INDE - Atermoiements coupables
(New Delhi) - Le revirement spectaculaire du ministre de l'Environnement Jairam Ramesh sur la position indienne a laissé bouche bée les divers porte-parole du Parti du Congrès. Et le démenti que ce ministre a apporté par la suite n'a fait qu'aggraver la confusion. Au coeur du débat, il y a cette fameuse lettre qu'il aurait adressée au Premier ministre Manmohan Singh pour lui demander d'"assouplir" la position de l'Inde. Concrètement, le ministre a suggéré que l'Inde renonce au protocole de Kyoto [qui ne prévoit pas d'engagement quantifié de la réduction des émissions de gaz à effet de serre pour les pays en voie de développement] et adopte des objectifs chiffrés de réduction d'émissions, comme le demandent les Etats-Unis. Dans son démenti, Jairam Ramesh a indiqué que l'Inde n'avait aucune intention de gommer la distinction entre pays développés et pays en développement et qu'elle n'accepterait pas un diktat international qui exigerait une réduction des émissions de carbone à des niveaux donnés (sans parler des contrôles de ces émissions par des organismes extérieurs). Malgré ces belles paroles, la tension n'est pas retombée : l'équipe de négociation indienne qui se rendra à Copenhague est indécise sur la position à adopter et les alliés de l'Inde sont furieux. Renoncer au protocole de Kyoto maintenant n'a aucun sens. En s'engageant seule, l'Inde bafouerait la solidarité dont ont fait preuve à Kyoto les pays en développement (le fameux bloc du G77, qui compte aujourd'hui 130 pays membres) pour presser les gros pollueurs du monde de prendre des mesures sans que les pays les plus pauvres n'en paient le prix. La production "propre" d'électricité est beaucoup plus chère et cela pourrait ralentir sérieusement la croissance économique de l'Inde et handicaper la lutte contre la pauvreté. Or ce sont là les intérêts vitaux de notre pays.
Ne pas trahir la confiance des alliés du groupe G77
Récemment encore, Jairam Ramesh était perçu comme un ministre favorable aux accords de Kyoto. Mais son état d'esprit a changé fin septembre, lorsqu'il a proposé spontanément aux Nations unies un audit annuel sur le niveau des émissions indiennes. Alors qu'aucun autre pays n'a pris pareil engagement, pourquoi l'Inde en prend-elle l'initiative ?
La lettre du ministre est également inquiétante car elle infléchit la position de l'Inde sur une question qui relève d'une négociation internationale, risquant dans la foulée de compromettre d'autres relations. La Chine et le Brésil, par exemple, exigent depuis longtemps que les pollueurs nettoient l'atmosphère. Sur ce point, l'Inde a toujours été un allié fidèle, et sa solidarité touche aussi à des positions communes sur la protection des produits agricoles des pays en développement face aux importations occidentales, par exemple. De la même façon, le réchauffement climatique est un débat que les pays du G77 ont replacé dans le cadre de leurs droits souverains. "Si l'Inde chancelle maintenant, nous donnerons l'impression de renoncer à notre rôle dans notre camp, et de passer de l'autre côté juste avant la plus grande bataille sur le changement climatique", déplore une source du ministère des Affaires étrangères.
Plusieurs analystes craignent que l'Inde se retrouve contrainte de réduire ses émissions d'une façon ou d'une autre. Tout dépend de l'accord qu'elle parviendra à décrocher à Copenhague. Elle pourrait aussi chercher à accéder à moindre coût à des technologies vertes avancées [via un engagement financier de la part des pays riches] - mais elle n'aura de chance d'y parvenir que si elle défend d'emblée une position ferme, au lieu de se montrer prête à des compromis. On oublie aussi un autre problème pratique : notre Etat indien, laxiste, aura de toute façon bien du mal à veiller à l'application de n'importe quelle norme antipollution au milieu de l'anarchie industrielle.
NINAD D. SHETH
CHINE - Vive le développement durable ! (Shanghai) - Du 14 au 17 juillet 2009, deux ministres américains d'origine chinoise, le secrétaire à l'Energie Steven Chu et le secrétaire au Commerce Gary Locke, se sont rendus pour la première fois ensemble en visite officielle en Chine. Cette visite faisait suite à l'adoption le 22 juin 2009 par la Chambre des représentants du projet de loi Cap and Trade sur le plafonnement et l'échange des droits à polluer, qui comporte une clause autorisant les Etats-Unis à imposer une taxe carbone aux importations en provenance des pays (dont la Chine) n'appliquant pas les quotas de réduction d'émissions de gaz à effet de serre. Cette décision avait suscité un tollé dans la communauté scientifique chinoise. On peut dire que ces opinions témoignent pour le moins d'une réflexion peu approfondie et d'une mauvaise prise en compte de la situation à long terme. Tout d'abord, l'abaissement des émissions de dioxyde de carbone correspond à une tendance générale. L'économie à faibles émissions de CO2 a peu à peu fait son entrée dans l'histoire. L'Union européenne ou le Japon ont ainsi décidé de limiter leurs émissions. Des pays en voie de développement comme la Chine et l'Inde ont conçu des lois et des plans destinés à développer les énergies renouvelables. En d'autres termes, l'économie mondiale avance sur le chemin de la "décarbonisation". Actuellement, le rendement d'une tonne de charbon produite en Chine équivaut seulement à 28,6 % d'une même tonne produite aux Etats-Unis, 16,8 % dans l'Union européenne, 10,3 % au Japon. De ce fait, les nouveaux investissements et l'augmentation de la consommation entraînent une forte pollution et de faibles rendements. Et près d'un tiers du territoire chinois est désormais pollué par des pluies acides. Nous ne pouvons pas suivre le vieux modèle des pays riches : développer d'abord, gérer les conséquences par la suite; la mise en place immédiate d'une société économe en ressources naturelles et soucieuse de son environnement est la seule solution garantissant à la Chine un développement durable. Les taxes douanières sur les émissions de gaz à effet de serre vont devenir une contrainte extérieure poussant la Chine et d'autres pays en voie de développement à réaliser cette transformation de leur économie, et ce n'est pas forcément une mauvaise chose. Troisième remarque : dans l'ensemble, pour la Chine, les bénéfices à attendre d'un abaissement des émissions de gaz à effet de serre [GES] seront supérieurs aux inconvénients. En fait, les Etats-Unis sont confrontés au même problème qu'elle, et cela pourrait bien porter un coup fatal à leurs sociétés grandes émettrices de GES. C'est la raison pour laquelle l'ancien président Bush avait toujours refusé de ratifier le protocole de Kyoto. Plus important : si des pays grands consommateurs de ressources comme la Chine et les Etats-Unis s'engagent sur la voie d'une économie peu émettrice de gaz à effet de serre, on assistera à une forte chute des prix de produits de base comme l'essence, le gaz et les ressources minières au niveau mondial, ce qui, paradoxalement, jouera en faveur de la croissance en Chine. Sans parler des bénéfices liés à la création d'un marché des "droits à polluer" et de la chaîne industrielle qui découlera de la mise en place des technologies connexes. Pékin doit donc agir en ce sens, et préserver ainsi ses intérêts à long terme. Il s'agit de sauver la maison commune de l'humanité, ce qui ne signifie pas accepter telle quelle la taxe douanière que les Etats-Unis entendent imposer. La Chine doit s'afficher comme une grande puissance responsable et courageuse en jouant de son droit de parole et en se positionnant sur le plan éthique, tout en revendiquant la protection de ses intérêts et en oeuvrant à l'instauration de règlements internationaux en faveur de la réduction des émissions de gaz à effet de serre. CHU CHAOGEN, chercheur à l'Académie des sciences sociales du Zhejiang. (Pékin) - Bien que la Chine, en tant que pays en voie de développement, ne soit pas soumise au protocole de Kyoto, elle est malgré tout présente sur le marché des droits à polluer par le biais des mécanismes pour un développement propre [MDP , voir p.19]. Depuis deux ans, la Chine est même le premier fournisseur mondial de crédits carbone dans le cadre de projets MDP , avec 73 % des transactions mondiales en 2007 et 84 % en 2008 ! Aussi la Chine doit-elle avoir une vision claire de sa position dans la chaîne du commerce du carbone. En effet, comme la Chine n'a pour l'instant pas son mot à dire sur le marché des droits à polluer, les prix de son quota d'émissions sont fixés à un niveau très bas par les acheteurs des pays développés. Faute de posséder son propre réseau d'échanges, elle ne peut pas négocier et, ne disposant pas de réglementations et d'institutions adéquates, elle ne peut pas non plus créer son propre marché. La Chine risque de revivre avec la future Bourse planétaire des droits à polluer la mauvaise expérience du marché international du pétrole, au sein duquel elle est privée de tout pouvoir de tractations car elle n'a pas participé à son élaboration. Double conséquence : les sociétés pétrolières chinoises sont plutôt mal placées sur les marchés internationaux et, au niveau intérieur, les prix doivent être fixés administrativement pour pallier les fluctuations des cours mondiaux. Forte de cette leçon, la Chine doit absolument participer à la construction du marché mondial des droits à polluer. Autre argument : ce marché des droits d'émissions lie finance verte et technologies vertes. Participer à son élaboration permettra donc à la Chine de prendre part à la construction du système financier à venir, et facilitera en outre la croissance du secteur des économies d'énergie et de la réduction des émissions de CO2, qui est aujourd'hui freinée par un recours insuffisant aux technologies vertes. Depuis 2008, les ouvertures successives d'une bourse de l'environnement à Pékin, d'une bourse de l'environnement et des sources d'énergie à Shanghai et d'une bourse des droits d'émission de dioxyde de carbone à Tianjin sont une avancée. Mais ces bourses ne s'adressent pour l'instant qu'aux entreprises et on ne peut y échanger que des projets MDP . Nous devons donc élaborer au plus vite une législation permettant le développement d'un marché national unique du carbone qui soit typiquement chinois. (Singapour) - A l'approche de la conférence de Copenhague, les médias s'agitent autour du rôle que pourraient jouer l'Inde et la Chine dans les négociations à venir. Quant à la place de l'Asie du Sud-Est, elle est à peine mentionnée. Pourtant, la région se trouve dans une situation extrêmement précaire. Sur son littoral se concentre une grande partie de la population et des activités économiques, tandis que sa dépendance vis-à-vis de l'agriculture et de l'exploitation forestière reste forte. Une étude conduite cette année par la Banque asiatique de développement (BAD) indique que le niveau des mers pourrait s'élever de 40 centimètres d'ici à 2100 dans la région. A l'horizon 2030, 2 000 petites îles de l'archipel indonésien disparaîtront probablement, tandis que les eaux qui baignent les côtes des Philippines s'élèveront de 1 mètre avant 2080, inondant 5 000 hectares de la baie de Manille et affectant 2,5 millions de personnes. Si rien n'est fait pour juguler le réchauffement planétaire, le Sud-Est asiatique verra s'envoler l'équivalent de 6,7 % de son produit intérieur brut (PIB) chaque année d'ici à 2100. On estime que, dans le même cas de figure, les Etats-Unis ne perdraient que 3,6 % de leur PIB. En 2015, les villes asiatiques devraient être à l'origine de 55 % des émissions mondiales de gaz à effet de serre. L'Asie du Sud-Est deviendrait dès lors l'un des premiers contributeurs planétaires aux émissions de dioxyde de carbone. Pourquoi, dès lors, la région ne s'est-elle pas placée aux avant-postes dans les négociations sur le changement climatique ? L'Association des nations du Sud-Est asiatique (ASEAN) a-t-elle son mot à dire dans les discussions à venir afin de garantir les intérêts de ses pays membres ? Ses échanges sur la question portent sur des pays spécifiques, l'éventualité d'une coopération régionale n'étant évoquée qu'accessoirement. Pourtant, ces Etats seraient mieux armés s'ils faisaient corps plutôt que de se présenter en ordre dispersé. Un bloc uni serait en outre plus à même de convaincre le monde développé de lui allouer des aides ou de lui transférer des technologies. L'infrastructure institutionnelle est déjà en place. La première initiative de l'ASEAN en matière de coopération environnementale remonte à 1977 avec le Programme sous-régional pour l'environnement (ASEP). En 1999, l'organisation a défini un Plan d'action stratégique pour l'environnement et, plus récemment, en novembre 2007, ses dirigeants ont signé une déclaration conjointe sur l'environnement durable. De plus en plus de crédits sont mobilisés afin de financer les stratégies d'atténuation et d'adaptation face au réchauffement climatique dans la région. Parmi ceux-ci, le partenariat Cool Earth, une initiative japonaise qui porte sur 10 milliards de dollars [6,7 milliards d'euros] pour contribuer à la réduction des émissions de gaz à effet de serre dans les pays en développement, ou le projet de crédits carbone de la BAD [Carbon Market Initiative, CMI], dont les deux fonds ambitionnent de réunir plus de 300 millions de dollars [200 millions d'euros]. Individuellement, les Etats membres de l'ASEAN ont adopté des "mesures vertes" visant à améliorer la maîtrise énergétique, à promouvoir les énergies renouvelables et à intensifier les efforts d'atténuation et d'adaptation. Toutefois, comme le souligne le rapport de la BAD, la coopération régionale est à même d'offrir des mécanismes plus efficaces pour s'attaquer aux dossiers transfrontaliers, que ce soient les ressources hydriques, les écosystèmes marins, la prévention des feux de forêt, le contrôle des maladies infectieuses ou la gestion des risques et catastrophes. Servir d'intermédiaire entre la Chine, l'Inde et l'Europe Historiquement, la région de l'ASEAN a joué un rôle de carrefour sur la route des épices reliant la Chine, l'Inde et l'Europe. Dans le cadre de cette nouvelle économie plus verte, elle devrait continuer de s'appuyer sur cette position pour servir d'intermédiaire entre la Chine, l'Inde et l'Occident. Une myriade de possibilités existent : la Chine risque fort de devenir le plus grand producteur de panneaux solaires au monde et l'Inde se situe déjà au quatrième rang des producteurs d'énergie éolienne. La croissance du marché mondial des crédits carbone constitue également un potentiel énorme pour le financement et le transfert de technologies propres, à condition que les pays de l'ASEAN s'entendent sur des politiques incitatives capables d'attirer les investisseurs. L'ASEAN a souvent été critiquée pour n'être guère plus qu'un forum de discussion. Toutefois, grâce à sa structure institutionnelle bien établie, elle pourrait aboutir à des résultats tangibles. Pour faire avancer le dossier du changement climatique, elle doit faire preuve d'une volonté politique collective. Un nouveau paradigme doit être également adopté pour, enfin, reconnaître les avantages de la coopération et les coûts de l'inaction et de l'attentisme, en particulier dans le cas du réchauffement climatique. Si, au lieu d'agir pour sauver notre région, nous attendons que les pays industrialisés honorent leurs engagements en matière de financement et de transferts de technologie, nous n'aurons réussi, au bout du compte, qu'à développer et à aggraver un lien malsain de dépendance. CATHERINE WONG MEI LING, chercheuse à l'Institut d'études sud-est-asiatiques. (Hanoi) - On ne craint pas les tsunamis à Hai Ly, un village de pêcheurs situé à 150 kilomètres au sud de Hanoi, dans le delta du fleuve Rouge. La mer est calme et généreuse pour les pêcheurs, qui reviennent à terre les filets pleins. "Mais, sous la surface, il y a un problème", confie Nguyen Quang Thanh, 77 ans. "Le niveau de la mer monte et a déjà causé de gros dégâts à mon village." La digue a cédé trois fois depuis 1947, entraînant le déplacement de deux villages et de trois églises. Si une partie de la digue a été reconstruite et consolidée, Thanh et ses voisins ne sont pas entièrement à l'abri, leurs maisons se trouvant au pied de la portion de barrage construite en terre. L'élévation du niveau des mers provoquée par les bouleversements climatiques représente une menace pour le Vietnam. Selon un rapport de la Banque asiatique de développement, la production de riz risque de "décliner de façon spectaculaire" et des dizaines de milliers d'hectares de terres arables pourraient être submergés d'ici à la fin du siècle. A l'horizon 2020, des milliers de familles du littoral devront peut-être être évacuées. Nguyen Quang Thanh et les autres habitants de Hai Ly savent que l'élévation du niveau de la mer est liée au réchauffement de la planète. "Oui, les gens ont entendu parler du changement climatique. Ils ont conscience de sa réalité et du fait que c'est en train de se produire", déclare Steve Price-Thomas, directeur d'Oxfam Grande-Bretagne au Vietnam. "Mais ils ne savent pas trop quoi faire. Ils ignorent son origine." Comment expliquer à l'opinion l'origine et les conséquences du changement climatique, voilà une question à laquelle le Vietnam entend s'attaquer, assure Nguyen Khac Hieu, du ministère des Ressources naturelles et de l'Environnement. "Il ne fait aucun doute que la prévention nous coûtera beaucoup moins cher que la réparation des dégâts", souligne-t-il. Un plan de 112 millions de dollars [75 millions d'euros] a été approuvé l'année dernière. Parmi les mesures envisagées, le changement climatique fera son entrée au lycée et dans certaines universités, annonce le représentant du ministère. S'appuyer sur les médias est essentiel, estime pour sa part Steve Price-Thomas. "On peut utiliser les médias électroniques pour débattre des effets du changement climatique, car il est bien connu que les jeunes Vietnamiens comptent parmi les plus gros utilisateurs d'Internet et de blogs au monde." En attendant, ce sont les plus pauvres, vivant en majorité dans les zones rurales, qui demeurent les plus vulnérables. Or, comme le relève M. Thanh, l'aide indispensable à leur adaptation leur fait défaut. "Tout le monde dans notre village a peur des tempêtes, des inondations et de la montée du niveau de la mer. Après les envahisseurs étrangers pendant la guerre, nous voilà face à un nouvel ennemi. Mais que peut-on faire ?" En 2005, le gouvernement avait décidé d'allouer à chaque foyer du village établi au pied de la digue une aide de 4,5 millions de dongs [170 euros] pour se mettre à l'abri dans un endroit plus en hauteur. "Cette somme n'est pas suffisante, clame Thanh. Et même si elle l'était, faute de terres disponibles, nous ne pourrions pas déménager, sauf bien sûr au cimetière..." PACIFIQUE - L'aide est un devoir ethique (Wellington) - La grande question de notre région est l'effet de l'élévation du niveau de la mer sur deux groupes d'îles basses : les Kiribati, en Micronésie, et les Tuvalu, en Polynésie. Aucune de ces îles ne culmine à plus de 2 mètres au-dessus du niveau de la mer. Je suis allé dans ces deux pays : les Kiribati, 112 000 habitants, et Tuvalu, 12 000 habitants. Il est très impressionnant d'être dans une maison pendant une grande marée et de se retrouver avec de l'eau jusqu'aux chevilles. Ces micro-Etats ne contribuent quasiment pas au réchauffement climatique, mais risquent d'en payer le prix fort, en perdant littéralement leur territoire. Ils sont en outre dans la position peu enviable d'être absolument impuissants. L'archipel de Maldives, au sud de l'Inde, court le même danger, mais il est en mesure de trouver une solution. Le président Mohamed Nasheed vient de révéler qu'il s'était lancé dans une campagne ambitieuse d'achat de terres - en Inde, au Sri Lanka ou en Australie - pour reconstruire de nouvelles Maldives qui remplaceraient les anciennes quand celles-ci auront disparu sous les flots [voir pp. 22-23]. Il faudra peut-être envisager une solution similaire pour les Kiribati et les Tuvalu, mais une aide étrangère sera nécessaire pour atteindre un objectif aussi ambitieux financièrement. Ce qu'il faut éviter, c'est que les habitants soient déplacés de force parce qu'on n'a pas envisagé suffisamment tôt toutes les solutions possibles. Kiribati et Tuvalu étant tous deux des Etats souverains, la Nouvelle-Zélande n'est pas responsable de l'avenir de leurs populations et n'a aucune obligation juridique envers elles. Mais ce sont nos voisins, des êtres humains comme nous, avec des familles à nourrir. Nous accueillons déjà des gens dans le cadre d'un programme de migration de travail, mais la question est loin d'être réglée. Si je me suis impliqué dans la guerre civile de l'île de Bougainville, c'est entre autres parce que je refusais de considérer que ce conflit ne concernait que la Papouasie-Nouvelle-Guinée. La guerre durait depuis dix ans et des gens mouraient. Ils étaient nos voisins et il était donc important que la Nouvelle-Zélande apporte une aide. C'est le même raisonnement qui s'applique à ces îles en voie de disparition. Dans les pays développés, nous souhaitons tous pouvoir transférer de l'argent d'Etat à Etat à notre guise, utiliser une carte de crédit où que l'on soit et vendre nos marchandises dans le monde entier. D'un autre côté, nous limitons les mouvements des habitants des pays en développement. Seules les personnes relativement instruites et riches ont les moyens de s'installer ailleurs. Dans la majorité des cas, les gens ne peuvent pas émigrer; ils restent pauvres ou, s'ils ont de la chance, une multinationale s'installe chez eux pour profiter d'une ressource humaine bon marché. Or les îles du Pacifique ne vont pas voir affluer des usines ou des entrepreneurs désireux de profiter d'une main-d'oeuvre bon marché. Les habitants n'auront peut-être pas d'autre choix que de chercher à émigrer. La Nouvelle-Zélande ne refuserait bien sûr pas l'entrée à un éventuel futur All Black originaire des Samoa, mais nous n'avons en général pas tellement envie de voir toute sa famille débarquer avec lui. Comme tous les autres pays riches, nous aimons trier sur le volet ceux que nous laissons entrer chez nous. Je pense cependant que la Nouvelle-Zélande a la responsabilité morale et éthique de prêter assistance aux Kiribati et aux Tuvalu. Le nombre de morts causées par le tsunami aux Samoa fin septembre a bouleversé notre pays et cela a mis en évidence les liens étroits que nous avons avec nos voisins. Souvenons-nous de ces liens et agissons en amont pour neutraliser les effets d'une autre catastrophe. Pour commencer, on pourrait réunir autour d'une table des gens motivés, parmi lesquels des représentants de ces îles, de l'Australie, de la Grande-Bretagne, des Nations unies et de la Nouvelle-Zélande pour discuter des problèmes et des solutions possibles. Les habitants des Kiribati et des Tuvalu n'ont pas envie de quitter leur terre natale, mais les réalités environnementales les y contraindront peut-être. La Nouvelle-Zélande peut d'ores et déjà apporter son aide en coordonnant les discussions de façon à ce que toutes les options soient envisagées avant que la situation devienne urgente. Les programmes d'aide ne serviront pas à grand-chose quand leurs destinataires seront sous les eaux. DONALD McKINNON, ancien vice-Premier ministre et ministre des Affaires étrangères de Nouvelle-Zélande. MALDIVES - Tout pour sauver nos îles ! (Londres) - Les îles qui forment l'archipel des Maldives risquent d'être complètement submergées, probablement d'ici à la fin du siècle, à cause de l'élévation du niveau de la mer provoquée par le réchauffement de la planète. Les Maldives, un ensemble d'atolls et d'îles situés dans l'océan Indien, se trouvent à quelques mètres au-dessus du niveau de la mer. Leur point culminant, à 2,3 m, est le "point culminant le plus bas" de tous les pays du monde. C'est pourquoi Mohammed Nasheed veut aujourd'hui rassurer sa population. "Si l'homme peut marcher sur la Lune, nous pouvons nous unir pour battre notre ennemi carbonique commun", a déclaré le président après la projection du film. "J'annonce donc aujourd'hui que les Maldives seront le premier pays au monde à avoir un bilan carbone neutre." Il a ajouté qu'il s'était lancé dans une campagne d'achat de terres ambitieuse - en Inde, au Sri Lanka, en Australie - pour y édifier les Nouvelles Maldives lorsque les anciennes auront disparu sous les vagues. Dans ce but, le pays va créer un fonds souverain à partir des revenus importants tirés du tourisme. Nasheed a également fait parler de lui le 17 octobre en réunissant le premier Conseil des ministres sous-marin de l'histoire. Les ministres de Nasheed ont enfilé une combinaison de plongée et des bouteilles d'oxygène et se sont réunis dans les eaux peu profondes de l'île de Girifushi. L'idée était surtout d'attirer l'attention sur ce pays qui va souffrir bien davantage du réchauffement climatique que les autres. Mohamed Nasheed est né à Malé en mai 1967. Il a fait ses études au collège Majeediyya, aux Maldives, avant de rejoindre un lycée de Colombo, au Sri Lanka. Il obtient une licence d'études marines à la John Moores University de Liverpool. Revenu aux Maldives à la fin des années 1980, il s'attire tout de suite des ennuis. Il fonde le magazine Sangu, dans lequel il publie une série d'articles sur le régime du président Gayoom [au pouvoir de 1978 à 2008], qu'il accuse de corruption et de violations des droits de l'homme. Au bout du cinquième numéro, la police fait une descente dans les locaux de Sangu et arrête Nasheed. Accusé d'avoir tenté de renverser le gouvernement, il passe plusieurs mois en prison. Il a 23 ans. Il sera victime d'une incessante chasse à l'homme pendant les dix années suivantes. En 2005, Nasheed quitte les Maldives pour la Grande-Bretagne. Il rentre cependant dans son pays au bout de quelques mois et se présente contre Gayoom aux élections de 2008, le premier scrutin démocratique que les Maldives aient connu. Il gagne avec 54 % des voix. Depuis lors, il fait preuve d'une grande assurance, même si son bref mandat ne va pas sans soulever quelques critiques. Son Conseil des ministres sous-marin et ses projets de déplacement de populations vers une terre promise lui ont valu d'être accusé de manquer de substance politique et de donner un peu trop dans le sensationnel. Reste à savoir jusqu'où Nasheed peut aller pour son pays. Qui lui donnera une terre où édifier ses Nouvelles Maldives ? Quelle est l'utilité de faire des Maldives un pays au bilan carbone neutre ? Il n'est pas facile de répondre à ces questions. "Nous sommes tous des Maldiviens", affirme-t-il. En effet, tous les pays de la planète sont aujourd'hui menacés par le réchauffement climatique. Il se trouve que les Maldives et leurs habitants seront aux avant-postes lorsque la grande catastrophe se produira. Les actes de Nasheed visent donc à inciter l'Occident à agir, dans l'espoir de tirer quelques bénéfices pour son pays si un programme pour lutter efficacement contre le changement climatique est finalement lancé. Comme il le dit : "Si les scientifiques ne sont pas capables de sauver les Maldives, alors ils ne sont pas capables de sauver le monde." ROBIN McKIE BRÉSIL - "Les pays riches devront payer" Monsieur le Président, début octobre, vous étiez à Stockholm à l'occasion du 3e sommet Brésil-Union européenne. Vous y avez évoqué la proposition brésilienne au sujet des changements climatiques, laquelle sera présentée à la conférence de l'ONU en décembre. C'est bien ça ? LULA A vrai dire, nous sommes encore en train de bâtir une proposition, en y associant l'ensemble de la population brésilienne. Et nous espérons la finaliser très prochainement afin de pouvoir l'exposer aux autres pays, parce qu'il y a beaucoup de gens qui veulent travailler avec le Brésil à l'élaboration d'une proposition pour Copenhague. Notre plan pour lutter contre le changement climatique prévoit que, d'ici à 2020, nous puissions réduire la déforestation de 80 %, c'est-à-dire que nous cessions d'émettre près de 4,8 milliards de tonnes de CO2. Nous voulons présenter une proposition, mais nous voulons l'élaborer en collaboration avec d'autres pays, nous voulons voir ce qu'il est possible d'obtenir à Copenhague comme proposition, de la part des pays développés surtout, pour qu'ils prennent des engagements non seulement en vue de réduire les émissions mais aussi pour qu'ils paient les dégâts qu'ils ont déjà fait subir à la planète. Il y a forcément une différence considérable entre les pays riches, qui ont une politique industrielle depuis plus de cent cinquante ans, les pays pauvres, qui commencent tout juste à se développer, et les pays émergents. Les Etats-Unis et la Chine, ce n'est pas la même chose. Aux Etats-Unis, la révolution industrielle remonte à près de deux cents ans. Alors que la Chine n'en est qu'à ses débuts. Par conséquent, la responsabilité des pays riches en ce qui concerne le réchauffement de la planète est beaucoup plus grande que celle des pays émergents. Nous devons bâtir une proposition en tenant compte de ce que chaque pays émet comme gaz à effet de serre actuellement, de ce qu'il a émis tout au long de son histoire et de son degré de contribution à la capture de CO2. Cela permet de responsabiliser chaque pays en fonction des dégâts qu'il a causés et d'en finir avec ce débat générique où tout le monde veut être traité sur un pied d'égalité, alors que ce n'est pas possible. Au Brésil, nous avons délimité des zones agro-écologiques pour la culture de la canne à sucre et nous en avons exclu presque toute la région de l'Amazonie et le Pantanal [la plus grande zone humide de la planète]. Autrement dit, nous préservons notre biodiversité. Nous voulons que les autres pays assument leurs responsabilités. D'abord qu'ils paient pour les dégâts déjà causés et, ensuite, qu'ils réduisent leurs émissions de gaz à effet de serre s'ils en produisent beaucoup. Cela implique qu'ils modifient leurs habitudes de consommation ou qu'ils changent leurs modes de production. S'ils refusent, ils devront replanter des forêts sur leurs territoires. Et, s'ils persistent dans leur refus, ils devront payer pour les pays qui ont encore des forêts à préserver et leur fournir une contrepartie financière correspondante. CAFE.RADIOBRAS.GOV.BR BOLIVIE - Tribunal de justice climatique (São Paulo) - DE COCHABAMBA Planter des arbres dans les pays pauvres pour que les puissances industrielles continuent à polluer sans remords, se lancer dans des mégaprojets d'infrastructures, produire des agrocarburants... Voici quelques-uns des thèmes abordés lors de la première audience du Tribunal international de justice climatique qui, les 13 et 14 octobre 2009, a examiné les plaintes formulées à l'encontre de gouvernements et d'entreprises. Les jugements rendus ont une portée morale, politique et éthique. Les huit membres du jury appartiennent à des organisations sociales et de défense des droits de l'homme du Salvador, du Pérou, du Chili, des Etats-Unis, d'Allemagne, du Costa Rica, d'Argentine et d'Irlande. "La communauté internationale devrait chercher les moyens d'atteindre, d'ici dix ou vingt ans, une économie sans émissions de gaz à effet de serre. Mais il y a des entreprises et des pays qui souhaitent continuer d'émettre du CO2 et qui proposent pour cela de payer d'autres pays afin que ceux-ci plantent des arbres. Nous voulons alerter la population, dénoncer ces crimes et les traduire devant la justice. Notre tribunal n'a qu'une portée morale : nous n'avons pas le pouvoir d'emprisonner les coupables. Nous voulons simplement exercer suffisamment de pressions pour que les Nations unies mettent en place un véritable tribunal pour les punir", a expliqué à Página 12 Ricardo Navarro Pinelda, membre du jury et président du Centre salvadorien de technologie appropriée (CESTA), une ONG dédiée à la mise en place au Salvador de technologies respectueuses de l'environnement et des conditions sociales. Du côté des plaignants se trouve l'ONG équatorienne Acción Ecológica, qui dénonce la fondation néerlandaise Forest Absorbing Carbon Emissions (FACE), qui veut planter 150 000 hectares de forêt dans des pays en développement afin de compenser les émissions d'une nouvelle centrale au charbon aux Pays-Bas. De son côté, la fondation Puente Entre Culturas dénonce les 12 gouvernements sud-américains ainsi que diverses banques et entreprises pour leur participation au projet IIRSA (Initiative pour l'intégration régionale des infrastructures en Amérique du Sud), dont la finalité est de mener à bien 500 mégaprojets comme la construction de routes et de barrages. José Oney Valencia Llanos accuse quant à lui le gouvernement colombien et l'Association des cultivateurs de canne à sucre colombiens de faire la promotion de la culture industrielle de la canne à sucre pour la fabrication de l'éthanol. Selon lui, "ce modèle de production n'apporte aucune solution à la crise énergétique car il nécessite plus d'eau, de produits agrochimiques et de technologie. Cette industrie utilise moins de main-d'oeuvre, entraîne des déplacements de populations, criminalise les protestations sociales et provoque famines et maladies." L'audience a été organisée par la Plate-forme de la Bolivie contre les changements climatiques, qui rassemble les secrétaires des ressources naturelles de cinq organisations indiennes et paysannes. Les décisions du tribunal devaient être remises aux huit présidents des pays de l'Alternative bolivarienne pour les Amériques (ALBA) réunis les 16 et 17 octobre 2009 à Cochabamba. SEBASTIAN OCHOA MEXIQUE - Petite récolte, grande révolte (Mexico) - Si le changement climatique est une question prioritaire pour l'avenir du pays, pourquoi le ministère de l'Environnement et des Ressources naturelles (SEMARNAT) n'a-t-il pas été intégré au Conseil de sécurité nationale ? Pour la Défense britannique, le réchauffement relève de la sécurité nationale, et ce pour une raison évidente : le Royaume-Uni est un ensemble d'îles et, si le niveau de la mer monte ou si le Gulf Stream s'interrompt à cause du dégel, la sécurité de ce pays sera compromise. Cependant, Juan Mata Sandoval, directeur général des politiques de lutte contre le réchauffement au SEMARNAT, juge que le moment n'est pas encore venu d'inscrire le changement climatique à l'ordre du jour de la sécurité, dans la mesure où le ministère de la Défense n'est pas entièrement au fait du problème. Le responsable du programme de changement climatique et développement durable (PROCLIMAS) de l'Institut polytechnique national (IPN), Víctor Manuel López, estime pourtant que le changement climatique est déjà observable au Mexique. Il rapporte une hausse du niveau de la mer dans l'Etat du Sinaloa, une désertification rapide dans celui du Tamaulipas - et aussi l'un des rares effets bénéfiques du changement : le fait que dans l'une des zones froides de l'Etat de Mexico, où l'on ne pouvait rien cultiver auparavant, on plante aujourd'hui des pommes de terre. Le docteur López et d'autres experts de l'Université nationale autonome du Mexique (UNAM) et du Collège du Mexique se bornent pour l'instant à critiquer la dernière version du Programme spécial sur le changement climatique qu'a présenté le Dr Mata et qui donne la priorité à la limitation des émissions de gaz à effet de serre, laissant de côté l'adaptation du pays au changement climatique. J'ai assisté récemment, à l'Institut Mora, à un forum consacré à l'analyse de la réaction fédérale face à l'épidémie de grippe A. J'ai été particulièrement intéressé par l'exposé du Pr Benjamín Ruiz, spécialiste des armes chimiques et biologiques à l'UNAM. Il a souligné l'insuffisance du système de santé publique, et a en particulier développé le sujet de la dengue, maladie qui ne s'observe plus seulement dans les zones tropicales mais aussi dans les zones arides. Le moustique élargit son habitat et Ruiz juge fort possible que le changement climatique y soit pour quelque chose. Il a donc mis en garde contre les risques d'épidémie de dengue hémorragique. La Révolution offre d'inquiétants parallèles avec le présent Apparemment, au Mexique, il n'y a donc plus que le gouvernement fédéral pour douter qu'il faille faire du changement climatique une priorité de sécurité nationale. On dispose pourtant de plus en plus d'éléments qui montrent qu'il ne s'agit plus seulement d'atténuer le phénomène, mais bien de s'y adapter. La survie même de notre société est en jeu. Car les transformations liées aux climats sont au coeur de l'histoire mexicaine, à en croire la Brève histoire de la sécheresse au Mexique, d'Enrique Florescano, publiée en 1995. Il existe certes de nombreuses analyses pour expliquer les guerres d'indépendance et la Révolution [de 1910], mais ce livre démontre que les épisodes de sécheresse ont été des facteurs très importants de mécontentement social, et par là même d'insurrection. Pour ce qui est de la guerre d'indépendance, il s'est produit une forte sécheresse à partir de la fin du xviiie siècle, puis entre 1808 et 1811. La hausse des prix et la famine ont exacerbé "un grand malaise social latent dans la société coloniale". Ce malaise a trouvé forme dans le discours révolutionnaire de Miguel Hidalgo [considéré comme le père de l'indépendance mexicaine]. La Révolution offre d'inquiétants parallèles avec le présent. L'historien explique que pendant les dix dernières années du régime de Porfirio Díaz [1876-1910] la sécheresse fut un phénomène quasi national, et prépondérant dans le nord du pays, d'où devait partir le soulèvement armé. Beaucoup de récoltes ont été perdues, le bétail a dépéri, ce qui a entraîné une hausse des prix alimentaires. "On observe une étroite corrélation entre la sécheresse et l'augmentation de la violence dans les villes et les campagnes", note encore Florescano. Voilà qui n'est pas sans évoquer la situation actuelle. Aujourd'hui, les experts observent déjà au Mexique des transformations radicales liées au climat, manifestement durables, ce qui rend prioritaires des stratégies d'adaptation aux trois échelons [municipal, des Etats et fédéral] des pouvoirs publics. La crise économique a aggravé la faim dans le monde en 2009, nous informe l'Organisation des Nations unies pour l'alimentation et l'agriculture (FAO). Ce fléau touche désormais 1 milliard d'individus. Le changement climatique pourrait facilement faire doubler ce chiffre en quelques décennies. La faim est déjà un problème réel dans certains quartiers de Mexico. La municipalité a dû installer 300 soupes populaires, qui représentent pour certains individus le seul repas de la journée. Agir dès aujourd'hui pour nous adapter à l'évolution du climat nous donnera un espace pour éviter de revivre les drames du passé. Nous avons la technologie et l'argent pour le faire - nous dépensons des milliards depuis des décennies pour lutter contre le narcotrafic, une guerre perdue d'avance comme le fut celle menée aux Etats-Unis contre les trafiquants d'alcool lors de la Prohibition. Ces immenses ressources pourraient être investies plus utilement dans une autre guerre : contre la faim. Reste à savoir si nous avons la volonté politique nécessaire. ALFREDO NARVAEZ LOZANO ARGENTINE - La pampa, nouveau désert (Buenos Aires) - DE STROEDER (province de Buenos Aires) Les exploitations sont toujours là, séparées les unes des autres par des clôtures de barbelés, mais elles ont l'air comme mortes. Pas le moindre brin d'herbe n'y pousse, pas le moindre animal n'y paît. Les vaches ont crevé, et le vent continue à soulever des tonnes de poussière de sols qui n'abritent plus aucune vie. Quatre années de sécheresse ont façonné ce paysage de désolation. La région de Stroeder, à 880 kilomètres de la capitale, dans l'extrême sud de la province de Buenos Aires, est l'une des plus touchées par la pénurie d'eau [voir carte]. Ici, 70 des 284 exploitations ont été abandonnées, selon les chiffres de l'Association rurale de Stroeder. "Ce sont des terres où il n'y a plus rien, plus aucune activité", explique son président, Nelson Madarieta. En quatre ans, le volume des précipitations a diminué de plus de moitié. Un véritable drame, pour cette localité d'un peu moins de 2 000 habitants. En 2004-2005, Stroeder comptait environ 96 000 têtes de bétail. Aujourd'hui, elle n'en a plus que 30 000. Face au manque d'herbe et dépourvus de moyens pour acheter des aliments pour leurs bêtes, certains éleveurs en ont été réduits à vendre leurs vaches 300 pesos [53 euros] par tête, même pas le prix d'une paire de chaussures de sport de marque. "Le pire, c'est que les gens se retrouvent sans rien", poursuit Madarieta. Certains n'ont pas d'autre issue que de fermer leur exploitation. Ricardo Schmidt, 63 ans, est de ceux-là. "J'avais 100 vaches reproductrices. Je les ai vendues parce que je ne pouvais plus les nourrir, raconte-t-il. Je n'avais pas d'autre solution, autrement elles auraient crevé." Avant d'en arriver là, il a dépensé environ 50 000 pesos [8 800 euros] en aliments, mais en vain. "En ce moment, j'ai arrêté l'exploitation. Je ne produis plus", raconte-t-il, résigné. Dans sa famille, on était éleveur de père en fils. Juan Carlos Hecker est en colère mais bien déterminé à résister. Sa maison est entourée de montagnes de sable qui se sont formées du fait d'une érosion due à une conjonction de facteurs - sécheresse, vents violents, surpâturage et labours qu'implique l'agriculture traditionnelle. C'est un paysage que l'on retrouve sur plusieurs centaines d'hectares dans la région de Stroeder. On voit même des barrières ensevelies sous le sable. Hecker a vu "s'envoler" ainsi plus de 100 hectares. Des 450 têtes de bétail qu'il possédait, il lui en reste environ 180. Mais il est désormais lourdement endetté et a beaucoup de mal à maintenir en activité ce qui reste de son exploitation. "Je reste à flot grâce à l'aide de ma famille et de mes amis", explique-t-il. Lorsque nous nous sommes rendus sur son exploitation, il était en train d'incinérer une vache. "J'ai 52 ans. J'ai été éleveur toute ma vie. Qu'est-ce que je pourrais faire d'autre ? Si je n'abandonne pas, c'est à cause de mon fils. Il dit que ça va bien finir par changer." Comme beaucoup le soulignent, ici, ce sont les jeunes qui poussent leurs parents à continuer malgré tout. FERNANDO BERTELLO ÉTATS-UNIS - Obama et les 40 pollueurs
Dongfang Zaobao (Oriental Morning Post)
QUOTAS - Créons un marché interne
Zhongguo Huanjing Bao
ASEAN - Un peu de vert sur la route des épices
The Straits Times
VIETNAM - La mer, ce "nouvel ennemi" du peuple
Vietnam Net Bridge
The Dominion Post
The Guardian
O Estado de São Paulo
Nexos
La Nación
Salon
(San Francisco) - Connie Hedegaard, la ministre du Climat danoise, qui présidera la conférence de Copenhague, a récemment affirmé que le président américain Barack Obama doit faire davantage pour le climat. "Difficile d'imaginer qu'il recevra le prix Nobel de la paix à Oslo le 10 décembre et qu'il arrivera ensuite les mains vides à Copenhague", a-t-elle dit. Mais, d'ici là, parvenir à arracher au Congrès un projet de loi ambitieux pour lutter contre le changement climatique, comme il le souhaite [voir encadré], relève de la mission impossible. La Maison-Blanche consacre plutôt son énergie au dossier de la santé.
C'est ce qui arrive quand on essaie de tout faire à la fois : les puissants lobbyistes de l'industrie reprennent l'initiative parce que le temps manque pour faire contrepoids. Engagé sur différents fronts, le président ne peut pas mobiliser l'opinion publique en faveur de l'un de ses projets en particulier. Les progressistes (qui ont déjà du mal à se faire entendre même dans de meilleures circonstances) sont inaudibles s'ils prennent la parole tous à la fois.
Le projet de loi sur le climat avance au Congrès, mais les grands pollueurs en ont largement déterminé le contenu. La loi sur le changement climatique telle qu'elle a été adoptée par la Chambre des représentants en juin dernier prévoit la mise sur pied d'un marché des droits à polluer qui sera lancé par l'attribution gratuite de 85 % des permis d'émissions aux plus grands pollueurs du pays. Le quota qu'elle propose ne permettrait de réduire les émissions de gaz à effet de serre que de 2 à 4 % d'ici 2020 par rapport à l'année de référence 1990 [du protocole de Kyoto]. Le projet de loi présenté au Sénat est plus ambitieux, mais ses objectifs restent beaucoup trop modestes. Pourquoi de si pauvres avancées ? Parce que les producteurs de charbon, de schiste bitumineux et de pétrole, les grands industriels et les fournisseurs d'énergie - les grands pollueurs - ont battu en brèche les propositions plus ambitieuses. Dans ce dossier, les seuls à pouvoir vraiment faire contrepoids sont les industries qui profiteraient d'une législation plus stricte - notamment le secteur du nucléaire et les fabricants d'éthanol, ainsi que la poignée d'entreprises qui ont investi dans les filières éolienne et solaire ou dans l'énergie tirée de la biomasse. Mais elles ne sont pas de taille à affronter les grands pollueurs. Et elles n'oeuvrent pas nécessairement toujours dans l'intérêt de la planète.
Certes, la Maison-Blanche menace discrètement les grands pollueurs de laisser l'Agence fédérale de protection de l'environnement (EPA) multiplier les contrôles pour les convaincre de soutenir son projet de loi. Mais ce n'est pas une véritable menace. Les grands pollueurs savent très bien qu'ils peuvent empêcher l'EPA d'agir pendant plusieurs années en multipliant les litiges.
Alors, voici ma suggestion : la Maison-Blanche devrait dire au Congrès qu'elle place la barre plus haut dans la lutte contre le changement climatique, mais que, dans le même temps, elle remet à plus tard l'adoption de lois en la matière - lorsque le public pourra concentrer son attention sur le sujet. En d'autres termes, pas avant que le président n'ait sur son bureau une loi sur la santé qui en vaille la peine. Il vaut mieux se présenter à Copenhague en ayant manifesté un engagement fort en faveur de la réduction des émissions - même si cela signifie pour l'instant arriver les mains vides - que de s'y rendre en ayant adopté en vitesse une loi inefficace.
ROBERT REICH
MODÈLE - Texas et Californie, le match (New York) - Le Texas ne s'embarrasse guère de subtilités en matière environnementale. Son gouverneur, le républicain Rick Perry, s'en prend à l'Agence fédérale de protection de l'environnement chaque fois qu'il en a l'occasion. Récemment, il a qualifié de "monstruosité législative" le projet de loi sur le climat approuvé par la Chambre des représentants. Cela n'a pourtant pas empêché son Etat de devenir le premier producteur national d'énergie éolienne. Des promoteurs couvrent allègrement de turbines géantes les mesas désertes de l'ouest du Texas et, au mois de septembre 2009, la plus grande ferme éolienne du monde est entrée en service dans cet Etat. Aujourd'hui, le Texas possède une capacité éolienne trois fois supérieure à celle de l'Iowa, qui se range à la deuxième place du classement des Etats américains dans ce domaine. Ces succès placent l'Etat de M. Perry dans une situation paradoxale : dans la course aux énergies propres, le Texas se retrouve au coude-à-coude avec la Californie. Cette dernière, qui s'est jetée tête baissée dans l'énergie solaire, est de loin la championne nationale en la matière. En outre, elle mène une politique volontariste visant à améliorer son efficacité énergétique. En l'absence d'une stratégie fédérale destinée à promouvoir les énergies propres et à lutter contre le changement climatique, le Texas et la Californie jouent aujourd'hui le rôle de laboratoires. Et ce à l'heure où le Congrès réfléchit aux meilleures manières d'accélérer l'exploitation des technologies renouvelables - avec le soutien total du gouvernement Obama. "Les politiques qui vont être lancées resteront en place pendant des décennies. Nous voulons et devons être sûrs que les responsables politiques ont bien réfléchi à la question et qu'ils comprennent qu'il existe plusieurs façons de faire", souligne Michael Webber, directeur associé du Center for International Energy and Environmental Policy de l'université du Texas. Le secret du Texas, outre ses vents forts et son importante superficie, c'est la faiblesse de sa réglementation. Les promoteurs de l'éolien se félicitent de ne pas avoir besoin de multiples autorisations de l'Etat pour construire un parc. Ils doivent principalement s'adresser aux autorités locales, généralement conciliantes (après tout, le Texas n'a jamais rien eu contre l'exploitation énergétique...). La Californie, en revanche, n'encourage guère cette énergie. Dans les années 1980, elle a construit plusieurs grands parcs d'éoliennes, mais elle a ralenti son effort depuis en raison du coût et des délais imposés par sa réglementation environnementale draconienne. Les premières turbines ont en effet tué des milliers d'oiseaux, ce qui est resté dans les mémoires. L'énergie solaire, certes plus chère que l'éolienne, est désormais favorisée. On peut couvrir de panneaux photovoltaïques les toits des maisons et des entreprises, ce qui en fait une solution économique sur le plan foncier. Si les constructeurs de toitures solaires n'échappent pas à la paperasserie, ils sont cependant largement épargnés par les imbroglios administratifs (signalons tout de même qu'un procès typiquement californien oppose actuellement les défenseurs des arbres aux promoteurs de l'énergie solaire). Les questions législatives ont fait la différence C'est aussi en raison des obstacles dus à une réglementation particulièrement fournie que la Californie a décidé d'améliorer son efficacité énergétique, manière somme toute la plus économique de réduire sa dépendance vis-à-vis du pétrole et du gaz. Des normes strictes y encadrent les caractéristiques des bâtiments, ainsi que la consommation énergétique des appareils ménagers et des ampoules électriques. Ces mesures, largement ignorées au Texas, sont bien adaptées en Californie, où la population est habituée aux réglementations. Mais, au-delà de ces différences considérables, le Texas et la Californie partagent une approche commune : les deux Etats se sont fixé des objectifs énergétiques et imposent qu'une certaine proportion de leur électricité provienne d'énergies renouvelables. Une telle politique est aujourd'hui en place dans près de la moitié des Etats américains et le Congrès réfléchit à la généraliser à l'échelle du pays. Le Sénat planche, pour sa part, sur un texte de loi sur l'énergie incluant un objectif analogue bien que légèrement moins strict. Là encore, le Texas et la Californie ont emprunté des voies très différentes. Le Texas s'est fixé des objectifs ambitieux dès 1999 (lorsque son gouverneur s'appelait George W. Bush) et les a rapidement dépassés. L'année dernière, 5 % de l'électricité de l'Etat étaient issus de l'éolien. Quant à la Californie, elle a placé d'emblée la barre très haut, exigeant que ses fournisseurs produisent 20 % de leur électricité à partir d'énergies renouvelables en 2010. Mais les résultats obtenus jusqu'ici permettent de prévoir qu'ils n'y parviendront pas. Là encore, la question de la réglementation a fait la différence. La Californie se démène pour pouvoir construire de grandes centrales thermosolaires dans le désert, auxquelles s'opposent parfois les organisations écologistes - ces mêmes groupes qui veulent lutter contre le changement climatique. Au Texas, les animaux et les oiseaux ont beau y laisser quelques plumes, les projets sont menés à bonne fin. Installer un réseau de distribution est beaucoup plus facile au Texas, estiment les spécialistes, même si, en Californie du Sud, certains projets avancent lentement mais sûrement. De grands progrès restent quoi qu'il en soit nécessaires dans tous les Etats, si les Etats-Unis entendent transformer leur approvisionnement énergétique. Aujourd'hui, les énergies renouvelables permettent tout juste de produire 9,5 % de l'électricité du pays - dans une large mesure grâce à des centrales hydroélectriques vieilles de plusieurs décennies. A l'heure où les Etats et le gouvernement fédéral accélèrent le pas, certains vont préférer la stratégie texane, d'autres le modèle californien. Tous deux présentent des avantages, chacun à sa manière. KATE GALBRAITH AFRIQUE - Prêter l'oreille aux poètes (Paris) - Il est une photographie prégnante dans la mémoire collective outre-Rhin. Elle représente le paquebot Eduard-Bohlen, dont l'épave s'enfonce depuis plus d'un siècle dans le sable du désert du Namib, et qui s'est échoué par temps de brouillard, le 5 septembre 1909, sur la côte de ce qui s'appelait alors Deutsch-Südwestafrika. Aujourd'hui, l'épave se trouve à plus de 200 mètres à l'intérieur des terres, le désert ayant gagné du terrain sur l'océan. L'Eduard-Bohlen, fleuron de la compagnie Woermann-Linie, de Hambourg, desservait la colonie allemande depuis 1891. Il fut converti en bateau négrier au cours de la guerre d'extermination menée par l'administration allemande contre les Hereros et les Namas, rétifs à la pax germanica. Quelle leçon pourrait-on tirer du destin tragique de ce preux chevalier de la prédation coloniale ? Il apparaîtrait, aux yeux d'un historien du siècle prochain, comme un corps étranger chu d'une autre planète et, pour les générations futures, comme le vestige incongru d'un modèle de société glouton, irresponsable et suicidaire. La fin pathétique de l'Eduard-Bohlen nous montre que les problèmes environnementaux ne sont pas si nouveaux qu'ils nous paraissent, qu'ils sont planétaires ("La Terre est une île", n'ont cessé de dire les poètes visionnaires d'hier et d'aujourd'hui, de John Donne à Edouard Glissant, en prêchant le plus souvent dans le désert) et qu'ils réclament des solutions à l'échelle mondiale. Devant l'Himalaya de maux provoqués par le réchauffement climatique et ses effets économiques, politiques et sociaux, nul n'est à l'abri. Il y va tout simplement de la survie de l'espèce humaine. Fin août 2005, les médias couvrent dans une communion planétaire le martyre des habitants de la ville de La Nouvelle-Orléans balayée par l'ouragan Katrina. Après deux ruptures de digues, huit habitants sur dix de cette ville mondialement connue pour sa culture métisse et conviviale se sont retrouvés en quelques heures sous les eaux, qui atteignirent à certains endroits une hauteur de 7,60 m. La catastrophe était prévisible. Le scénario de l'inondation avait été annoncé et décrit par le menu, dès octobre 2001, par la revue Scientific American. Bien sûr, l'analyse des conséquences sociales a révélé que l'ouragan Katrina n'a pas frappé les gens de manière uniforme : près de la moitié des quartiers détruits étaient habités par des Africains-Américains, alors que ces derniers ne représentaient qu'un quart de la population dans les quartiers épargnés par la catastrophe. Plus on est pauvre, plus on est vulnérable devant les catastrophes dites naturelles : que l'on soit un Noir en butte au chômage dans un quartier déshérité de La Nouvelle-Orléans, un Namibien menacé par l'avancée du désert ou un Inuit des grands espaces hyperboréens voyant son biotope fondre comme neige au soleil. S'inspirer des pratiques locales fondées sur la responsabilité C'est de cette catastrophe - prévisible et donc évitable - que date le concept de "réfugié climatique", qui désigne une personne chassée de chez elle par un événement météorologique. A coup sûr, ce concept va prospérer rapidement dans les mois et les années à venir. Et, aussi longtemps que durera la fringale de ressources naturelles, de nouveaux ouragans Katrina frapperont les villes côtières, de nouveaux Eduard-Bohlen se figeront dans le sable, de nouvelles émeutes de la faim surgiront de manière fulgurante et de nouveaux conflits opposeront autochtones et allogènes. Bientôt, la distinction entre les réfugiés fuyant la guerre et ceux détalant devant un fléau naturel, entre les réfugiés politiques et les réfugiés climatiques, ne sera plus pertinente tant se multiplieront de nouvelles guerres pour les énergies fossiles, pour l'eau potable... et pour tout le reste. Les plus optimistes avancent que les institutions politiques sont en train de prendre conscience du problème et que les populations se familiarisent avec de bons changements de comportement. Ils oublient le point le plus essentiel : l'absence de consensus. Si les climatologues et les défenseurs de la nature écrivent leurs articles et leurs ouvrages à la première personne du pluriel, on n'entend plus ailleurs le "nous" de "Nous sommes responsables de tel cataclysme" ou de "Nous devons sauver notre monde". Ni dans les Parlements ni dans les ministères, et encore moins dans les conseils d'administration des multinationales. Là où les grandes décisions se prennent, l'humanité reste une abstraction ! Seuls comptent les intérêts à court terme, renforcés par la diversité des arrière-plans culturels, des atouts économiques et des ressources politiques propres à chaque pays. Un cultivateur du Burkina Faso et un PDG de Houston vivent dans des univers sociaux différents. Ils ont des intérêts divergents, et ne se sentent pas concernés par le même "nous". En attendant de trouver un consensus, les négociations mondiales sur le climat tourneront à la foire d'empoigne. J'attends du sommet de Copenhague quelques raisons d'espérer. Nous sommes à la croisée des chemins. Trois solutions se présentent à nous : a) continuer comme si de rien n'était, et ainsi aggraver la situation critique de la planète ou, pis, foncer droit dans le mur; b) mettre en pratique la "modeste proposition" faite par l'écrivain irlandais Jonathan Swift dès 1729. Dans ce pamphlet, il proposait de réduire la misère et la surpopulation [dans le contexte de l'Irlande du xviiie siècle] en se servant des nourrissons comme source d'alimentation; c) redéfinir nos modèles de société, nos manières d'être, de vivre et de penser. Prêter l'oreille aux prophéties des poètes. Plus concrètement, cette troisième voie - qui est la plus ardue et la plus raisonnable - consiste à s'inspirer de pratiques locales, qui se fondent sur l'éthique et la responsabilité citoyenne, comme la politique énergétique norvégienne et celle du transport helvétique. Et c'est ainsi que les voix de brasier des poètes rendront sonore le silence des réfugiés de tous les fléaux. ABDOURAHMAN A. WABERI KENYA - Un vent d'espoir sur l'Afrique (Johannesburg) - Trois cent soixante-cinq éoliennes géantes vont être installées dans le désert du lac Turkana, dans le nord du Kenya, qui a servi de décor au film The Constant Gardener [Fernando Meirelles, 2004]. Cet ensemble constituera le plus grand parc éolien du continent : une fois achevé, en 2012, ce projet de 533 millions de livres [environ 600 millions d'euros] aura une capacité de 300 MW, soit le quart de la production d'électricité actuelle du pays. Jusqu'à présent, les pays d'Afrique du Nord, le Maroc et l'Egypte par exemple, étaient les seuls du continent à faire appel à l'énergie éolienne à des fins commerciales sur une grande échelle. Les gouvernements du sud du Sahara commencent cependant à prendre conscience que l'énergie éolienne pourrait permettre de satisfaire l'accroissement de la demande en électricité et mettre fin aux coupures de courant. Les projets commencent à fleurir. L'Ethiopie a passé commande d'un parc éolien de 120 MW, un projet de 190 millions de livres [environ 210 millions d'euros], dans la région du Tigré, qui représentera 15 % de sa capacité de production d'électricité actuelle, et a l'intention d'en construire plusieurs autres. La Tanzanie a annoncé deux projets dans la région de Singida, qui devraient générer à eux deux au moins 100 MW, soit plus de 10 % de la production actuelle du pays. Le Kenya tente de montrer la voie. Outre le projet Turkana, qui est soutenu par la Banque africaine de développement, des investisseurs privés se proposent de construire un deuxième parc éolien près de Naivasha. Les pasteurs massaïs et les coureurs de fond de haut niveau habitués à braver les vents glacés qui soufflent sur les pentes des Ngong Hills, près de Nairobi, ont déjà de la compagnie : six éoliennes de 50 mètres de haut de la société danoise Vestas ont été installées en juillet et devaient produire 5,1 MW à partir du mois d'août. Une dizaine d'autres seront mises en service sur le site dans les années à venir. L'électricité du Kenya est déjà très verte, selon les normes mondiales. La production de KenGen, la compagnie publique d'électricité, provient à près de 75 % de centrales hydroélectriques et à 11 % de centrales géothermiques, qui fonctionnent à partir des roches brûlantes situées sous la vallée du Rift. Or moins d'un Kenyan sur dix a accès à l'électricité, alors que la demande augmente rapidement, en particulier dans les zones rurales et les entreprises. Pour le court terme, KenGen fait appel à des carburants fossiles importés, le charbon et le fioul, par exemple, mais le gouvernement entend dans les cinq ans réduire de façon draconienne sa dépendance vis-à-vis de l'hydroélectricité en augmentant sa capacité géothermique (de 500 MW) et sa capacité éolienne (de 800 MW). Ces solutions sont non seulement plus vertes que le charbon ou le fioul, mais aussi meilleur marché à long terme, du fait de la géologie et du climat du pays. Il y a cependant de grands obstacles logistiques à surmonter. Le site de Loiyangalani se trouve à près de 480 kilomètres au nord de Nairobi. L'installation des éoliennes nécessitera plusieurs milliers de rotations en camion. Il faudra donc envisager d'améliorer les ponts et les routes situés le long du trajet. La sécurité constitue également un problème : la région est truffée de bandits, et nombre d'autochtones sont armés d'AK-47. Il sera également nécessaire de construire une ligne à haute tension et des stations intermédiaires pour connecter le parc éolien au réseau national. XAN RICE Des bénéfices immédiats pour le monde arabe (Beyrouth) - Est-il vrai que la lutte contre le changement climatique entrave les efforts du monde arabe pour faire face à des problèmes urgents comme la pauvreté, la faim, la rareté de l'eau et la pollution ? D'aucuns soulèvent cette question en partant du postulat que le problème du réchauffement est un luxe que des pays en développement, y compris ceux du monde arabe, n'ont pas la capacité ni les moyens financiers d'assumer. Certains vont même jusqu'à affirmer que la lutte contre le changement climatique est un complot contre le développement et la modernisation de ces pays. La réalité est tout autre. Si les efforts des pays développés pour combattre le changement climatique sont considérés comme un investissement à long terme, le monde arabe, lui, peut en retirer des bénéfices immédiats. Les pays développés ne sont pas confrontés à des problèmes urgents d'approvisionnement en eau et de production alimentaire. La plupart ont adopté des mesures efficaces de gestion de l'eau et de lutte contre la pollution de l'air et des sols. Dans les pays arabes, en revanche, ces problèmes représentent des défis actuels, mais les plans de lutte contre le changement climatique peuvent réduire leur impact et, en ce sens, la participation à une action mondiale serait avantageuse pour tous. L'air des villes connaît lui aussi une nette détérioration Comme le confirment les données scientifiques, le changement climatique aura pour effet majeur d'accroître la sécheresse et de réduire l'approvisionnement en eau douce. Les pays arabes sont situés dans une région particulièrement exposée. Indépendamment du réchauffement planétaire, ils souffrent déjà d'une pénurie d'eau qui, d'ici à 2025, pourrait devenir aiguë. Ce processus est accéléré par des problèmes liés à l'activité humaine, en particulier la multiplication des barrages et l'emploi de pratiques d'irrigation non appropriées, qui se conjuguent aux effets graduels des transformations du climat. Il convient de préciser que 80 % des ressources en eau douce du monde arabe sont absorbées par l'irrigation et que plus de la moitié de cette eau est gaspillée du fait de l'utilisation de méthodes archaïques. Qui plus est, dans certains pays tributaires du dessalement, la consommation d'eau par habitant dépasse tous les niveaux internationaux. Au Liban, l'un des très rares pays arabes à avoir des ressources en eau, une grande partie des précipitations finit dans la mer. Ces dernières décennies, la qualité de plus de la moitié des terres agricoles du monde arabe s'est détériorée et, si cette tendance perdure, la production alimentaire risque d'être insuffisante. La qualité de l'air dans les villes arabes connaît elle aussi une nette détérioration, les niveaux de pollution étant six fois plus élevés que les limites légales, avec tous les effets nocifs qui en résultent pour la santé et l'environnement. Selon les estimations de la Banque mondiale, le coût annuel des problèmes de santé liés à la pollution atmosphérique causée par les transports - sans parler de l'industrie et de la production d'électricité - est supérieur à 5 milliards de dollars dans les pays arabes. Bien que les gaz à effet de serre qui sont à l'origine du réchauffement planétaire, en particulier le dioxyde de carbone, ne menacent pas directement la santé de l'homme, la réduction de leurs émissions entraînera une baisse d'autres émissions qui, elles, mettent la santé en danger. Le réchauffement planétaire est incontestable. Les mesures prises pour en atténuer les effets et pour s'y adapter ne constituent pas des obstacles mais plutôt des chances à saisir. Elles auront des bénéfices immédiats pour les pays arabes, que ce soit à travers les programmes de gestion des ressources naturelles et de développement d'énergies renouvelables ou par le biais de plans d'aménagement des zones côtières et de lutte contre la pollution de l'air et de l'eau. NAJIB SAAB ARCTIQUE - Au rencart, nos brise-glace (Moscou) - Mi-juillet, deux navires commerciaux de la compagnie maritime allemande Beluga ont quitté la ville d'Ulsan, en Corée du Sud, avec à leur bord 3 500 tonnes de matériaux de construction, direction Rotterdam, aux Pays-Bas. En chemin, dans la baie de l'Ob [grand fleuve sibérien se jetant dans l'océan Arctique], ils ont déchargé une partie de leur cargaison, des équipements destinés à la centrale hydroélectrique de Sourgout [ville située en amont sur l'Ob, dans la région de Tioumen]. Ces navires étaient des pionniers, au véritable sens du terme. Autrefois, il aurait été impensable d'entamer pareil trajet sans être accompagné de brise-glace. Aujourd'hui, ces derniers ne les ont accompagnés que sur une brève portion du parcours, la plus septentrionale du voyage, et seulement au cas où. "A partir de la fin août, les navires ont rencontré de petits icebergs et une fine banquise. Les brise-glace atomiques 50-Let-Pobedy et Rossia étaient là en cas de problème, car c'était notre première traversée commerciale par la route maritime du Nord. Mais la météo a été si favorable que nos navires de classe arctique E3 auraient pu passer seuls", explique Niels Stolberg, président de la compagnie Beluga Shipping. Ainsi donc, la route maritime du Nord est en train de dégeler. Que devons-nous en attendre ? Cette route qui longe les rivages nord de la Russie, depuis l'entrée dans la mer de Kara jusqu'au détroit de Béring, est officiellement ouverte à la navigation internationale depuis 1991, mais les glaces de l'Arctique ont freiné son succès. Sans elles, cette voie serait une autoroute. Elle est presque deux fois plus courte que les autres trajets reliant l'Europe à l'Extrême-Orient. Pour relier Hambourg (Allemagne) à Yokohama (Japon) par le canal de Suez, on doit parcourir 20 500 kilomètres, contre 12 000 par la route du Nord. Soit dix jours de gagnés. En outre, Suez affiche complet. Or le volume d'échanges entre l'Europe et l'Asie ne cesse d'augmenter (il sera encore multiplié par 1,5 en 2010, selon le Fonds monétaire international). Enfin, si l'exploitation du plateau continental arctique (qui pourrait renfermer de grandes quantités d'hydrocarbures) est engagée, la route maritime du Nord deviendra indispensable. La fonte des glaces va-t-elle se poursuivre ? "Depuis la fin du xxe siècle, on assiste à une transformation de la banquise. La voie est d'abord restée dégagée durant la période estivale de navigation, en août et septembre. Le minimum de glace que nous ayons observé remonte à 2007. Depuis, la quantité a légèrement augmenté, mais il est difficile de prédire l'évolution des glaces au cours des prochaines années. La route sera ouverte à la navigation, mais les détroits de Long ou de Vilkitski resteront toujours des endroits où l'assistance des brise-glace sera nécessaire", estime Vladimir Sokolov, de l'Institut de recherches scientifiques sur l'Arctique et l'Antarctique (IRSAA). Une voie maritime que seule la russie est capable d'entretenir Tout le monde n'est pas de cet avis. Ainsi, les experts de la Conférence mondiale sur le changement climatique pensent que, d'ici dix ou quinze ans, la limite de la calotte glaciaire se sera déplacée de 100 kilomètres vers le nord, laissant la voie dégagée toute l'année. Si cela se confirme, le trafic s'y développera dans des proportions considérables. La Russie va-t-elle en bénéficier ? A ce jour, elle est rémunérée pour ses brise-glace, à raison de 35 ou 40 dollars par mille marin. Le réchauffement rendrait ce service inutile. Cela dit, il restera impossible de s'en passer totalement dans un proche avenir. N'oublions pas les mises en garde des spécialistes de l'IRSAA. En outre, il existe de nombreux autres moyens pour le pays de gagner de l'argent : activités portuaires, aide à la navigation, bulletins météo, informations sur les tempêtes de neige, rapports sur l'état de la glace, services d'urgence et de secours. Mais, surtout, il deviendra possible de faire payer le transit par les eaux territoriales russes. "La zone d'exclusion des 12 milles (22,2 km) est un espace interdit aux navires étrangers. Il y a aussi la zone économique des 200 milles, dans laquelle ils sont autorisés à passer sous réserve d'un accord de l'administration de la route maritime du Nord, mais toute recherche scientifique ou prospection géophysique y est interdite", rappelle Sergueï Frolov, directeur du laboratoire d'étude de la navigation polaire de l'IRSAA. "Par ailleurs, emprunter cette voie nécessitera des infrastructures que seule la Russie est capable de mettre en place." Tout est cependant loin d'être parfait. Pour l'instant, seule la partie occidentale de la route fonctionne bien. Elle sert à transporter métaux non ferreux et hydrocarbures vers les marchés d'Europe de l'Ouest. Mais la partie orientale ressemble à un désert blanc. Le suivi de la glace et de l'hydrologie le long de la route maritime du Nord n'est plus mené comme il le devrait, les prévisions météo sont incomplètes, les ports et escales à l'abandon, de nombreux signaux de navigation ont carrément disparu. Malgré tout, Dmitri Kouvaline, directeur de laboratoire à l'Institut de prospective économique de l'Académie des sciences, estime que ces problèmes pourraient être assez vite réglés. "En dix ou quinze ans, la demande intérieure, qui ne va cesser de croître, peut permettre de les résoudre. Dans le secteur ouest, on va exploiter le pétrole et le gaz du plateau continental. A l'est aussi, il y a du pétrole et du gaz, et Roman Abramovitch [célèbre oligarque et ancien gouverneur de la Tchoukotka, région de l'extrême Nord-Est russe] a exprimé son désir de les exploiter. Au centre, nous avons déjà l'entreprise Nornickel." ALEXANDRA PONOMAREVA © 2009 Courrier international. Tous droits réservés.
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