jeudi 15 janvier 2009

Hubert Védrine plaide pour un retour au réalisme

Le Monde - Analyses, jeudi, 15 janvier 2009, p. 2

EXTRAIT : Hubert Védrine plaide pour un retour au réalisme : " On ne peut plus continuer le prosélytisme occidental comme si rien ne s'était passé. " Pour lui, le monde n'est pas encore " post-américain ", selon l'expression de l'éditorialiste Fareed Zakaria, mais le " monopole occidental sur l'Histoire " est fini. Pour l'ancien ministre, " un jour on se dira peut-être que les droits-de-l'hommistes n'auront pas eu plus d'influence sur la Chine que les missionnaires catholiques ".

ANALYSE - Hubert Védrine et l'Amérique de Barack Obama

La démocratisation est-elle " un objectif légitime " des politiques occidentales ? Cela fait onze ans que Madeleine Albright et Hubert Védrine débattent de la question. L'ex-secrétaire d'Etat américaine entend encore la voix de son homologue français, interrompant le ronron des conférences téléphoniques sur le Kosovo. " Paris demande la parole ! " Aujourd'hui, les points de vue se sont rapprochés. " Madeleine " est moins flamboyante. La faute à George Bush, dit-elle, qui a donné " une mauvaise réputation à la démocratie ". Hubert Védrine, lui, craint une coalition du monde multipolaire contre " nous, les Occidentaux ", mais il voit les Etats-Unis en posture favorable pour continuer à dominer, ce dont il ne semble pas se formaliser.

Invité à Washington par la Brookings Institution et l'ambassade de France à l'occasion de la parution en anglais de son livre Continuer l'Histoire (Fayard, 2007) - sous un titre très " Star Wars " : History Strikes Back (" L'Histoire contre-attaque ") -, M. Védrine a discuté avec son ancienne homologue et livré ses réflexions sur l'état du monde à quelques jours de l'investiture, le 20 janvier, de Barack Obama. M. Védrine continue à se méfier des idéalistes. Plus que les " vieilles idées des Lumières ", il pense que c'est peut-être la défense de l'environnement qui deviendra la valeur universelle de demain. Pour lui, les Occidentaux ont péché par arrogance depuis la chute de l'URSS : " On se prenait pour les maîtres du monde sur l'Olympe. On décidait de qui on sanctionne, qui on bombarde... "

Aujourd'hui, pour l'ancien ministre des affaires étrangères de Jacques Chirac et de Lionel Jospin, de 1997 à 2002, les maîtres " ne contrôlent plus vraiment le système ". Il suffit de voir " l'absence impressionnante de résultats " de la diplomatie occidentale : " On n'a même pas réussi à convaincre les Birmans " de laisser entrer l'aide humanitaire. Pour Hubert Védrine, les Occidentaux tâtonnent, s'emmêlent dans leurs priorités. " On fait pression sur un pays dont on va avoir besoin la semaine suivante pour faire pression sur un autre ", souligne-t-il.

Hubert Védrine plaide pour un retour au réalisme : " On ne peut plus continuer le prosélytisme occidental comme si rien ne s'était passé. " Pour lui, le monde n'est pas encore " post-américain ", selon l'expression de l'éditorialiste Fareed Zakaria, mais le " monopole occidental sur l'Histoire " est fini. Pour l'ancien ministre, " un jour on se dira peut-être que les droits-de-l'hommistes n'auront pas eu plus d'influence sur la Chine que les missionnaires catholiques ".

Le bilan " désastreux " de la politique de George Bush donne, selon Hubert Védrine, à Barack Obama une réelle marge de manoeuvre. " Tout le monde a confiance en lui, alors que personne ne sait ce qu'il pense ou ce qu'il va faire ", a-t-il constaté.

Du simple fait d'avoir décrété qu'il dialoguerait avec les dictateurs, il incarne la rupture avec le dogmatisme précédent. Déjà, par le seul fait de cette proposition, Barack Obama a entraîné une discussion au sein du pouvoir iranien.

Sur le dossier israélo-palestinien, M. Védrine pense aussi que les Etats-Unis ont les moyens de " retourner la situation ". L'ancien ministre des affaires étrangères l'a dit à ses interlocuteurs : " Imaginez le rayonnement qu'aurait un président américain qui réglerait le problème palestinien. L'Amérique a cette carte. Comment peut-elle s'en priver ? " Reste la question de fond : " Devons-nous traiter avec le reste du monde ou devons-nous le changer ? " Barack Obama n'a pas encore livré le fond de sa pensée. Pour l'instant, sa priorité est de réparer.

Corine Lesnes Correspondante à Washington

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