Sévèrement frappée, l'ex-colonie britannique peut compter sur la Chine et ses dirigeants, bien décidés à ne pas la « laisser tomber ».
On trouve dans l'art tous les symboles. La vente aux enchères qui vient de se tenir à Hongkong ne fait pas mentir le propos en illustrant à merveille les turbulences de la grande crise internationale. Étaient proposées les oeuvres d'art saisies à de malheureux propriétaires californiens emportés par la tourmente financière. Au catalogue, notamment, quelques pièces signées Picasso ou Andy Warhol. Les organisateurs avaient fait le pari que les prix seraient plus élevés au coeur d'une Asie moins touchée par la crise qu'aux États-Unis. Cruelle désillusion. Nombre d'objets sont partis bien au-dessous du prix escompté et une gravure de Picasso est même restée orpheline. La grande place financière asiatique est sévèrement frappée par la crise. L'ex-colonie britannique est entrée en récession au troisième trimestre de l'année dernière et tous les indicateurs, ou presque, sont au rouge.
En haut de la pyramide, les 40 « tycoons » les plus riches de Hongkong auraient perdu plus de la moitié de leur fortune en quelques semaines, selon le magazine Forbes. Le célèbre magnat Li Ka-shing aurait vu son pactole fondre de 32 à 16,2 milliards de dollars. À la grande vente de chevaux organisée par l'institution de Hongkong qu'est le Jockey Club, les prix ont aussi chuté. En bas de l'échelle, le chômage se répand comme une vilaine grippe. Alors qu'il restait jusque-là cantonné à moins de 3,5 %, il ne cesse de grimper. Les autorités pensent qu'il montera jusqu'à 6,5 %, certains analystes allant jusqu'à prédire 8 %. La Bourse, elle, a plongé de 62 %. L'immobilier a glissé de plus de 25 % et la correction - nécessaire - est loin d'être terminée. Les hôtels, qui flirtaient d'ordinaire avec des taux d'occupation de rêve - souvent au-dessus de 90 % - ne sont plus aujourd'hui remplis qu'à 60 %. Les prévisions de contraction de l'économie en 2009 s'étagent entre - 2 % et - 5 %. Faut-il pour autant redouter un envasement économique mortel pour le célèbre « port aux parfums » ?
Pékin, « un grand prêteur de dernier recours »
Employant une métaphore qui parle dans la région, le chef de l'exécutif Donald Tsang a parlé d'un « tsunami financier ». Hongkong est à l'évidence très vulnérable à une crise comme celle qui secoue aujourd'hui la planète. « Si l'on regarde la structure de l'économie, avec une telle dépendance sur les flux de biens et services et les exportations, on se dit que la catastrophe est inévitable, confie Luca Silipo, chef économiste pour l'Asie-Pacifique chez Natixis, mais si l'on regarde l'intérêt de la Chine à préserver Hongkong, on peut être plus optimiste. » La machine chinoise lancée à pleine vapeur a déjà sorti la « région administrative spéciale » du marasme après 2003. Et Pékin s'y retrouve bien. Forte de son indépendance fiscale, monétaire et douanière, et de son expertise dans tous ces domaines, Hongkong reste une plate-forme essentielle des échanges commerciaux et financiers de la Chine.
Chez les jeunes loups de la finance, et pas seulement dans les banques d'investissement américaines, il y a eu des pertes. « Mais il faut relativiser, la situation est moins sévère ici qu'à New York et ou Londres, poursuit Luca Silipo. Hongkong, c'est un peu la City, mais avec un grand prêteur de dernier recours derrière... » Ce prêteur sauveur, bien sûr, c'est toujours la grande Chine dont les dirigeants ont annoncé qu'ils ne « laisseraient pas tomber Hongkong ». Côté industries, le choc est également sévère. « Les 60 000 usines situées en Chine, dans le Guangdong, souffrent de la chute des exportations, explique Dennis Yau, patron de la Fédération des industries de Hongkong, mais la crise nous oblige à prendre du recul. Elle pourrait favoriser une évolution vers la forte valeur ajoutée technologique. Et les petites entreprises chinoises peu soucieuses de qualité qui faisaient peser une concurrence malsaine vont en grande partie disparaître. »
Et le moral, dans tout cela ? À en croire un récent sondage mondial effectué par TNS et Gallup International, il ne serait vraiment pas bon. Les Hongkongais seraient - avec les Islandais - les citoyens les plus pessimistes au monde sur les perspectives pour 2009. Le même sondage montre, en revanche, que les Chinois « continentaux » sont les plus optimistes, juste après les Kosovars qui viennent en tête. Le contraste est grand avec l'étude effectuée dans les mêmes conditions un an plus tôt, qui donnait les Hongkongais comme les plus optimistes d'Asie.
Mais ici on témoigne d'une étonnante capacité de résilience. En peu de temps, Hongkong a égrené un joli chapelet de crises et s'en est toujours remis plutôt rapidement, comme en 1997-1998 avec la terrible crise financière asiatique et plus récemment en 2003 avec le choc de l'épidémie du Sras (syndrome respiratoire sévère). « Il y a bien sûr un coup de blues mais rien de dramatique, commente Andrew Korner, de Asian Capital Partners. Avec le recul, les Hongkongais voient qu'à chaque fois qu'ils ont paniqué, ils l'ont regretté ensuite car tout est reparti assez vite. Et tant qu'au Nord l'économie chinoise continuera à grossir, même avec des à-coups, il n'y a pas de raison d'avoir de grands effrois. »
Des congés sabbatiques pour les banquiers
Signe de confiance, le même tycoon Li Ka-shing privé de la moitié de sa fortune a mis 250 millions d'euros dans la recapitalisation de la banque HSBC. Rassurante, la presse de Hongkong fait aussi remarquer que, pour l'heure, il y a eu très peu de suicides, à la différence de crises précédentes... Hongkong reste sûr de son expertise unique dans la région, du professionnalisme de ses banques et de ses services. Quant à la concurrence de Shanghaï, place financière montante, elle n'inquiète pas vraiment car elle restera encore longtemps à vocation domestique.
Hongkong compte sur sa souplesse. « J'ai vu qu'en France vous faisiez la grève contre la crise, vu d'ici cela semble étrange, s'amuse Phil Cheung, jeune employé d'une compagnie d'assurances. Ici les gens souffrent mais font le gros dos. Ils sont prêts à accepter de grosses réductions de salaires pour garder leur emploi et attendre des jours meilleurs. C'est parfois rude, avec peu de filets de sécurité mais c'est souple et quand cela reprend, ça repart vite. » La crise n'est par ailleurs pas sans conséquences politiques. Pour se focaliser sur la riposte économique, le gouvernement de Hongkong a ainsi décidé de repousser à la fin de l'année les consultations qui devaient avoir lieu pour introduire plus de démocratie dans les élections de 2012. Le camp « démocrate » a hurlé au fallacieux prétexte.
Les dernières statistiques de l'immigration montrent que Hongkong continue d'attirer les expatriés, que les arrivées sont plus nombreuses que les départs. La tendance est confirmée dans la communauté française, où l'on note toujours environ 150 arrivées tous les mois. Tout juste observe-t-on un phénomène étonnant, chez les Anglo-Saxons essentiellement. Jetés sur le carreau par la crise, nombre d'entre eux ne choisissent ni de rentrer aux États-Unis ou en Europe ni de rester à Hongkong à attendre l'embellie, mais de se mettre au vert dans la région. Mark est l'un d'eux. Jeune banquier britannique de 33 ans, il gagnait plus de 10 000 euros par mois avant Noël, date à laquelle il a été licencié. Père de deux très jeunes enfants, il a décidé avec sa femme de mettre le cap sur le Vietnam puis le Cambodge pour quelques mois. « On va d'abord se reposer un peu, puis ma femme veut s'investir dans une ONG, explique-t-il, cela ne sert à rien de se griller en énergie négative à Hongkong, autant s'oxygéner, et revenir à fond quand cela reprendra. C'est peut-être davantage dans la mentalité anglo-saxonne que française... » Ces quelques mois sabbatiques offrent l'immense avantage d'éviter les coûteux loyers de Hongkong. « Une seule condition pour la villégiature temporaire, poursuit Mark, une connexion Internet pour consulter les offres d'emploi et un aéroport pas trop loin s'il y a des entretiens à passer. » Les grandes entreprises de déménagement de Hongkong, qui s'attendaient à voir les dossiers de retour s'accumuler, constatent surtout une augmentation de 100 % de la demande de garde-meubles...
À Hongkong, que l'on soit chinois ou étranger, dans les banques de « Central » ou les usines de la Rivière des Perles, le message général est que l'on prépare déjà le coup d'après. Et que tout dépendra de la Chine.
« Ici, les gens souffrent mais font le gros dos. Ils sont prêts à accepter de grosses réductions de salaires. C'est parfois rude, mais quand cela reprend, ça repart très vite »
PHOTO - Le "lion" de HSBC, Hong Kong / REUTERS
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