vendredi 27 novembre 2009

SPÉCIALE MAGAZINE - Climat : Copenhague et après 1/3

POURQUOI LA PLANÈTE SERA PEUT-ÊTRE SAUVÉE...

Courrier international, no. 994 - Magazine, jeudi, 19 novembre 2009, p. 18

COPENHAGUE 2009 - Un sommet plus important que Yalta !

Mother Jones

(San Francisco) - Les nations du monde se réunissent à Copenhague du 7 au 18 décembre 2009 pour une conférence sur le climat qui est annoncée comme celle de la dernière chance. Ça passe ou ça casse, marche ou crève ou peut-être, littéralement, nage ou coule. De fait, on peut avancer sans se tromper qu'il s'agit de la réunion diplomatique la plus importante de l'histoire du monde. Versailles, d'accord, Yalta, oui, oui - mais leur échec ne s'est mesuré qu'en décennies de souffrance et en millions de vies. Si on ne parvient pas à limiter le changement climatique, les conséquences s'étendront sur des dizaines de milliers d'années et toucheront des générations qu'on n'imagine même pas encore.

Ce qui ne veut pas dire que ces douze jours de négociations seront empreints de noblesse, faciles à suivre, ou même cohérents. Je me souviens des derniers grands pourparlers de ce type, à Kyoto, en 1997. Ils s'étaient déroulés, comme ce sera le cas à Copenhague, dans un centre de conférences situé à des kilomètres de la ville. Le lieu était devenu un monde à part où journalistes, délégués, lobbyistes de l'industrie pétrolière et représentants d'ONG se demandaient sans cesse les uns aux autres ce qui se passait. La réponse était toujours la même : on attend que les Etats-Unis et les Européens concluent un accord. Les pourparlers officiels avaient lieu dans une grande salle, mais les choses sérieuses se passaient derrière des portes closes.

La conférence semblait vouée à l'échec jusqu'à ce qu'Al Gore intervienne et demande aux négociateurs américains de "faire preuve de flexibilité". Ce fut la touche suffisante pour parvenir laborieusement à une conclusion - l'ultime délai de minuit passa, et le lendemain nous étions tous chassés de la salle pour laisser la place à un séminaire de biologie moléculaire. Personne n'avait assez d'énergie pour faire autre chose qu'applaudir faiblement le document final, que le Sénat américain ne songea ensuite même pas à ratifier. Cette fois, la délégation américaine sera dirigée par un politicien de carrière, Todd Stern. Et peut-être par Hillary Clinton. Et peut-être même par Barack Obama. Et cette fois, ce n'est cependant pas la division Etats-Unis - Europe qui sera le plus grand défi, loin de là. Cette fois, le monde en développement a ses propres exigences et il sera donc beaucoup plus difficile de parvenir à un accord à Copenhague que ça n'avait été le cas à Kyoto. Car le monde en développement aimerait... se développer ! Et le moyen le plus évident pour lui d'y parvenir, c'est de brûler du charbon. Et il a un argument moral imparable : vous êtes devenus riches en brûlant du charbon, pourquoi ne pourrions-nous pas en faire autant ?

Vous imaginez le jeu d'échecs à plusieurs niveaux qui s'ensuit : tout le monde est sous la pression de quelqu'un d'autre et il faudra attendre les derniers jours, et plus probablement l'année 2010, avant que les négociateurs trouvent un terrain d'entente. A savoir, peut-être, un traité qui nous emmènerait dans la direction dont la plupart des gens parlent depuis cinq ans : maintenir l'augmentation des températures sous la barre des 2 °C et la concentration de gaz carbonique dans l'atmosphère à 450 ppm [parties par million]. Sauf qu'il y a deux facteurs - la physique et la chimie - qui sèment une belle pagaille dans cette affaire. Tout a commencé en 2007, quand l'Arctique s'est mis à fondre à une vitesse soudaine et inattendue, avec trente ans d'avance sur les prévisions scientifiques les plus pessimistes - tout ça après une augmentation de la température mondiale de 0,8 °C, soit un peu moins de la moitié des 2 °C vers lesquels on semble, au mieux, s'orienter à Copenhague. Quand les négociations d'après Kyoto avaient commencé voilà cinq ou six ans, on ne pensait pas que 1 °C suffirait à causer de vrais dégâts, mais on sait aujourd'hui que ce n'est pas le cas.

Quelques mois après la fonte brutale des glaces, en 2007, nos climatologues les plus éminents nous ont donné un nouvel objectif : 350 ppm. James Hansen, de la NASA, et son équipe ont publié une série d'articles montrant que toute concentration de dioxyde de carbone dans l'atmosphère supérieure à ce chiffre ne semblait pas compatible avec "une planète similaire à celle où la civilisation s'est développée et à laquelle la vie sur Terre est adaptée". Ça prendra du temps - la banquise de l'Antarctique fait des kilomètres d'épaisseur -, mais les choses changent déjà. Les cas de dengue, une maladie infectieuse transmise par des moustiques qui étendent rapidement leur rayon d'action dans notre monde en réchauffement, se sont multipliés par 30 au cours des cinquante dernières années (selon un récent rapport, aux Etats-Unis elle pourrait toucher plus de la moitié des Etats). Les glaciers fondent sous nos yeux. La sécheresse devient endémique dans le sud-ouest des Etats-Unis et dans certaines parties de l'Australie. Pendant ce temps, comme toute l'eau qui s'évapore doit finir par retomber, les déluges empirent (comme ces pluies record qui ont chassé 1 million de personnes de chez elles en Inde en 2006). Voilà le genre de problèmes qu'on a déjà avec les 387 ppm d'aujourd'hui. Vous tenez vraiment à viser les 450 ?

Notons que parvenir à fixer une concentration de 350 ppm n'est pas impossible. Hansen et son équipe ont montré que, dans ce cadre, nous pourrions brûler la plus grande partie du pétrole qui est encore dans les puits (mais pas les sables bitumineux, désolé pour le Canada) ; si nous arrêtions de brûler du charbon d'ici à 2030, et plus tôt dans le monde développé, les forêts et les océans finiraient par assimiler suffisamment de gaz carbonique pour nous ramener à un niveau de sécurité. Il y aurait certes des dégâts - on n'a pas de méthode pour regeler l'Arctique -, mais on échapperait à la catastrophe. Il faudrait pour cela que toute la planète s'emploie pendant une génération à sortir des énergies fossiles. Il faudrait payer un prix politique énorme. Il faudrait viser une solution, pas un accord.


ENJEUX - Les thèmes de la négociation

Courrier international

(Paris) - 1. Objectifs à long terme (2050)

Le grand espoir est un accord pour limiter, à long terme, le réchauffement climatique à 2 °C. Et que, pour y arriver, les pays industrialisés s'engagent à réduire leurs émissions de gaz à effet de serre d'au moins 80 % d'ici à 2050. Un pas décisif serait de s'entendre pour réduire les émissions mondiales de 50 % d'ici à 2050. Les pays en développement devront dans ce cas limiter eux aussi leurs émissions.

2. Objectifs à moyen terme (2020)

Selon les scientifiques, les pays industrialisés doivent réduire, d'ici à 2020, leurs émissions de 25 à 40 % par rapport au niveau de 1990. Les engagements actuels sont limités à 13 % et les Etats-Unis envisagent même bien moins.

3. Croissance à faibles émissions de carbone

Il est fort probable que l'ensemble des pays s'engagent à adopter des plans de croissance à faibles émissions de carbone, les pays en développement optant pour des systèmes de lutte contre le changement climatique adaptés à chaque situation nationale (NAMA). Déjà, la Chine, l'Inde, le Mexique et l'Afrique du Sud ont élaboré des plans ambitieux pour la mise en oeuvre de solutions climatiques et énergétiques propres.

4. Réduction des émissions de carbone forestier (programme REDD)

Il s'agit de l'un des points positifs des négociations : un accord a déjà été conclu pour réduire de moitié la déforestation. Reste à savoir si le programme bénéficiera de financements.

5. Adaptation

Si l'on veut obtenir le soutien des pays les moins développés, il faut les aider à s'adapter au changement climatique. Les pays industrialisés devront s'engager à verser annuellement pour cela environ 2 à 4 milliards de dollars à partir de 2010-2012.

6. Technologies propres

Afin de stimuler l'innovation, un fonds additionnel de 2 milliards de dollars par année est nécessaire pour la recherche et le développement. Mais les questions de droits de propriété intellectuelle pourraient entraver la conclusion d'un accord.

7. Finances

Avec les objectifs de réduction des émissions, le financement des mesures adoptées demeure la question la plus épineuse. Pour accélérer la mise en oeuvre de solutions, 8 à 12 milliards de dollars devront être débloqués annuellement entre 2010 et 2012 - soit près du double des engagements déjà existants.

8. Marchés du carbone

A la fin de l'année 2012 expirent les périodes d'engagement pour le mécanisme de développement propre (Système d'échange entre pays industrialisées et en développement). Des réformes pragmatiques doivent être apportées.


Cancres, indécis et autres sceptiques

New Statesman

(Londres) - LES SEPTIQUES

De nombreux groupes de pression sont persuadés que le réchauffement climatique n'est pas lié aux activités humaines et que, quand bien même, toute tentative de lutter contre lui aurait des conséquences néfastes pour l'économie. En Australie, l'Institute of Public Affairs et le Lavoisier Group font partie de ces groupes de réflexion ancrés à droite qui émettent des doutes sur la gravité du problème. L'American Petroleum Institute a dépensé des millions de dollars pour bloquer l'adoption des programmes cap and trade [système des "droits à polluer"]. C'est également un membre actif de la coalition Energy Citizens, qui rejette toute réglementation en lien avec le réchauffement climatique. L'American Enterprise Institute s'oppose à tout projet de loi de ce type, tandis que l'American Coalition for Clean Coal Electricity fait pression contre les objectifs institutionnels.

LES CANCRES

Certains pays traînent des pieds en matière de politique environnementale. Alors que le volume de leurs émissions polluantes continue de croître, l'Australie, la Russie, le Canada et l'Arabie Saoudite ne souhaitent pas réellement parvenir à un accord.

LES MOI-D'ABORD

Etats-Unis en tête, ce groupe de pays souhaite un accord favorable aux nations industrialisées, comprenant des objectifs recommandés mais non contraignants, ce qu'on appelle le pledge and review. Ces gouvernements "s'engageront" à réduire au maximum leurs rejets polluants et à "examiner" tout accord international ainsi que leurs propres politiques environnementales. Leurs solutions de prédilection sont technologiques, impliquant par exemple les biocarburants, ou la mise en place de dispositifs comme une Bourse des "droits à polluer", le "mécanisme de développement propre" (MDP) ou le système REDD (pour la réduction des émissions issues de la déforestation et de la dégradation des forêts). Ces principes sont notamment défendus par des organisations non gouvernementales comme Conservation International, Environmental Defence Fund et Nature Conservancy. Le Conseil européen de l'industrie chimique fait partie des associations industrielles qui ont vivement critiqué le système européen de "droits à polluer", dit d'échanges de quotas d'émissions de gaz à effet de serre (European Emissions Trading Scheme).

LES INDÉCIS

Ces pays, essentiellement des membres de l'Union européenne, tendent aujourd'hui à s'aligner sur la position des Etats-Unis. Seule une poignée d'entre eux, dont le Royaume-Uni, parlent sérieusement de leur responsabilité financière aux pays en développement. Ils plaident pour l'instauration d'un marché du carbone et de mécanismes commerciaux. L'Union européenne souhaite toutefois que les pays se fixent des objectifs. Le groupe de réflexion International Policy Network est convaincu que le libre marché et les "droits à polluer" sont la solution à tous les problèmes du monde.

LES C'EST-PAS-MA-FAUTE

Mené par la Chine et l'Inde, ce groupe de pays refuse la définition d'objectifs pour les pays en développement (même si la Chine s'est dite prête à réduire ses émissions de carbone). Ces pays sont favorables au maintien du protocole de Kyoto considéré comme l'expression de la reconnaissance par les pays occidentaux de leur responsabilité historique dans le phénomène du réchauffement climatique. Ils souhaitent également que les pays occidentaux soient soumis à des objectifs exigeants. La Chine et l'Inde sont des membres importants du G77, un groupement de pays du Sud, et seront suivis par bon nombre des autres membres, pour la plupart plutôt ancrés à gauche. Les pays de l'OPEP (Organisation des pays exportateurs de pétrole) se rapprochent également de cette position. La Norvège a été la première parmi les pays développés à s'engager à réduire ses émissions polluantes de 40 % d'ici à 2020. L'ONG Oxfam considère que l'augmentation des aides destinées aux pays en développement pour faire face au réchauffement climatique sera l'un des principaux enjeux du sommet de Copenhague. L'organisation Stop Climate Chaos, qui regroupe plusieurs associations militantes, réclame la détermination de grands objectifs pour les pays riches, tout en reconnaissant que les mécanismes comme le REDD auront un rôle à jouer. Greenpeace et le WWF sont du même avis.

LES CONDAMNÉS AU CHANGEMENT

L'Alliance des petits Etats insulaires (AOSIS), représentant notamment les Maldives, l'archipel des Kiribati et une partie des Bahamas, joue à présent son va-tout. Leurs revendications : que la concentration de gaz à effet de serre dans l'atmosphère demeure inférieure à 350 ppm ; que les pays développés aient réduit d'ici à 2020 le volume de leurs émissions polluantes de 45 % par rapport au niveau de 1990 et que les pays de l'AOSIS reçoivent des aides substantielles pour faire face aux effets du réchauffement climatique. Un grand nombre de pays africains, qui seront confrontés à de graves problèmes si la hausse des températures se poursuit, exigent que les pays riches assument leurs responsabilités et demandent d'ores et déjà 200 milliards de dollars de dommages et intérêts.


Le piège de la dette climatique

National Post

(Toronto) - Il est curieux que le projet de traité qui sera discuté à Copenhague consacre à peu près le même nombre de pages à de nouveaux programmes d'aide à l'étranger qu'aux mesures de réduction des gaz à effet de serre. Ce traité a pour objectif de donner une suite au protocole de Kyoto, qui expire en 2012, et qui a été accusé par certains de n'être qu'un complot visant le transfert de richesses du Nord vers le Sud : les pays riches, incapables d'atteindre les objectifs fixés, devaient en effet "acheter des indulgences" auprès des pays pauvres. Avec Copenhague cependant, il n'y a pas de projet secret : le transfert de richesses est l'un des buts avoués de l'accord.

Bien que le brouillon du traité ne soit pour l'instant qu'une liste de mesures et d'options destinée à être raccourcie avant et pendant la conférence, il n'y a pas de doute possible quant à l'esprit du document. Dans un langage simple, il propose un arrangement en vertu duquel des pays comme le Canada garantiront pendant plusieurs décennies le versement de milliards de dollars par année aux pays en développement au titre de la "dette climatique" - c'est-à-dire pour toutes ces années où nous avons émis du CO2. Evidemment, on y parle aussi, quoique sans entrer dans les détails, d'objectifs de réduction des émissions, de limitation de la teneur atmosphérique en CO2, de l'augmentation des températures mondiales et de mesures d'adaptation aux changements climatiques inévitables. Mais le traité de Copenhague semble accorder tout autant d'importance au règlement, par les pays riches, de "dommages et intérêts climatiques" qu'aux autres mesures.

Comment faire confiance à des Nations unies sans crédibilité ?

Voici quelques-uns des éléments qui figurent dans la version en cours de discussion du traité :

-Les pays industrialisés devraient dédommager les pays en développement pour les coûts de la lutte contre le réchauffement climatique et de l'adaptation aux changements inévitables, mais également pour "les occasions manquées, la dignité, les vies, les ressources et les terres perdues" dans le processus.

-Les pays industrialisés devraient s'engager à verser au moins 0,7 % de leur PIB aux pays en développement en réparation des atteintes à la dignité et pour les souffrances endurées, et ce sans compter les engagements préexistants en matière d'aide.

â?¢ L'ONU sera chargée de recueillir l'argent et de le redistribuer. "D'ici à 2020, les flux financiers destinés à soutenir l'adaptation au changement climatique dans les pays en développement doivent être [soit] d'au moins 67 milliards de dollars, [soit] fixés dans une fourchette de 70 à 140 milliards de dollars par an", peut-on lire dans le document de travail.

En ce qui concerne le système de plafonnement et d'échange [cap and trade], le traité de Copenhague prévoit le même fonctionnement que celui de Kyoto : des quotas d'émission sont alloués aux pays en fonction notamment de leur historique d'émissions de gaz à effet de serre, et un programme de réduction des émissions est fixé pour chaque pays. Toutefois, même si le traité de 1999 exigeait des pays qui dépassaient leurs limites qu'ils achètent des crédits carbone non utilisés aux pays en développement qui possédaient des surplus - ce que permet aussi le traité de Copenhague -, cela n'avait rien à voir avec la demande directe et quantifiée de transferts de fonds que prévoit le document de travail de Copenhague. Et Kyoto ne confiait pas non plus - comme le fait Copenhague - des milliards de dollars aux Nations unies, dont la transparence et la crédibilité ont été sérieusement ébranlées par la gestion profondément corrompue du programme "Pétrole contre nourriture" en Irak.

Pour ceux qui se font les champions de la conférence de Copenhague et la considèrent comme une deuxième chance pour le protocole de Kyoto - lequel n'a jamais vraiment été à la hauteur des attentes -, les milliards de dollars d'aide sont un aspect non négociable de tout accord sur le climat. Les pays en développement sont plus vulnérables au réchauffement climatique provoqué, disent-ils, par une économie occidentale fondée sur les combustibles fossiles. Ils seront les plus touchés par les sécheresses et les inondations et auront eux-mêmes besoin d'aide pour développer une économie moins dépendante des technologies conventionnelles qui produisent beaucoup d'émissions.

Pour le modèle économique canadien toutefois, cela suppose des coûts énormes, qui vont bien au-delà de notre "dette climatique" envers les pays en développement. En effet, comme les objectifs de réduction des émissions des pays industrialisés sont fixés en fonction d'une année de référence, les pays dotés d'industries plus vieilles et moins efficaces bénéficient d'une longueur d'avance sur les autres. Si on le compare avec celui des Etats-Unis, par exemple - ou, pire encore, avec ceux des anciens pays du bloc soviétique, autrefois de grands pollueurs -, le secteur industriel canadien est plus récent, et donc plus moderne et plus efficace. Avec leurs vieilles infrastructures, les Américains auront beaucoup plus de facilité à réduire leurs émissions industrielles de 80 % que les Canadiens, dont les usines et les processus d'extraction relâchent déjà relativement peu de gaz à effet de serre dans l'atmosphère.

Le Canada sera désavantagé parce qu'il est trop efficace

La situation est complexe : dans son état actuel, le traité propose que les pays en développement - et notamment des concurrents commerciaux d'Ottawa comme la Chine, la Corée du Sud, l'Inde, le Brésil et le Mexique - soient soumis à des obligations beaucoup moins contraignantes en matière de réduction des émissions que les pays plus riches comme le Canada. Après tout, ils ont généralement moins de moyens pour moderniser leurs infrastructures. Toutefois, en vertu des dispositions du paragraphe 23 de l'annexe 1 et du paragraphe 7 de l'annexe 3, aucune nation n'a le droit d'imposer "aucune forme de mesures unilatérales, incluant des mesures compensatoires aux frontières, contre des biens et des services en provenance de pays en développement au nom de la protection et de la stabilisation du climat". Ainsi, même si la Chine peut imposer des droits de douane sur l'aluminium canadien qu'elle importe, nous n'avons pas le droit d'en faire autant pour les importations de béton si Pékin parvient à prouver que nous n'avons pas été à la hauteur de nos engagements en matière de réductions des émissions. De même, si nous refusons de signer le traité de Copenhague, les règles de l'Organisation mondiale du commerce (OMC) interdiront aux gouvernements étrangers d'imposer des droits de douane sur les exportations canadiennes. En revanche, si nous le signons et que nous ne nous montrons pas à la hauteur de nos engagements, nos partenaires commerciaux - même ceux de l'ALENA - pourront légalement affirmer que notre échec à nous conformer aux objectifs de réduction des émissions nous donne un avantage sur les autres, leur permettant ainsi de créer des barrières commerciales pour nos produits.


Non aux idées reçues !

Foreign Policy

(Washington) - "Les scientifiques sont divisés"

Pas du tout. Pendant les premières années du débat sur le réchauffement climatique, on se demandait si la température de la planète augmentait vraiment, si l'homme en était la cause, et si cela allait devenir un réel problème. Il y a longtemps que les scientifiques ont répondu à ces questions. Même si certains aspects des prévisions restent à préciser, le doute n'est plus permis sur ce que l'avenir nous réserve. Les académies des sciences de tous les pays, de longues listes de Prix Nobel et même les conseillers scientifiques du président George W. Bush ont reconnu que les activités humaines étaient responsables du réchauffement de la planète. Aucun sujet ou presque n'a fait l'objet d'une démarche scientifique aussi rigoureuse. Il y a vingt ans, les Nations unies ont formé le Groupe d'experts intergouvernemental sur l'évolution du climat (GIEC), chargé de faire la synthèse des travaux les plus sérieux sur le réchauffement climatique et de rendre compte des différents points de vue. Or, depuis 1995, les rapports du GIEC disent que le réchauffement est dangereux et qu'il est causé par l'homme. Le dernier de ces rapports, qui date de 2007, juge "très probable" (soit "certain" à plus de 90 %, autrement dit : aussi certain qu'on puisse l'être en science) que les gaz à effet de serre produits par les activités humaines aient provoqué "la plus grande partie de l'augmentation des températures moyennes observée depuis le milieu du xxe siècle".

"Nous avons le temps"

Non. Le temps est sans doute l'élément le plus contraignant de l'équation. La fonte des glaciers de l'Arctique est inquiétante non seulement parce qu'elle prouve que la planète se réchauffe rapidement, mais aussi parce qu'elle va contribuer à accélérer le réchauffement. La glace blanche renvoyait 80 % des rayons du soleil dans l'espace. L'étendue d'eau bleue qui la remplace absorbe 80 % de ce rayonnement. Ce processus va en s'amplifiant. Et il y a beaucoup d'autres phénomènes du même genre. Pour citer un autre exemple, le dégel du permafrost dans les régions arctiques a déclenché la libération dans l'atmosphère d'énormes quantités de méthane qui étaient retenues sous la glace depuis une éternité. Or le méthane est un gaz à effet de serre encore plus puissant que le CO2. Les exemples de ce type sont la principale raison pour laquelle beaucoup d'experts revoient leurs estimations et annoncent que nous allons devoir renoncer aux énergies fossiles beaucoup plus tôt que prévu.

"Le changement climatique a autant d'effets bénéfiques dans certaines régions que d'effets négatifs dans d'autres"

C'est un voeu pieux. On a longtemps suivi un raisonnement classique de type gagnant/ perdant : si certaines régions de la planète risquent de finir inondées ou asséchées par le dérèglement du climat, d'autres régions, froides et pluvieuses, pourront profiter de quelques journées chaudes supplémentaires dans l'année. Mais les modèles commencent à montrer que, au bout d'un moment, presque toute la planète souffrira. Les plantes pousseront peut-être plus facilement dans certaines régions pendant quelques décennies parce qu'il y aura moins de risques de gelées, mais il est presque certain que la menace de stress thermique et de sécheresse augmentera.

Selon un rapport commandé par le Pentagone et publié en 2003, nous risquons de voir de violentes tempêtes balayer l'Europe, de terribles sécheresses sévir dans le sud-ouest des Etats-Unis et au Mexique, et un dérèglement des moussons provoquer des pénuries alimentaires en Chine.

Certes, il restera quelques endroits considérés comme "gagnants", principalement dans le Grand Nord, où le Canada et la Russie pourront théoriquement produire davantage de céréales parce que les saisons de croissance seront plus longues, ou encore chercher du pétrole sous l'ancienne calotte glaciaire de l'Arctique, qui aura fondu. Mais ces régions devront aussi faire face à des conséquences coûteuses, comme une rude compétition pour la possession militaire du haut Arctique.

Les mauvaises nouvelles ne s'arrêtent pas là. Voici le scénario prévu par le rapport remis au Pentagone : au fur et à mesure que la capacité de la planète à supporter les activités humaines ["carrying capacity"] diminuera, l'ancien schéma de guerres désespérées pour la nourriture, l'eau et l'énergie réapparaîtra. Les auteurs renvoient aux études de Steven LeBlanc, archéologue à Harvard, qui signale que les guerres pour le contrôle des ressources étaient la norme jusqu'à il y a environ trois siècles. Généralement, lorsqu'un conflit éclatait, 25 % de la population masculine mourait. Lorsque le changement climatique nous tombera sur la tête, la guerre risque fort de revenir dicter la vie des hommes.

"C'est la faute de la Chine"

Pas tant que ça. Il est facile de dire que la Chine est coupable de la crise climatique. La Chine, en pleine révolution industrielle, a ravi aux Etats-Unis le titre de premier producteur mondial de dioxyde de carbone. Nous avons tous entendu dire que la Chine construit une centrale au charbon par semaine. Mais ces chiffres sont trompeurs. Et pas seulement parce qu'une grande part du CO2 émis sert à fabriquer des produits que l'Occident réclame... Il faut aussi retenir que la Chine compte quatre fois plus d'habitants que les Etats-Unis. Et si l'on calcule les émissions par habitant, ce qui est réellement la meilleure façon de faire, on voit que chaque Chinois émet nettement moins de CO2 que chaque Américain. Il ne faut pas oublier, par ailleurs, que la durée du cycle du CO2 dans la nature est de l'ordre de cent ans et qu'il reste donc longtemps dans l'atmosphère. Comme la Chine a commencé à en émettre en grandes quantités depuis moins de vingt ans, il faudra de nombreuses années avant que les Chinois participent autant au réchauffement planétaire que les Américains.

De plus, à la différence de leurs homologues des Etats-Unis, les dirigeants chinois ont entamé, en pleine période de croissance, un effort concerté pour réduire les émissions de gaz à effet de serre. La Chine est aujourd'hui numéro un mondial dans le secteur des énergies renouvelables, et rares sont les voitures fabriquées aux Etats-Unis qui satisfont aux normes chinoises, beaucoup plus strictes en matière de consommation de carburant.

"Le changement climatique est un problème écologique"

Pas seulement. Les écologistes ont été les premiers à donner l'alerte. Mais le CO2 n'est pas un polluant classique. Aucune loi sur la lutte contre la pollution atmosphérique ne pourra régler le problème. Nous devons opérer un changement radical de nos bases économiques et passer des énergies fossiles à un autre type d'énergie. Pour les Etats-Unis, cela signifie que les ministères du Commerce et des Finances doivent s'attaquer au problème au moins autant que l'Agence de protection de l'environnement.

"Résoudre le problème sera douloureux"

Cela dépend de ce que l'on entend par "douloureux"... Transformer les bases du système industriel et consumériste mondial coûtera certainement de l'argent. Mais pensez aux économies gigantesques qui pourront être réalisées si l'on parvient à convertir une grande partie du système à l'énergie solaire ou éolienne.

A peine les scientifiques se sont-ils penchés sur le problème du dérèglement climatique que des gens ont essayé de calculer combien cela coûterait d'y faire face. Une somme tellement énorme qu'elle est presque impossible à estimer... Et combien coûterait-il de ne rien faire ? Selon le célèbre économiste Nicholas Stern, chargé par le gouvernement britannique de répondre à cette question, le coût du dérèglement climatique pourrait alors égaler les coûts combinés des deux guerres mondiales et de la Grande Dépression.

"On peut inverser le changement climatique"

Si seulement c'était possible ! Résoudre cette crise n'est plus envisageable. Les activités humaines ont déjà fait monter la température de la planète d'environ 0,5 °C. Lorsque les gens ont commencé à s'intéresser au dérèglement climatique (c'est-à-dire, rappelons-le, il y a vingt ans seulement), l'opinion générale était qu'on ne faisait que commencer à observer les conséquences du réchauffement, qu'on ne pourrait parler de grands changements qu'à partir de 1 °C ou 2 °C supplémentaires et que cela ne se produirait pas avant plusieurs décennies. Mais les scientifiques semblent avoir systématiquement sous-évalué la fragilité de l'équilibre des systèmes naturels de la planète.

Le réchauffement est plus rapide que prévu, et ses conséquences sont plus nombreuses et plus inquiétantes. La hausse d'environ 0,8 °C constatée a déjà sérieusement perturbé le cycle de l'eau : l'air chaud contenant davantage de vapeur d'eau que l'air froid, on assiste à une augmentation considérable non seulement des périodes de sécheresse, mais aussi des inondations. Et ces phénomènes ne vont pas cesser, même si nous faisons tout ce qu'il faut à partir de maintenant. Vu le temps qui s'écoule entre le moment où nous émettons du CO2 et celui où la température de l'air augmente, nous allons avoir droit au moins à 1 °C de plus. La seule question qui se pose maintenant est : pourrons-nous éviter la catastrophe ? Ce ne sera pas facile.


Quel prix, la civilisation ?

New Scientist

(Londres) - Un jour, les énergies renouvelables ont tous les atouts d'une industrie en pleine expansion et, le lendemain, on crie haro sur des installations de panneaux solaires. Qu'est-ce qui a changé ? Le prix du permis d'émission du dioxyde de carbone.

En 2005, l'Union européenne a mis en place le premier marché du carbone digne de ce nom, le Programme d'échange de quotas d'émissions, qui oblige les industries les plus polluantes à acheter des permis d'émission de CO2. [Le programme concerne environ 11 500 ins­tallations européennes, responsables d'à peu près la moitié des émissions de CO2 de l'UE. Parmi les principaux gaz à effet de serre, seul le CO2 est pour l'instant concerné par ce programme.] Le nombre de permis étant limité, le principe veut que l'offre et la demande fixent un prix propre à encourager le développement d'une économie faiblement émettrice de carbone. Une échelle de progression des prix sans fluctuations brutales envoie un signal économique incitant à investir dans les énergies propres. Un seul hic : ça ne marche pas.

Le prix de la tonne de CO2 sur ce marché européen a connu des fluctuations considérables - atteignant des sommets pour ensuite s'effondrer du jour au lendemain. Depuis un an, il est passé de plus de 30 euros à 8 euros, et il se maintient désormais autour d'une quinzaine d'euros. Des prix tellement faibles et imprévisibles qu'ils n'incitent pas à raisonner en termes de décarbonisation.

La crise économique n'est pas totalement étrangère à ce phénomène. A l'heure où les industries lourdes font tourner leurs usines à faible régime, la consommation d'énergie diminue et la demande de permis d'émission suit. Parallèlement, les entreprises tentent de gagner de l'argent en revendant leurs droits à polluer inutilisés, inondant par là même le marché et provoquant une nouvelle chute des cours. Ce qui se traduit par un coup d'arrêt porté aux divers projets en faveur d'une énergie verte.

Il existe en outre un problème que personne ne peut résoudre. Je l'appellerai le paradoxe de l'économie verte. Toutes les méthodes visant à fixer le prix des quotas de carbone débouchent sur la création d'un marché nous permettant de polluer au-delà d'un point de basculement aux conséquences catastrophiques. En d'autres termes, elles exigent que nous mettions un prix à la dernière tonne "assassine" de CO2 qui, une fois émise, provoquera un emballement du réchauffement planétaire. Comment pouvons-nous fixer un tel prix ? Cela revient à se demander quel est le prix de la civilisation !

Ce paradoxe met en évidence la faille fondamentale des solutions de marché aux problèmes environnementaux. Ces marchés du carbone ne peuvent en effet nous sauver que s'ils fonctionnent dans le cadre d'un système mondial de plafonds de carbone suffisamment bas pour limiter la hausse des températures à 2 °C par rapport aux températures de l'ère préindustrielle.

Les Etats sont là pour compenser les défaillances du marché, mais ils semblent faire l'impasse sur les Bourses du carbone. Ils pourraient compenser l'impact des cours trop bas des permis d'émission de carbone en investissant dans les énergies renouvelables dans le cadre de leurs programmes de relance économique. Mais, pour l'heure, ils ne l'ont pas fait. Pendant la Seconde Guerre mondiale, pour empêcher une surconsommation de ressources clés comme les hydrocarbures, le gouvernement britannique avait préféré le rationnement à la taxation, parce que la taxation touchait de façon injuste les pauvres et était trop lente pour modifier les comportements. Le rationnement était la solution plus rapide et plus équitable. De la même façon, les quotas de carbone calculés en fonction d'un plafond raisonnable des émissions globales constituent une façon plus sûre d'atteindre les objectifs des émissions. Y a-t-il une réponse au paradoxe de l'économie verte qui pourrait rendre viable l'approche du marché ? Je n'en vois aucune, mais je suis ouvert à toute suggestion. A supposer même que l'on puisse tarifer la tonne "assassine", c'est là une transaction qui ne devrait en aucun cas être autorisée. L'économie se tire dans le pied si elle est là pour rationaliser un échange qui hypothèque l'avenir de l'humanité.

Andrew Simms, directeur politique du programme sur le changement climatique de la NEF (New Economist Foundation).


BOÎTE À IDÉES - Quatre façons de réduire les gaz

Le Temps

(Genève) - Les normes

Les Etats réalisent que les prescriptions obligatoires sur l'efficacité énergétique ne suffiront pas. De plus, elles ont tendance à figer le progrès technique en établissant des standards qui disqualifient des procédés plus innovants mais non agréés. Et elles peuvent constituer des obstacles au commerce.

Les "droits à polluer"

Ils fixent un niveau d'émissions à atteindre pour un pays ou un secteur industriel. Les quotas alloués sont abaissés progressivement. C'est le système du cap and trade, en vigueur en Europe depuis 2005 et que les Etats-Unis discutent en ce moment au Congrès. Ceux qui n'utilisent pas tous leurs quotas peuvent les revendre à quelqu'un qui ne parvient pas à respecter ses obligations, via des Bourses spécialisées. La Russie et l'Ukraine vendent ainsi régulièrement des droits à polluer à des industriels européens. Ce système est très complexe à administrer et entraîne d'importants coûts de transaction. En Europe, il a donné lieu à des scandales retentissants. Certains grands groupes industriels, dotés de quotas trop généreux, ont encaissé des plus-values financières extraordinaires alors qu'ils étaient censés investir dans la réduction de leurs émissions. Les économistes préconisent deux réformes majeures : la vente aux enchères (et non plus l'attribution gratuite) des quotas et la mise en place de sanctions réelles pour ceux qui ne respectent pas leurs obligations.

La taxe carbone

Dans son essence, ce n'est pas un impôt car son produit est intégralement reversé aux consommateurs finaux. En Suisse, le remboursement se fait via les cotisations à l'assurance-maladie. Simple, la taxe carbone est incitative : tout consommateur ou acteur économique tentera d'y échapper. Si la taxe CO2 est l'instrument recommandé par une majorité d'économistes, elle se heurte à une très forte opposition politique. Elle est perçue comme un nouvel impôt, et son coût se reflète immédiatement dans les prix aux consommateurs alors que celui d'un système de permis de polluer, tout aussi réel, est caché dans la formation des prix. Cette taxe est neutre au plan macroéconomique lorsqu'elle est entièrement redistribuée, mais elle peut aggraver les inégalités sociales si son remboursement n'est pas modulé.

Pays en développement

Les économistes consultés par l'ONU préconisent d'agir par le biais des investissements et des transferts de technologies. Ceux-ci pourraient être financés par les fonds prélevés par les Etats lors de la vente de quotas d'émissions. La Chine, par exemple, exige une aide annuelle directe des pays développés équivalant à 0,5 % ou 1 % de leur PIB. Ce qui correspond, grosso modo, à l'effort que ces pays industrialisés envisagent de faire pour eux-mêmes...


Un échec, quelle importance ?

The Australian Financial Review

(Sydney) - Pour son rôle dans la prise de conscience par la planète de l'ampleur du changement climatique qui se dessinait, le protocole de Kyoto fut un événement historique, symbolique. Et les symboles importent ; l'établissement d'une large confiance dans des accords officiels importe, tout comme importent les discussions en vue de parvenir à de tels accords. Pour autant, il faut aussi savoir à quel moment l'action doit passer avant la symbolique et donc se demander si les grands-messes comme la Conférence des Nations unies sur le changement climatique de Copenhague sont si importantes pour la recherche de solutions afin d'atténuer les effets des transformations du climat.

La conférence de Copenhague est généralement considérée comme essentielle parce que les problèmes mondiaux nécessitent des solutions à l'échelle mondiale, nous dit-on. Or ce point de vue est contre-productif. C'est en grande partie parce que le changement climatique est présenté en ces termes que les événements comme Copenhague ont un statut qu'ils ne méritent pas. Alors que nous fixons notre attention sur le sommet et sur ce qui sera certainement une issue décevante, quelle que soit la façon dont on nous la vantera, nous laissons passer les occasions de traiter réellement le danger le plus grave auquel l'humanité et la planète sont aujourd'hui confrontées. Le problème mondial du changement climatique exige des solutions nationales, sous la forme d'actions menées par quelques Etats clés qui sont à la fois à l'origine du problème et capables d'y trouver remède.

Les accords internationaux sont jugés à l'aune du nombre de leurs signataires et les organisations internationales à celui de leurs membres. Cela repose sur une logique de l'action collective qui veut qu'un magouilleur ou un profiteur provoque la ruine collective. Telle est la conviction de ceux qui ont une vue rationnelle du monde, par exemple les économistes classiques. Elle est à la base de la plupart des analyses de l'économie politique internationale et des relations internationales. Chacun a une bonne raison de ne pas respecter un accord qu'il a conclu, ou de trouver le moyen d'éviter de conclure un accord.

Les Etats-Unis ont déclaré ne pas voir l'utilité de ratifier le protocole de Kyoto si la Chine ou l'Inde ne s'engageaient pas à réduire fortement leurs émissions de gaz à effet de serre. De son côté, Brasília réclame que les pays industrialisés comme les Etats-Unis donnent l'exemple. En l'absence de la participation de ces grands émetteurs, le reste du monde n'a visiblement fait que des progrès marginaux dans la limitation de l'augmentation des émissions, et encore moins dans leur réduction. J'avancerai deux raisons pour lesquelles seuls quelques Etats clés importent vraiment.

Sortons du cadre étroit de l'intérêt national

Tout d'abord, six pays émettent chacun plus de 1 milliard de tonnes de CO2 par an : la Chine, les Etats-Unis, l'Inde, la Russie, le Brésil et le Japon. Ensemble, ils représentent 49 % des émissions mondiales. Si l'on y ajoute l'Union européenne et si l'on prend en compte, à côté des Etats-Unis, leurs partenaires de l'Accord de libre-échange nord-américain (ALENA), alors cinq pays et deux entités régionales [UE et ALENA] représentent 68 % des émissions de CO2. A l'évidence, ce qui importe pour vraiment combattre le changement climatique, c'est moins un accord entre tous les pays du monde qu'une action de la part - et au sein - des Etats et des régions qui sont responsables des deux tiers des émissions mondiales.

En second lieu, même si, par exemple, les réductions de ses émissions par l'Australie ne sont sans doute pas déterminantes, le rôle joué par ce pays en tant qu'exportateur de combustibles fossiles et d'autres ressources, lui, est déterminant. Ses principales exportations sont les minéraux et les combustibles, et ses trois premiers partenaires commerciaux sont la Chine, le Japon et les Etats-Unis. De fait, le ministre des Ressources et de l'Energie, Martin Ferguson, a qualifié l'Australie de "superpuissance énergétique mondiale", après la signature, le 18 août 2009, d'un accord pour la vente de gaz à la Chine pour 50 milliards de dollars australiens [30 milliards d'euros]. Un pays comme l'Australie peut donc contribuer à la lutte contre le changement climatique sans passer par une grande action collective mondiale. Nous devons parvenir à ce que des pays clés tels que la Chine ne nous achètent plus d'aussi grandes quantités d'énergie fossile. Ce n'est sans doute pas très bon pour l'Australie à court terme - et il ne faut pas s'attendre que quiconque dans la classe politique adopte une telle position ! Mais, en ce qui concerne la lutte contre le changement climatique, c'est pour l'Australie une vérité qui dérange. Pourquoi ces Etats devraient-ils agir ?

Si nous sortons du cadre qui définit les problèmes d'action collective selon une conception étroite de l'intérêt national, il est évident qu'il existe des raisons poussant les Etats à agir unilatéralement ou régionalement. Il y a plus de dix ans, Michael Porter et Claas van der Linde (en 1990 et en 1995) ont démontré que l'inefficacité environnementale est un signe d'inefficacité économique. Au lieu de considérer un monde où s'opposent compromis économiques et environnementaux, ils ont souligné que les succès (ou les échecs) économiques et environnementaux se renforcent souvent mutuellement. Mieux, les firmes concurrentes qui visent à respecter les normes en vigueur dans les pays en pointe sur le plan réglementaire, voire à faire mieux encore, acquièrent un avantage compétitif - celui du pionnier -, "alors que d'autres régions, et finalement d'autres nations, leur emboîtent le pas en modifiant leurs propres réglementations". Il en va de même pour les Etats dotés des réglementations les plus sévères.

Il y a donc lieu d'être optimiste. La lutte contre le changement climatique exige des solutions nationales, ainsi qu'une action coordonnée des pays clés, et non pas de résoudre au niveau mondial ce qui est sans doute un problème collectif d'une ampleur démesurée.

© 2009 Courrier international. Tous droits réservés.


RÉSUMÉ DU MAGAZINE :

Le Temps - Mercredi, 25 novembre 2009 - Olivier Perrin

«Courrier international», pour un numéro exceptionnel, s'est livré à un travail de titan en cherchant le meilleur et la pluralité géographique et idéologique des opinions dans tout ce que la presse internationale a écrit sur le réchauffement climatique et les enjeux du Sommet de
Copenhague. Un dossier gargantuesque, passionnant, référentiel

«Courrier international» s'est livré à un travail de titan en allant fouiller dans tout ce que la presse internationale a écrit sur le réchauffement climatique et les enjeux du Sommet de Copenhague. Dossier gargantuesque, passionnant, référentiel.

Philippe Thureau-Dangin, directeur de la rédaction, pose lui-même la question dans son éditorial: dans Courrier international, «un dossier de plus de 50 pages sur le Sommet de Copenhague, n'est-ce pas trop?» Non, car «la question du réchauffement est centrale, urgente, et il existe des réponses et des solutions politiquement et économiquement viables». Ce numéro spécial (N° 994, du 19 au 25 novembre 2009) les a donc cherchées et... trouvées. En sortant des sentiers battus, en décryptant et en traduisant une masse d'articles. Souvent hors du main­stream médiatique, avec un appareillage didactique comprenant «encadrés du plouc», infographies et cartes toutes plus passionnantes les unes que les autres. Avec des photos aussi, notamment extraites du beau reportage d'Alban Kakulya et Serge Enderlin réalisé l'été dernier dans les glaces fondantes du Groënland pour le quotidien vaudois 24?heures. Un phénomène bien connu, qui touche aussi la route du Nord, promise à «devenir une «autoroute» maritime de grand intérêt économique et stratégique pour la Russie», comme l'expliquent les Izvestia de Moscou.

A l'enseigne de «Pourquoi la planète sera (peut-être) sauvée», il s'agit donc d'un dossier divisé en trois chapitres: «Copenhague et après», «D'un continent l'autre» et «Chaud l'avenir». Concocté, bien sûr, parce que «cela fait des années que l'on attend le sommet sur le changement climatique qui aura lieu du 7 au 18 décembre à Copenhague. Cela fait des mois que les délégations se rencontrent, que les experts débattent, que les ONG poussent... Pourtant, sauf miracle, il n'y aura pas de protocole contraignant signé au Danemark - tout juste une grande déclaration politique pour marquer l'urgence de limiter les gaz à effet de serre.»

Pourtant, c'est «un sommet plus important que Yalta», comme l'affirme avec force l'écrivain et militant américain Bill McKibben dans le bimestriel Mother Jones, de San Francisco, journal progressiste et contestataire. Mais que veulent ses acteurs? Quels sont les enjeux? C'est l'hebdomadaire New Statesman de Londres, forum de la gauche indépendante, qui les résume très bien, en regard du National Post de Toronto (conservateur) qui, lui, pense que le traité «actuellement négocié est scandaleusement biaisé en faveur des pays en développement». En regard aussi du Foreign Policy de Washington, bimestriel édité par la Fondation Carnegie pour la paix internationale, qui fait le tour des idées reçues comme celles consistant à dire: «les scientifiques sont divisés» ou «c'est la faute de la Chine».

Et l'argent dans tout ça? «Agir coûte moins cher», prétend dans le Wall Street Journal Robert N. Stavins, le directeur du programme d'économie environnementale de Harvard, pour qui «le passage à une économie reposant sur des énergies moins polluantes peut et doit se faire graduellement». D'autant que le Nord est encore «trop pingre», selon le New York Times: «Les riches rechignent à mettre la main à la ­poche», alors que «les pays en développement ont besoin d'aide pour lutter contre le réchauffement». «Accord ou pas» à Copenhague, les grands pollueurs doivent donc de toute manière se décider «à agir sérieusement à leur échelle», pense l'Australian Financial Review, le quotidien le plus sérieux du pays. Exemple intéressant : le Japon. Qui, depuis la récente accession au pouvoir du nouveau premier ministre, Yukio Hatoyama, a opéré un changement de cap radical, en y mettant des moyens financiers considérables. L'Empire du Soleil-Levant se positionne comme «leader dans la lutte contre le réchauffement climatique», observe le Mainichi Shimbun de Tokyo. «Les pays riches devront payer», pense aussi le président Lula, qui vient de présenter, «dans son émission radiophonique hebdomadaire, les grandes lignes de la proposition brésilienne pour Copenhague», paroles retranscrites sur Cafe.radiobras.gov.br.

L'Inde et la Chine passent actuellement pour des dures en matière de leur «droit de polluer», comme l'analysent l'hebdomadaire Open de New Delhi et un chercheur à l'Académie des sciences sociales du Zhejiang, Chu Zhaogen, dans le quotidien Dongfang Zaobao de Shanghai. Et pendant ce temps, Barack Obama, lui, «se consacre à sa réforme du système de santé. Résultat: le dossier du climat est mal traité», déplore le politologue et ex-ministre de Bill Clinton Robert Reich dans le webzine Salon, de San Francisco.

Autre sujet d'inquiétude: «L'histoire mexicaine montre que des changements climatiques ont été déclencheurs de guerres» et que «cela a toutes les chances de se reproduire». C'est la revue mensuelle Nexos qui le dit, en montrant que «les épisodes de sécheresse ont été des facteurs très importants du mécontentement social, voire d'insurrections». «Quatre années de sécheresse consécutives»: c'est précisément ce qui vient de se produire dans la pampa argentine, transformée en désert aride dont La?Nación de Buenos Aires dresse le terrifiant tableau, avec des photos et une vidéo tristement explicites.

Que faire? De multiples réponses traversent le dossier. Il faut mieux partager les données climatiques, pense La Libre Belgique. Il s'agit aussi d'empoigner un sujet tabou: la croissance de la population, qui n'arrange rien, mais alors rien du tout, selon The Ecologist de Londres.

Plus concrètement, des instruments existent déjà pour réduire les émissions de gaz à effet de serre. Courrier international extrait d'une chronique de notre collaborateur Pierre Veya, dans Le Temps, un ­rappel utilement synthétique des avantages et inconvénients des méca­nismes actuellement recensés: l'établissement de normes contraignantes, le marché des «droits à polluer» (cap and trade), la taxe carbone et les investissements et transferts de technologie dans les pays en ­développement.

© 2009 Le Temps SA. Tous droits réservés.


SPÉCIALE MAGAZINE - Climat : Copenhague et après 1/3
SPÉCIALE MAGAZINE - D'un continent à l'autre 2/3
SPÉCIALE MAGAZINE - Climat : Chaud l’avenir 3/3


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