répression de la révolte tibétaine? Evidemment non. Grâce à la colère des opinions occidentales, celle-ci semble avoir été finalement plus réduite qu'on le craignait. Les autorités chinoises ont décidé de rouvrir le Tibet à compter du 1er mai. Plus généralement, il est excellent que les relations entre la Chine et l'Occident se développent désormais sous le contrôle des opinions démocratiques. Le pouvoir chinois est trop intéressé par nos marchés et nos modèles sociaux pour ne pas pousser plus avant l'évolution incontestable mais incomplète qu'il a accomplie depuis plusieurs décennies.

Mais, pour renforcer notre pression, il faut abandonner le langage excessif et simplificateur qui a souvent été tenu, car il a fait basculer l'opinion publique chinoise du côté des autorités. Celle-ci sait bien que le régime n'est pas aussi uniformément «totalitaire» qu'on l'a dit: il fallait donc s'en tenir aux faits avérés, enquêter sur les autres et laisser de la «face» à Pékin.

Ensuite, les gouvernements européens ont réagi dans un désordre extrême. L'essentiel n'est pas d'obtenir qu'ils radicalisent leur attitude, mais qu'ils travaillent ensemble. En Chine, Paris ou Londres pèsent peu isolément, et en particulier sans le soutien de la puissante économie allemande. Là aussi, c'est l'Europe qui doit agir.

JEAN-LUC DOMENACH

Chercheur au Céri-Sciences-Po, auteur de «La Chine m'inquiète», Perrin.




Chine-Tibet: des symboles outragés
- Après Kadhafi ridiculisant le président chez nous, et à travers lui nous les citoyens, la Chine, grande manipulatrice de la flamme dans les rues de Paris, a ridiculisé le président représenté par les forces de l'«ordre» (!) , et à travers elles nous les citoyens. Il faut l'inintelligence d'un «pseudo»-ministre des Sports ignorant l'éthique sportive pour voir dans une flamme un symbole sacré outragé! Il y avait tant d'autres symboles outragés hier dans les rues de la capitale: le drapeau tibétain, symbole de paix, arraché violemment par les sbires de MAM; le caméraman de France 2, symbole de la liberté d'information, brutalisé par les CRS; l'union de 40 députés, symbole de l'idéal démocratique au-delà des partis et des magouilles capitalistes; l'Elysée, hélas symbole du reniement présidentiel de l'engagement affirmé devant des syndicalistes!!!

La France d'hier avait honte de l'abaissement forcé devant les monstruosités chinoises, mais nous a fait honneur en défendant haut et fort les droits de l'homme dont elle est la patrie.

Maurice USUREAU (internet)

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