mardi 8 septembre 2009

LITTÉRATURE - "Une jeune Shanghaïenne dans la Chine de Mao" de Sun Jiaping

Le Monde - Analyses, mercredi, 9 septembre 2009, p. 2

Jianping Sun, née à Shanghaï en 1954, publie un récit écrit dans sa langue d'élection, le français : Une jeune Shanghaïenne dans la Chine de Mao (L'Harmattan, " Mémoires asiatiques ", 210 p, 19 euros). Mère proviseure, père cadre, tous deux militants convaincus du Parti communiste chinois. Tous deux fidèles jusqu'à l'absurde et dans l'humiliation. Quand Jianping Sun a 12 ans, commence la Grande Révolution culturelle. Cinq ans plus tard, au nom de ses mérites, on l'envoie à la campagne, " honneur fait aux jeunes instruits "pour avoir la chance d'être" rééduqués auprès des paysans ".

Ici, retirons tous les guillemets de la note de présentation de son livre, pour deux raisons. La première tient au fait que Jianping Sun écrit une langue si exacte, sans détour, sans trace d'inutile jugement, que l'on doit, c'est bien le moins, essayer de se hisser à la hauteur de sa justesse de ton. L'autre raison, c'est par égard pour les petits " maos " qui se mettent à fleurir à l'époque, un peu partout de par le monde. Pas les rigolos, il en fut, mais ceux de la Secte.

Cette histoire de " rééducation " - en réalité, une longue mise à l'épreuve semée de petites saloperies, de tous les comportements minables, la délation, le fayotage des " jeunes instruits " qui partagent le privilège de Jianping Sun, sans compter le comportement des rééducateurs tenaillés par la famine et la combine -, bref, tout ce bain de médiocrité doublée de malheur, les petits " maos " d'opérette l'ont désiré. Et ils savaient ce que désirer veut dire.

La chronique modeste de Jianping Sun tombe à pic. Ni larmoyante ni vindicative, " à la différence de ces récits qui constituent ce qu'on appelle la "littérature de cicatrices" (shanghen wenxue) " (ainsi dit Muriel Détrie dans sa préface), l'autobiographie de Jianping Sun ne connaît pas l'amertume. Ni la vengeance rétrospective. Son ouvrage se lit comme un modeste traité d'anthropologie politique, une tentative d'y voir clair.

Mettons-le en perspective avec la bande dessinée de P. Otié et Li Kunwu, Une vie chinoise (Dargaud, 254 p., 19,95 euros). Une vie chinoise et sa présentation de Pierre Haski, dont la précision fait défaut à bien des livres sur la Chine. Le ton posé de Jianping Sun se permet un millier de détails sur la vie difficile, mais aussi l'amour de la vie et l'amour des gens. Un millier d'informations sur le labeur en rizière, les mariages à la campagne, la vie à la dure, la survie, la faim ou le piment (Mao : " Celui qui ne mange pas de piment ne peut pas être un vrai révolutionnaire. "). Et encore ? Sur le linge, la propreté, le fait d'être fille. Sur la mère qui brode un portrait du président au fil rouge sur carré de satin blanc, tandis que ses écoliers l'humilient et l'insultent. Prenons cette chronique aujourd'hui pour ce qu'elle est : un hommage à la mémoire de Francis Deron, correspondant salutaire du Monde à Pékin (1987-1997), mort le 31 juillet.

Francis Marmande

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