lundi 21 décembre 2009

INTERVIEW - " Fauchon doit être l'ambassadeur de la culture culinaire française "

Le Monde - Economie, mardi, 22 décembre 2009, p. MDE6

Au moment de Noël, période capitale pour les boutiques de luxe, Isabelle Capron, directrice générale de Fauchon, explique sa stratégie depuis cinq ans, pour tenter de transformer une marque sur le déclin en une référence du luxe alimentaire français. Michel Ducros, un actionnaire prêt à assumer des risques, a pris 95 % du capital de ce groupe déficitaire. Pour sortir du rouge, la direction a élaboré de nouveaux concepts de magasins et une nouvelle identité visuelle, recentré les produits sur les " racines françaises " et développé d'importants investissements à l'international.

Vous êtes arrivée à la direction de Fauchon voici cinq ans, quand la maison était au bord de la faillite. Qu'en est-il aujourd'hui ?

En 2004, Fauchon, en déficit depuis seize ans, touchait le fond de la piscine. Les actionnaires voulaient déposer le bilan. Michel Ducros, le propriétaire, a voulu relever le défi. Mais la marque Fauchon était magnifique, on a pu en vérifier sa puissance. Petit à petit, on a remonté la pente. Fin mars 2009, Fauchon a réalisé 36 millions d'euros de chiffre d'affaires auquel s'ajoutent 5 millions d'euros de revenus et licences. On est presque revenu à l'équilibre, avec un résultat négatif de 100 000 euros. Nous avons cédé Flo Prestige à Lenôtre, puis les plateaux-repas à Room Saveur - groupe Fleury-Michon - , en gardant cette activité sous forme de licence. Et les trois boutiques aux Etats-Unis ont été fermées.

Comment avez-vous relancé la marque ?

Certains clients appelaient le magasin de la place de la Madeleine le " berceau ". Fauchon est une marque liée à un site. C'est une griffe, une signature du patrimoine français, avec une part d'irrationnel. Nous avons effectué des choix radicaux, de rupture, en investissant 4 millions d'euros pour réaménager les 2 500 m2 de la place de la Madeleine. Avec un impératif, être l'ambassadeur de la culture culinaire française dans le monde. Si bien qu'acheter Fauchon, c'est déguster des produits de France. Pour un pâtissier, cela se traduit par exemple par un éclair avec La Joconde sur le glaçage. Nous avons arrêté de vendre des cravates, des parapluies et des sushis...

Nous avons aussi voulu renouer avec l'esprit d'avant-garde de la marque, dans le design, l'architecture, le packaging. En étant à l'opposé de la tradition. Notre choix était d'activer la mémoire, pas la nostalgie, avec une vision du luxe plus joyeuse, une notion de partage. C'était osé, risqué, et ça a été d'ailleurs très critiqué. Nous avons imposé le rose, qui symbolise l'énergie, la gourmandise, déjà utilisé par Saint Laurent ou Lacroix. La couleur d'une marque est importante, comme le montrent si bien l'orange d'Hermès, le rouge de Cartier ou de Ferrari, le bleu de Lanvin ou de Tiffany, le marron de Vuitton, le gris de Mercedes...

La crise a-t-elle affecté votre développement international, notamment en Chine ?

Il existe des traditions culinaires fortes en Europe, au Moyen-Orient et en Asie. Ce n'est en revanche pas le cas dans les pays anglo-saxons, notamment aux Etats-Unis. Malgré la crise, nous avons maintenu toutes nos ouvertures, à Genève, Hongkong, Casablanca, Koweït ou Dubaï. Le Japon, notre premier marché, a très bien résisté. En Chine en revanche, on a effectivement réduit la voilure, l'espace initial de 2 500 m2, sur trois étages, était trop grand. Nous ne devrions en conserver que 500 m2. La Russie aussi a été affectée.

Quand la crise est arrivée, nous étions mieux armés que d'autres. Fauchon, c'est du luxe accessible. On diffère l'achat d'une voiture, mais pas celui de thé ni de confiture. Nous avons développé des produits de luxe moins cher comme du caviar de Sologne ou du saumon fumé d'Aquitaine. Les premières bouteilles de champagne sont vendues 30 euros.

Quelle est votre stratégie de distribution ?

Elle repose sur trois piliers : les magasins Fauchon mais aussi la diffusion à travers les " duty free ", les cafés, hôtels, restaurants, les grands magasins sélectifs comme Lafayette Gourmet, et par Internet. Depuis peu, nous vendons en pharmacie du thé anti-âge. Nous testons également des ventes dans des Carrefour et Monoprix haut de gamme. Si bien qu'à 50 mètres de la place de la Madeleine, on peut aussi acheter des produits Fauchon dans un Monoprix. Ce n'est ni la même clientèle, ni les mêmes horaires d'ouverture. Ces canaux de distribution ne se cannibalisent pas. Nous allons aussi lancer des " F50 ", des petits magasins de 50 m2 qui concentrent la meilleure offre de Fauchon, dans une optique de cadeaux. Le troisième vecteur, ce sont les plateaux-repas, les réceptions, les cadeaux d'affaires. Nous gagnons désormais des appels d'offres de 2 000 couverts.

Qu'en est-il des filières que vous comptiez créer avec certains fournisseurs ?

Nous travaillons avec 250 fournisseurs, certains sont des producteurs associés. C'est vrai dans le domaine du foie gras, des confitures, de la conserverie de l'île de Groix. Nous travaillons parfois en amont. Nous récoltons par exemple les thés qui sont assemblés dans une unité de fabrication dans laquelle nous avons co-investi, à Strasbourg. De la même manière, nous sommes associés dans le domaine du vin à un producteur, Frédéric Brochet, qui fait les assemblages de la marque Fauchon (six cépages et six terroirs) et nous réfléchissons à des filières similaires dans le chocolat et le foie gras.

Quels sont vos objectifs pour l'année 2010 ?

Ouvrir trois à cinq magasins. Il faut parachever le développement et la rentabilité.

Propos recueillis par Nicole Vulser

© 2009 SA Le Monde. Tous droits réservés.

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