Retraité mais hyperactif. Un pied en Suisse, l'autre à Pékin. Guy Ullens de Schooten était, avant de prendre sa retraite il y a dix ans, un pilier du monde belge des affaires. Il fut notamment longtemps administrateur délégué des Sucreries de Tirlemont, avant de revendre en 1989 cette société familiale, pour un très joli prix (un milliard d'euros), aux Allemands de Südzucker.
Ce passionné enthousiaste se partage aujourd'hui entre son « Centre Ullens pour l'art contemporain » ouvert il y a deux ans à Pékin - premier musée d'art contemporain de la capitale chinoise -, les projets humanitaires lancés par son épouse Mimi au Népal, des séjours aux Etats-Unis, à Londres et ailleurs... et la Belgique, où il passe, de temps en temps, quelques jours.
A l'occasion d'Europalia Chine, nous avons profité d'un de ses séjours dans notre pays - il sera aussi ce soir l'hôte des Grandes Conférences catholiques - pour lui proposer d'être notre Visiteur, pour qu'il raconte cette Chine où il a multiplié les longs séjours depuis 25 ans. Une Chine que, visiblement, il admire, et à laquelle cet homme d'affaires dans l'âme prisant l'efficacité pardonne beaucoup.
« La Chine va si vite, c'est comme une Ferrari... sauf qu'elle pèserait 3.000 tonnes. A propos de ce pays, nous sommes toujours en retard d'une guerre. Il se déroule là une extraordinaire épopée humaine, dont certains aspects sont fort critiqués par l'Occident. Mais ce système s'autocorrige plutôt bien, même s'il reste des problèmes majeurs, qui ont trait aux minorités et à la pollution - problèmes qu'ils sont d'ailleurs partiellement en train de résoudre.
Ces quinze ou vingt dernières années, près de 400 millions de personnes sont passées de la pauvreté à la classe moyenne. En Europe, il nous a fallu un siècle pour arriver à ce résultat et aux Etats-Unis, une cinquantaine d'années. »
« Si la Chine avance à ce rythme, poursuit-il, c'est grâce à son système politique très centralisé, qui n'empêche pas une très grande libéralisation économique... A nuancer cependant : cela fonctionne aujourd'hui, reste à voir si ça continuera à marcher demain... Les dirigeants chinois estiment que la démocratie aurait, actuellement, en Chine, un coût beaucoup trop élevé, et avec le risque de privilégier le court terme. C'est vrai que, lorsqu'on regarde les Etats-Unis, toute cette énergie et cet argent dépensés pendant l'année qui précède les élections présidentielles, plus la mise en place des différentes administrations : plus d'un quart d'un mandat présidentiel semble perdu. Et, quand on voit le désastre de Fortis, on se demande parfois si l'énorme attention portée en Belgique aux problèmes politiques et communautaires n'a pas contribué à négliger les questions de politique économique. En observant la croissance chinoise, on en viendrait parfois à se demander si notre bonne vieille démocratie n'a pas un côté un peu ringard... »
La démocratie, système ringard donc ? « Je ne fais pas l'éloge d'un pouvoir fort partout dans le monde, nuance-t-il. La démocratie est la plus belle chose que nous ayons, mais il faudrait pouvoir la rendre plus efficace, il faudrait que nos décideurs osent prendre des risques, voir à long terme, sans penser en permanence aux prochaines élections. Surtout en Belgique pays aux échéances électorales multiples... »
Il distingue un autre atout actuel de la Chine : « Leur dieu aujourd'hui, c'est l'éducation, la formation. Les jeunes ont l'occasion de poursuivre leurs études à l'étranger, de s'ouvrir l'esprit. C'est le cas aussi pour les responsables du Parti communiste. Les dirigeants vont chercher des gens de valeur dans les entreprises. Mon chef de district à Pékin est ingénieur nucléaire. Ils veulent des gens sérieux, et ce sont souvent des professeurs venus de l'étranger qui complètent leur formation. On est loin d'un bla-bla doctrinaire. Il y a certes de la corruption, mais cette pratique me semble en diminution... Ils ont surtout la capacité, avec l'aide de gros bureaux d'étude, de prendre des décisions rapidement. »
Un exemple qui le touche de très près : « Notre projet de centre d'art contemporain a finalement pu être réalisé assez rapidement, même si nous avons eu par moments quelques angoisses. Ce qui nous a aidés, c'est qu'il s'agit d'un projet entièrement privé. Ils n'auraient probablement pas accepté notre projet s'il y avait eu une implication publique étrangère. Il faut savoir qu'en Chine, c'est le ministère de la Culture ET de la Propagande qui gère ces dossiers. La culture est donc un domaine très réservé. Mon épouse et moi avons réussi à passer entre les gouttes. Nous voudrions d'ailleurs que notre centre devienne tout à fait chinois. De septante à quatre-vingts pour cent de nos visiteurs sont, déjà, de jeunes Chinois. Il faudrait qu'il y ait des visites organisées par l'enseignement secondaire et supérieur et par les corps constitués : ce n'est pas encore le cas. Longtemps, l'art moderne a senti le soufre en Chine. Aujourd'hui, les créateurs d'art plastique jouissent cependant d'une grande liberté. »
L'histoire récente de la Chine le passionne : « Deng Xiao Ping est un dieu pour les Chinois : c'est lui, le "Père de la Chine moderne". Mais, malgré ses erreurs, Mao reste très respecté : même s'il a collé sur ce pays une idéologie qui ne lui convenait pas, il incarne toujours pour les Chinois le champion de l'indépendance nationale. Aujourd'hui, le PC veille à ce que les dirigeants ne restent pas trop longtemps au pouvoir. On prépare leur succession sans traîner... »
« Ce qui est assez remarquable avec cette équipe ici, le président Hu Jintao et le Premier ministre Wen Jiabao, c'est qu'ils sont descendus du piédestal où trônaient jusqu'ici les hauts responsables. Désormais, ils vont sur le terrain, ils sont plus proches du peuple. »
william bourton et véronique kiesel
© Rossel & Cie S.A. - LE SOIR Bruxelles, 2009
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