François Nordmann, diplomate suisse
Comme Zhao Zyiang (PHOTO) était un «simple» dignitaire provincial, aucun conseiller fédéral n'était tenu de le rencontrer. Il ne s'en offusqua pas.
La délégation chinoise qui arriva en Suisse le 10 février 1980 était dirigée par un haut fonctionnaire provincial, le secrétaire central du Parti communiste du Sichuan, Zhao Zyiang, dont c'était le premier voyage à l'étranger. Intéressé avant tout à visiter des projets agricoles, il était l'invité de la division du commerce du département fédéral de l'économie. Après trois jours en Suisse, sa première étape européenne, il irait encore en Allemagne et en Grande-Bretagne.
Il fut accueilli par l'ambassadeur Bénédict de Tscharner, qui l'accompagnerait tout au long de sa visite en Suisse, et par le plus jeune membre du Conseil administratif de l'époque, M. Guy-Olivier Segond. A croire que les autorités s'étaient donné le mot pour confier le visiteur à leurs plus jeunes représentants, car le même scénario se reproduisit en Valais, où il fut l'hôte du magistrat quadragénaire Bernard Comby.
A Fribourg, et sans doute en vertu de la même règle, je fus chargé de le recevoir au nom du Conseil communal où je siégeais jadis. J'avais en plus mission de lui parler, au soir d'une journée bien remplie, des particularités du fédéralisme suisse.
Je garde le souvenir d'un personnage jovial, intelligent, disert, intéressé à ce qu'on lui rapportait. A soixante ans, il ne donnait pas signe de la moindre fatigue. L'interprète ne chôma pas pendant la soirée, quand l'hôte d'honneur évoqua ses expériences du Sichuan, province qui comptait alors 90 millions d'habitants, ou posait des questions sur l'économie et la vie publique en Suisse. Il échangea avec l'ambassadeur de Chine en Suisse, l'un de ses anciens compagnons d'arme, des souvenirs de la Longue Marche à laquelle ils avaient tous deux participé. J'abordai une question délicate en fin de repas: le Sichuan est connu pour abriter une population de pandas relativement nombreuse, or un zoo suisse souhaitait en obtenir une paire, et peut-être le premier secrétaire du PC pouvait-il intervenir... Il prit note avec un large sourire de ma requête téméraire et ne lui donna pas d'autre réponse, du moins ce soir-là.
Comme Zhao Zyiang était un «simple» dignitaire provincial, aucun conseiller fédéral n'était tenu de le rencontrer. Il ne s'en offusqua pas, et s'entretint avec M. Paul Jolles, directeur de la Division du commerce. L'ambassade de Chine, sa délégation le traitaient avec une déférence toute particulière. Il donna une réception à Genève avant de quitter la Suisse le surlendemain.
En fait, protégé de Deng Xiao Ping, l'homme fort de la Chine, dont il partageait les idées de réforme et d'ouverture, Zhao Zyiang fut nommé huit mois plus tard premier ministre de Chine. Il succédait à Hua Guofeng, autre réformiste proche du maître mais qui avait adopté un rythme jugé trop rapide dans la rénovation de l'économie et de l'éducation. Zhao Zyiang poursuivit l'oeuvre de ses devanciers, libéralisant notamment la vie intellectuelle, se préoccupant du sort des gens plus que de l'idéologiquement correct. Il sentait la nécessité d'une démocratisation plus poussée du régime, sans sortir pour autant du cadre imparti par Deng Xiao Ping, qui avait gardé un souvenir plus cuisant de la Révolution culturelle et cherchait à prévenir tout débordement. En 1987, Zhao Zyiang fut élu secrétaire général du Parti communiste chinois, au sommet du pouvoir. C'est à ce titre qu'il prit position sur les événements de la place Tiananmen, en tentant d'éviter la répression violente du mouvement estudiantin. Il refusait de voir des «menées contre-révolutionnaires» dans les revendications des étudiants qui dénonçaient la corruption et l'inefficacité du système. Mais par là il s'opposait à son mentor, qui y décelait au contraire les prémices du chaos et de l'anarchie qui auraient emporté le régime. La scène du 19 mai 1989 où il vint parler aux étudiants dans leur campement en les informant qu'il n'avait pas pu empêcher le pire - deux semaines avant que les tanks n'écrasent les manifestants - est un symbole à la fois de son humanisme et de l'échec de sa politique. Il fut écarté du pouvoir, placé en résidence surveillée dans une vieille maison pékinoise, joua parfois au golf et dicta ses Mémoires qui viennent de paraître. Il est mort à l'âge de 85 ans en 2005.
En août 1988, me trouvant à Pékin pour le compte d'un programme de l'Unesco, je cherchai à faire signe à mon visiteur d'un soir. Il faut croire qu'il avait gardé un bon souvenir de son passage en Suisse. Absent de Pékin, livré à la torpeur estivale - à cette époque de l'année, les dirigeants sont dans leur villégiature de Beidaihe - il fit déposer un bouquet de fleurs séchées à mon hôtel, avec sa carte de visite.
Le vingtième anniversaire de Tiananmen tombe le 4 juin prochain. Tiananmen fut une étape dans le développement de la Chine, et Zhao Zyiang sacrifia sa vie politique à la conviction démocratique qui l'animait. Il faut espérer qu'un jour le régime sera assez fort pour le réhabiliter.
© 2009 Le Temps SA. Tous droits réservés.
0 commentaires:
Enregistrer un commentaire