Les Echos, no. 20529 - International, mardi, 13 octobre 2009, p. 8
C'est un paradoxe ; la Russie, premier exportateur mondial d'énergie, ne vend pas de gaz à la Chine, devenue il y a six ans le deuxième importateur mondial d'hydrocarbures en raison de sa fabuleuse croissance économique. Moscou exporte, certes, du pétrole, mais pas de gaz faute d'infrastructures de transports. Cela devrait changer, à la suite de la visite de trois jours du Premier ministre russe, Vladimir Poutine, à Pékin, qui a débuté hier. Un accord doit d'ailleurs être signé aujourd'hui pour la fourniture de gaz par Gazprom, le monopole semi-public russe du secteur, à la compagnie pétrolière nationale de Chine, CNPC.
Pour Gazprom, dont 60 % des ventes sont destinés à l'Union européenne, il est logique de diversifier ses marchés, surtout vers le Japon, la Corée du Sud (sous forme de gaz naturel compressé ou liquéfié à partir d'un terminal récemment mis en service à Vladivostok) et, désormais, la Chine. Au passage, sur le plan géostratégique, Moscou martèle son message habituel aux Européens :« Soyez aimable avec moi sinon je me tourne vers Pékin. » Les négociations traînaient en longueur depuis 2004. Il est vrai que jusqu'à récemment Pékin n'affichait pas de gros besoins en matière d'importations de gaz, l'essentiel de son énergie provenant du charbon. Le gaz qu'elle consommait, généralement à partir de ses propres gisements, ne représente que 2 % de la consommation d'énergie du pays, mais devrait peser pour 5 % dans quelques années, Pékin souhaitant réduire sa dépendance envers le charbon.
Gazprom affiche la volonté de vendre jusqu'à 80 milliards de mètres cubes de gaz par an à la Chine, la moitié de ses exportations vers l'Union, ce qui n'est pas sans susciter quelques interrogations ; l'entreprise russe ne parvient actuellement à équilibrer son bilan gazier qu'au prix d'approvisionnements en Turkménistan. En outre, on peut se demander dans quels « tuyaux » passera le gaz russe. Pékin et Moscou avaient annoncé en fanfare en 2006 le lancement de la construction de deux gazoducs d'une capacité de transit de 30 à 40 milliards de mètres cubes par an chacun, mais celui qui devait acheminer le gaz en provenance du plateau d'Altaï en Sibérie occidentale est au point mort, a-t-on appris fin août, Gazprom le trouvant trop cher.
Echanges commerciaux
Pékin et Moscou envisagent aussi une participation russe à la construction de réacteurs supplémentaires dans la centrale nucléaire de Tianwan, la plus importante de Chine, et un joint-venture dans la production en Russie de diesel à partir de liquéfaction de charbon. Au total, Vladimir Poutine signerait des contrats d'une valeur de 5,5 milliards de dollars, selon Alexandre Zhukov, le vice-Premier ministre russe, cité par Reuters. Les échanges commerciaux entre la Russie et la Chine ont été multipliés par six en six ans pour atteindre 56 milliards de dollars l'an dernier.
Vladimir Poutine, qui doit rencontrer le président, Hu Jintao, et le Premier ministre, Wen Jiabao, va aussi participer à Pékin au sommet de l'Organisation de coopération de Shanghai, une organisation sécuritaire qui regroupe la Chine, la Russie, le Kazakhstan, l'Ouzbékistan, le Tadjikistan et le Kirghizstan. Il y sera sans doute question du nucléaire iranien, dossier dans lequel Pékin et Moscou semblent partager une certaine « identité de vue », à savoir une énorme réticence à instaurer des sanctions efficaces contre ce pays qui fournit la Chine en pétrole et qui constitue sans doute le seul allié véritable de la Russie au Proche-Orient.
YVES BOURDILLON
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