lundi 26 octobre 2009

Chine-Inde : La guerre des mots - François Bonnet


Marianne, no. 652 - Repères Monde, samedi, 24 octobre 2009, p. 57

Le dessous des cartes

Un conflit larvé menace de tourner à la guerre entre deux nouvelles grandes puissances, l'Inde et la Chine. Depuis un mois, Pékin fait connaître sa colère et ses menaces, rappelant qu'en 1962, il avait remporté la brève mais violente "guerre de l'Himalaya" contre New Delhi. Sur les plus hautes montagnes du monde, les contentieux territoriaux entre les deux pays sont innombrables, et les frontières non reconnues. Le plus vif concerne l'Etat indien d'Arunachal Pradesh, un territoire de 1 million d'habitants à l'extrême nord-est de la fédération, entre Chine, Birmanie et Bangladesh.

Pour Pékin, pas de doute : ce territoire est sien et les Chinois l'appellent le Tibet du Sud, arguant du fait qu'il était, avant la colonisation britannique, partie intégrante du Tibet ! C'est dire leur fureur lorsque le Premier ministre indien, Manmohan Singh, s'est rendu dans cet Etat le 3 octobre pour annoncer des investissements dans les infrastructures, un renforcement des forces armées et pour soutenir les candidats de son parti à des élections libres qui ont vu un taux de participation record de près de 75 %.

La colère rouge a viré à l'écarlate lorsque le dalaï-lama a annoncé sa visite dans ce même Etat à la fin du mois de novembre. Un dalaï-lama qui a toujours reconnu l'appartenance d'Arunachal Pradesh à la fédération indienne ! Un porte-parole chinois a donc exprimé "le grave mécontentement" de Pékin, expliquant que la visite du Premier ministre indien mettait "en péril les relations entre les deux pays". "Une provocation dangereuse", a aussitôt titré un journal officiel chinois, le Global Times : "L'Inde commet une erreur fatale si elle compte sur une quelconque faiblesse de la Chine." Et, pour bien enfoncer le clou, c'est un blogueur, anonyme mais apparu opportunément sur un site patriotique chinois, qui a promis l'apocalypse : "Il ne peut y avoir deux soleils dans le même ciel. La Chine peut démembrer la prétendue Union indienne en un clin d'oeil." New Delhi s'est toujours retenu d'alimenter l'escalade. Mais cette fois, aiguillonné par bon nombre d'experts indiens qui estiment que "trop, c'est trop", le gouvernement est monté au créneau. En dénonçant le soutien chinois au Pakistan dans le conflit du Cachemire. En protestant contre le projet d'un énorme barrage qui viserait à détourner une partie du fleuve sacré Brahmapoutre. En accusant l'armée chinoise d'incursions dans le territoire contesté.

Cette crise montre la nervosité grandissante des hiérarques rouges face aux mouvements qui agitent ses territoires lointains. Les petits royaumes himalayens préfèrent le parapluie indien à la République populaire. Au moment où le Tibet et les Ouigours du Xinjiang sont en révolte larvée, Pékin exhibe ses muscles. Exercice dangereux.

* www.mediapart.fr

© 2009 Marianne. Tous droits réservés.


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