mardi 29 décembre 2009

INTERVIEW - Boillot : « Les Africains ne veulent pas d'une Chinafrique »

Les Echos, no. 20582 - Industrie, mardi, 29 décembre 2009, p. 16

Jean-Joseph Boillot, conseiller au Centre d'études prospectives et d'informations internationales (Cepii), est spécialiste des pays émergents.

Comment l'Afrique a-t-elle traversé la crise ?

En raison de sa faible insertion dans les échanges mondiaux, l'Afrique a été peu affectée par le choc de 2008 ou en tout cas avec retard et de façon inégale. Les cours des matières premières ont chuté pour certains mais par pour d'autres, comme l'or. L'impact de la crise est indéniable mais, pour la première fois, la résilience du continent le rapproche des deux autres grandes zones émergentes, l'Inde et la Chine. Il faut bien sûr éviter tout discours euphorique, mais une transition profonde semble en marche en Afrique.

La Chine et l'Inde, justement, sont très actives en Afrique : les entreprises françaises doivent-elles craindre ces nouveaux investisseurs ?

Pas forcément. Vis-à-vis de la Chine et de l'Inde, il y a une concurrence évidente, mais des partenariats sont également possibles. CFAO, par exemple, n'hésite pas à distribuer des voitures chinoises sur le continent pour consolider ses positions dans la distribution. Plutôt qu'un discours défaitiste ou agressif, il faut rechercher au maximum les complémentarités avec les grands pays émergents. On stigmatise le rouleau compresseur chinois, mais les Africains veulent maintenir la diversité de leurs partenaires, puisqu'ils y ont goûté ces dernières années. Et il ne faut pas exagérer la concurrence : l'aide publique de la Chine ne représente que 10 % de l'aide totale au continent ! Les Africains ont voulu contrebalancer leurs relations avec l'Occident, mais ils ne veulent pas non plus d'une « Chinafrique ».

La téléphonie mobile a connu un essor incroyable en Afrique. Comment l'expliquez-vous ?

Ce qui change, c'est la population. Il y a une poussée démographique puissante qui fait de l'Afrique un continent de jeunes peu fortunés mais consommateurs. Il faut donc des « business models » adaptés. Les télécoms ont explosé grâce à des mobiles très bon marché, avec peu de fonctionnalités, mais sur des volumes considérables. Dans les 500 plus grandes sociétés du continent, on trouve bien sûr les matières premières, mais aussi désormais celles ciblant l'Africain moyen qui vit avec de 2 à 10 dollars par jour. C'est là un coeur de marché qu'on ne peut plus négliger. Au-delà des mobiles, il y a la banque, le transport, l'habitat, l'énergie et, bien sûr, toute la filière alimentaire.

Qu'est-ce qui, aujourd'hui, fait encore obstacle au décollage de l'Afrique ?

Tant qu'il n'y aura pas un noyau dur de pays ayant des institutions favorables au développement économique, l'ensemble du continent ne décollera pas et l'émigration sera hélas la seule issue de secours pour les millions de jeunes qui arrivent sur le marché du travail. Au Nord, le Maghreb bénéficie de la puissante attraction de l'Europe. Au Sud, le modèle sud-africain transpire progressivement sur les Etats voisins. La Coupe du monde de football qui va s'y dérouler devrait avoir un impact majeur, un peu comme les jeux Olympiques de Pékin pour la Chine. Ce sera le symbole d'une nouvelle Afrique sur la scène mondiale. Finalement, une des clefs, c'est l'avenir du Nigeria, qui a une très forte population et des ressources naturelles abondantes. Son évolution déterminera sans doute l'évolution de cette sinistre diagonale qui va jusqu'en Somalie et coupe l'Afrique en deux. Tant que cette partie du continent ne montrera pas de signes d'amélioration politique, il faudra être patient.

PROPOS RECUEILLIS PAR SYLVAIN MORVAN

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