lundi 16 février 2009

Le chinois Chinalco devient l'arbitre du sort de Rio Tinto - Prandi et Rousseau

Les Echos, no. 20363 - Marchés, vendredi, 13 février 2009, p. 25

Le groupe anglo-australien Rio Tinto a choisi de résoudre d'un coup sa problématique de dette en faisant cause commune avec Chinalco, un puissant groupe public chinois. La transaction suscite l'émoi en Australie, pays jaloux de ses riches ressources naturelles. Une contre-offre de BHP Billiton n'est pas à exclure.

Fondé en 1962, le groupe minier Rio Tinto perd aujourd'hui la maîtrise de son destin. Pour éviter de procéder à des cessions douloureuses imposées par son énorme dette de 39 milliards de dollars, la société a dû s'abriter derrière la puissance de Pékin et de l'un de ses bras armés, le groupe public spécialiste de l'aluminium Chinalco. L'accord entre les deux sociétés prévoit que ce dernier apporte 19,3 milliards de dollars à Rio Tinto en rachats de participations dans 9 des actifs les plus profitables de l'entreprise anglo-australienne (4 dans l'aluminium ; 4 dans le cuivre et 1 dans le minerai de fer) pour 12,3 milliards de dollars et via la souscription de deux émissions d'obligations convertibles en actions pour 7,2 milliards de dollars. Chinalco obtiendra deux des quinze sièges au conseil d'administration de Rio Tinto.

Nouveaux équilibres

Le couple d'alliés va aussi créer un fonds de 1 milliard de dollars pour développer des projets. Dans la foulée, Chinalco rachète à Alcoa pour 1 milliard de dollars la dette de 1,2 milliard de dollars que l'alumineur avait contractée il y a un an pour participer avec lui au rachat de 9% du capital de Rio Tinto.

La transaction entre Rio et Chinalco, une grande première dans l'univers minier, est de nature à modifier en profondeur la donne de cette industrie. L'anglo-australien est désormais dans une position très privilégiée vis-à-vis des clients en Chine. Côté chinois, l'entrée en force dans Rio Tinto représente un coup de maître - impossible il y a peu - lui permettant de pénétrer par la grande porte dans le pays le plus riche en mines, l'Australie. Seules les ressources naturelles du Canada et de la Russie manquent désormais au tableau de chasse chinois. Mais la partie n'est pas encore gagnée.

En Australie, on évoque le retour du « péril jaune ». Dans ce grand pays libéral aux solides traditions démocratiques, on redoute que, au travers de Chinalco, Pékin mette la main sur cette activité stratégique. C'est pourquoi Xiao Yaqing, le PDG de Chinalco, s'est efforcé, hier, de démentir tout lien entre sa société et le pouvoir chinois. « Malgré le fait que nous sommes une société d'Etat, nous opérons en toute indépendance. Toutes nos décisions liées au marketing, à la production ou aux dépenses d'investissement sont prises par le management en toute autonomie », a déclaré l'ancien ingénieur, devenu un patron modèle aux yeux du gouvernement communiste. [RAPPEL : Le ministre des affaires étrangères chinois, Yang Jiechi, a rencontré le nouveau premier ministre australien, Kevin Rudd. Bon diplomate, M. Yang a alors déclaré que la décision de Chinalco et d'Alcoa d'investir dans Rio Tinto était " une décision indépendante, faite par deux sociétés, une chinoise et une américaine ". Personne ne l'a cru. / 8 février 2008.]

Affirmations contestées par Peng Bo, chez Ping An Securities : « Chinalco appartient toujours à la Commission d'administration et de supervision des actifs d'État (SASAC). Son investissement se fait en accord avec la stratégie du gouvernement. » Le financement des emplettes de Chinalco sera assuré par les banques publiques chinoises et bouclé avant le 31 mars. Des éléments bien connus par Canberra dont le feu vert est nécessaire.

Obstacles à prévoir

L'opinion des actionnaires individuels va également peser lourd. D'autant plus que l'opération est dilutive [Effet qui diminue le bénéfice net par action (par exemple par augmentation du nombre d'actions).] pour les actionnaires actuels du groupe. Le marché n'a d'ailleurs pas accueilli la nouvelle avec enthousiasme. Hier, à Londres l'action de Rio Tinto a lâché 1,52 %. Le deux alliés devront aussi passer sous les fourches Caudines des régulateurs des pays où sont situés les actifs intégrés à la transaction, notamment au Chili et en Australie. Enfin, les fiançailles entre Rio Tinto et Chinalco pourraient être perturbées par BHP Billiton, le grand perdant de la manche qui vient de se jouer. Il a jusqu'au mois de mai pour décider s'il souhaite lancer une offre alternative.

MASSIMO PRANDI (À PARIS) ET YANN ROUSSEAU (À PÉKIN)

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