Qui va peser à Washington ? - Les hommes du président - VIRGINIE ROBERT
Un ancien secrétaire au Trésor, un ancien patron de la Fed... Jamais un président américain ne s'était entouré d'une équipe de conseillers réunissant un tel niveau de compétences. Barack Obama s'assure ainsi que, face à des ministres eux aussi de tout premier plan, le pouvoir restera bien de son côté. Enquête sur les nouvelles « têtes pensantes » de la Maison-Blanche.
EXTRAIT - " Les nouveaux arrivants sont jeunes diplômés, avocats, consultants, syndicalistes, universitaires, chercheurs dans des groupes de réflexion, les fameux « think tanks ». Communément, ces derniers servent de position de repli à des politiques qui ne sont pas en fonction au gouvernement. Jeffrey Bader, par exemple, le nouveau « monsieur Chine » d'Obama, vient du Brookings Institution, qu'il avait rejoint en 2005 après avoir passé vingt-sept ans au gouvernement (Département d'Etat, Conseil de sécurité nationale...) "
Jamais, peut-être, les attentes n'ont été aussi élevées. La personnalité du nouveau président, le caractère historique de son élection ont rempli d'espoir des millions d'Américains, malgré l'extrême difficulté de la tâche qui l'attend. Barack Obama a promis le changement. Comment va-t-il gouverner et qui, à ses côtés, influencera la politique américaine des prochaines années ?
Dès l'été dernier, il avait confié à John Podesta, l'ancien chef de cabinet de Bill Clinton et le président du « think tank » démocrate Center for American Progress, la tâche de l'aider à former son futur gouvernement. Au terme de la période de transition, il apparaît clairement que le nouveau président a choisi de privilégier la compétence, tout en s'assurant qu'il est au centre du pouvoir. Face à des ministres de tout premier plan, il s'est constitué, de l'avis général, une équipe de travail de haut vol à la Maison-Blanche. « Barack Obama est en train de créer un noeud central d'autorité au sein de la Maison-Blanche, autour d'une variété de sujets. C'est une façon très différente de gouverner », constate James Thurber, professeur au centre des études sur le Congrès et la présidence à l'American University de Washington. Des « tsars » - c'est ainsi que l'on nomme aux Etats-Unis les collaborateurs les plus proches du président, chargés de le conseiller dans des domaines clefs - ont par exemple été intronisés dans les domaines de la santé (Tom Daschle), de l'environnement (Carol Browner), de l'économie (Larry Summers)... Têtes pensantes et hommes ou femmes à poigne, ils sont chargés de persuader les élus du bien-fondé de la politique qu'ils entendent mener. Ce sont eux qui vont façonner les nouveaux programmes. Parmi eux, l'ex-sénateur Tom Daschle cumule même deux casquettes, « tsar » et ministre de la Santé, ce qui renforce encore son autorité.
Jamais un président américain ne s'était entouré de conseillers ayant autant d'expertise et d'envergure. Un ancien secrétaire au Trésor (Larry Summers), un ancien président de la Fed (Paul Volcker), un ex-chef des forces armées en Europe (James Jones), un amiral qui a commandé la flotte dans le Pacifique (Dennis Blair), l'ancienne patronne de l'Agence de protection de l'environnement (Carol Browner)... « Aucun d'entre eux n'est à proprement parler une timide violette et leur présence dans l'équipe du président Obama montre que le pouvoir va pencher vers la Maison-Blanche, pas vers les ministres, qui reçoivent pourtant plus d'attention pendant la transition », écrit Gerald Seib, dans le « Wall Street Journal ».
Personnalités en concurrence
Pourtant, ces derniers ont également une stature toute particulière. L'ex-rivale et First Lady Hillary Clinton prend les Affaires étrangères, Steven Chu, prix Nobel de physique en 1997, hérite de l'Environnement, Tim Geithner, le président de la Réserve fédérale de New York, qui a géré la crise de Wall Street, est désigné pour devenir secrétaire au Trésor. A condition que le Sénat confirme sa nomination, le candidat ayant avoué avoir oublié de payer certaines cotisations sociales aux Etats-Unis lorsqu'il était salarié du FMI... Une négligence malvenue pour le futur patron du fisc américain !
La porte a également été ouverte aux conservateurs, avec le maintien de Robert Gates au poste de ministre de la Défense et la nomination de Ray LaHood aux Transports. Il n'y a eu qu'un seul cafouillage : la désignation de Bill Richardson, gouverneur du Nouveau Mexique, comme ministre du Commerce. Celui-ci a dû renoncer après la révélation d'une enquête fédérale sur un contrat qu'aurait obtenu l'un de ses donateurs dans son Etat.
Dans cette structure duelle, où cabinets ministériels et Maison-Blanche vont fatalement chercher à exercer le maximum d'influence, les personnalités se heurteront sans doute. Et se battront pour obtenir l'attention du président. « Dans l'administration Bush, la loyauté était la vertu cardinale. Dans le cas présent, Obama recherche les personnes les plus compétentes et encourage le débat. C'est un contraste très fort », observe David Epstein, professeur au département de sciences politiques de Columbia University (lire son interview page 6).
Outre la garde rapprochée des intimes, ceux de Chicago, qui ont façonné la campagne et oeuvré à la victoire comme David Axelrod, Rahm Emanuel, Valerie Jarett, l'économiste Austan Goolsbee, sans oublier le nouveau porte-parole de la Maison-Blanche, Robert Gibbs, on trouve évidemment dans la nouvelle administration beaucoup d'anciens de l'ère Clinton, mais aussi des nouveaux venus que l'élection d'Obama a galvanisés.
Les candidats se bousculent
Car c'est le jeu en Amérique : à la victoire va le butin. C'est sur cet adage que repose le système des « dépouilles », qui veut que lorsqu'un parti emporte une élection il octroie des postes gouvernementaux à ses amis politiques. Le « Plum Book », un coquet ouvrage couleur prune, liste les quelque 7.000 postes fédéraux dont les nouveaux titulaires doivent être désignés par le président des Etats-Unis. L'engouement pour Barack Obama est tel que plus de 300.000 personnes ont fait acte de candidature pour prendre part à la nouvelle administration. Un record absolu ! A titre de comparaison, 90.000 personnes avaient sollicité un emploi fédéral lors de la première élection de George W. Bush.
Viviers de talents
Les nouveaux arrivants sont jeunes diplômés, avocats, consultants, syndicalistes, universitaires, chercheurs dans des groupes de réflexion, les fameux « think tanks ». Communément, ces derniers servent de position de repli à des politiques qui ne sont pas en fonction au gouvernement. Jeffrey Bader, par exemple, le nouveau « monsieur Chine » d'Obama, vient du Brookings Institution, qu'il avait rejoint en 2005 après avoir passé vingt-sept ans au gouvernement (Département d'Etat, Conseil de sécurité nationale...).
Les « think tanks » vivent avec le calendrier politique, fournissant Livres blancs et rapports sur les thèmes jugés importants pour aider l'administration en place à forger sa politique. Au moins deux d'entre eux se taillent la part du lion dans les nominations aux postes clefs de l'administration Obama : le Center for American Progress (CPA) et le Brookings Institution. Sans surprise, John Podesta a puisé dans les forces vives de son groupe de réflexion, conçu comme un pendant du « think tank » conservateur Heritage Foundation, qui avait beaucoup inspiré George W.Bush.
De même, le Brookings, de tendance centre-gauche, est une institution à Washington et nourrit le débat public depuis des lustres. Plusieurs de ses économistes viennent de rejoindre le gouvernement, comme Peter Orszag, mais aussi Jason Furman et Douglas Elmendorf, qui ont grandement inspiré le projet économique du candidat démocrate. L'expert en sécurité nationale d'Obama, James Steinberg, autre ancien du Brookings, a été nommé numéro deux du département d'Etat et sera le bras droit de Hillary Clinton. Un autre « think tank », relativement récent, a particulièrement bien réussi son entrée. Les deux cofondateurs du Center for a New American Security, créé en 2007, feront en effet partie du gouvernement : Kurt Campbell devrait rejoindre le département d'Etat pour s'occuper de l'Asie, tandis que Michèle Flournoy va faire son entrée au Pentagone.
Barack Obama a aussi procédé à quelques nominations iconoclastes. C'est le cas du « chief performance officer » de la Maison-Blanche, chargé d'accroître la productivité et de réformer l'Etat pour réduire les coûts. Nancy Killefer, une consultante de McKinsey, a été choisie pour cette fonction, sans doute ingrate. De même, Obama a trouvé un « tsar » sur la réglementation, qui sera un sujet important de son premier mandat, en particulier dans les services financiers. Il s'agit de Cass Sunstein, professeur à la Harvard Law School.
Le patron de Google décline l'offre
Des réseaux plus informels sont également à la fête, comme l'American Constitution Society for Law and Policy. Créé dans les années 1990, c'est un lieu de débats et d'échange pour les gens de gauche, qui se veut le pendant de la très républicaine et très efficace Federalist Society. Il compte parmi ses membres le nouveau ministre de la Justice (attorney general), Eric Holder. Trois autres de ses sympathisants ont décroché des postes au sein de l'équipe Obama. Un autre membre éminent de ce cénacle, Eric Schmidt, le président de Google, s'est vu offrir le rôle de « tsar » pour les technologies de l'information... Mais il a décliné la proposition.
C'est au centre de cette toile que Barack Obama lancera ses projets politiques, qu'il appartiendra au Congrès d'adopter. Les démocrates y ont la majorité, mais le nouveau président n'a eu de cesse de rappeler qu'il veut tendre la main à l'autre partie de l'hémicycle. Au jour de son investiture, on s'interroge sur le type de relations qu'il entretiendra avec les élus, sur le rôle que jouera son vice-président, Joe Biden, on se demande s'il saura créer un mode de gouvernement efficace... Des questions qui trouveront leurs premières réponses dès demain.
VIRGINIE ROBERT
Encadré(s) :
Quelques « think tanks » influents dans la nouvelle administration
Brookings Institution : plutôt étiqueté centre-gauche, il accueille des chercheurs de top-niveau et de tous horizons. Son budget annuel est de 60,7 millions de dollars.Center for American Progress : il a été créé pour préparer le retour des démocrates au pouvoir. Son budget annuel avoisine les 25 millions de dollars.Center for Strategic and International Studies : ce groupe de réflexion est spécialisé sur la défense et la diplomatie. Son budget annuel est de 29 millions de dollars.Center for a New American Security : la défense et la sécurité nationales sont les priorités de ce « think tank » fondé en 2007.Council on Foreign Relations : incontournable en matière de politique étrangère, cette structure est basée à New York, alors que les quatre précédentes sont à Washington, au plus près du pouvoir fédéral. Son budget annuel s'élève à 38,3 millions de dollars.
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