mercredi 15 juillet 2009

Avis à tous les lecteurs de ce blog, les activités habituelles reprendront au mois de septembre. D'ici là, quelques retranscriptions audio d'Alexandre Adler et des documentaires sont à prévoir. Merci.

lundi 13 juillet 2009

Le défi des émeutiers ouïgours au pouvoir chinois - Arnaud de la Grange

Le Figaro, no. 20202 - Le Figaro, lundi, 13 juillet 2009, p. 21

Le président Hu Jintao aurait-il un brin « perdu la face » face à la communauté internationale en annulant sa participation au dernier G8 pour reprendre la main sur la crise du Xinjiang ? Aveu de forte fébrilité, voire début de panique ? Le geste n'en finit pas de surprendre et la question est explicitement posée par la presse de Hongkong. Ce n'est pas une simple visite bilatérale sur laquelle le chef de l'État chinois a décidé de faire l'impasse, mais un sommet réunissant les plus grands de ce monde, qui plus est agrémenté d'un tête-à-tête prévu en coulisses avec Barack Obama. À l'évidence, l'alerte est chaude.

Les défis posés à Pékin par les émeutiers d'Urumqi se lisent à deux ou trois niveaux. Il y a d'abord la question de la gestion des minorités. Au-delà de la coupable et folle violence des émeutiers ouïgours, les dirigeants chinois savent bien qu'il y a en toile de fond un terrible problème de frustration économique, un sentiment de marginalisation démographique et d'asphyxie culturelle. Cela n'excuse rien, mais devrait obliger les dirigeants chinois à repenser leur politique dans ces immenses marches de l'empire. Bien sûr, comme au Tibet, la Chine a largement les moyens de rétablir l'ordre au Xinjiang. Mais les sempiternelles recettes d'une répression implacable « d'une minorité criminelle » et « l'éducation » du reste de ces turbulentes populations risquent de se révéler à terme un peu courtes. Comme l'estime Jean-Pierre Cabestan, professeur à la Baptist University à Hongkong, « l'évolution vers une situation de ségrégation et d'apartheid rampant est lourde de dangers pour la Chine, alors que l'harmonie est un dogme officiel et que bien d'autres tensions dans le pays imposent d'améliorer les modes de gestion des conflits ».

Plus largement, les émeutes du Xinjiang renvoient en effet à d'autres mécontentements, non plus ethniques mais sociaux, qui sont loin de s'apaiser dans un contexte de crise et de montée des inégalités. Les convulsions d'Urumqi battent en brèche le concept d'harmonie sociale. Et montrent les limites de la théorie - encore martelée il y a un mois pour l'anniversaire de Tiananmen - selon laquelle le développement économique et la prospérité valent bien de mettre en sourdine les revendications de davantage de libertés individuelles ou de dignité politique. À quelques semaines de la célébration du 60e anniversaire de la République populaire, moment important dans la carrière du président Hu Jintao, ces violents constats d'échec sont fâcheux.

Enfin, il y a ce que l'affaire du Xinjiang peut révéler de vulnérabilités institutionnelles et politiques au sein du régime chinois. « Sans dramatiser, cela montre que le régime est moins assuré qu'il ne veut l'avouer, qu'il est plus inquiet et plus vulnérable qu'on ne le pense généralement », estime encore Jean-Pierre Cabestan. Sur le plan du fonctionnement, le retour en catastrophe du président chinois de l'étranger montre les limites d'un système extrêmement centralisé. Parmi les responsables civils, seul le président Hu Jintao, avec sa casquette de président de la commission militaire centrale, a par exemple les moyens de « gérer » l'Armée populaire de libération. Il fallait aussi qu'il soit là pour dégager un consensus entre les « neuf empereurs », les neuf membres du tout-puissant comité permanent du bureau politique du Parti communiste, qui s'est réuni en urgence à peine l'avion de Hu Jintao posé à Pékin. Même si tout ce petit monde finit par faire front pour garantir la sacro-sainte « stabilité », le Xinjiang est sans nul doute une arme de plus utilisable dans les luttes entre différents courants.

L'épisode se traduira-t-il par un durcissement ou au contraire la prise de conscience d'une nécessité de plus de réformes ? Il est trop tôt pour le dire, mais, d'ores et déjà, il est sûr que l'histoire dépasse largement ce que certains à l'étranger voient comme une tragique mais finalement périphérique et exotique poussée de fièvre.

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Pourquoi les Ouïgours ne se sentent pas chinois - Etienne de Montety

Le Figaro, no. 20200 - Le Figaro, vendredi, 10 juillet 2009, p. 14

L'auteur, enseignant à Sciences Po Paris, explique les raisons de la révolte qui agite aujourd'hui le Xinjiang : les Ouïgours luttent pour le respect de leur culture

et de leur religion. L'étonnement semble le sentiment dominant à propos des récents événements au Xinjiang. L'Europe s'est sans doute trop habituée au visage souriant du dalaï-lama, et à la politesse d'un Tibet devenu attraction touristique. Mais justement, la réaction des Ouïgours, population turcophone musulmane, principale composante ethnique du Xinjiang peut être directement associée à l'échec du mouvement tibétain. Les Ouïgours opposés à l'influence de Pékin sur leur territoire ont pu constater qu'au mieux, avec la non-violence, on obtient le soutien moral de Richard Gere. Une bien maigre consolation quand un peuple se pense en danger d'extinction. Dans les années 1990 déjà, les Ouïgours ont fait entendre leur colère, des villes se sont embrasées, et une lourde répression a donné à Pékin un faux sentiment de sécurité.

Pour comprendre ce vent de révolte qui ne date pas d'aujourd'hui, il faut se mettre dans la peau d'un Ouïgour. Quotidiennement, un Ouïgour du Xinjiang a le sentiment de voir sa culture prise pour cible. Selon le rapport annuel de la Commission américaine sur la Chine, en 2008, le gouvernement régional du Xinjiang « [maintenait] les restrictions légales les plus dures concernant la pratique religieuse des plus jeunes ». Récemment, Radio Free Asia a parlé d'un orphelinat au Xinjiang qui représente toute l'ambiguïté de la politique chinoise : les enfants ouïgours y sont correctement traités et bien nourris. Mais on les force à abandonner leur identité ouïgoure, à prendre un nom chinois, à consommer du porc, et à oublier leur religion. Le personnel ou les enfants ouïgours s'opposant à cette politique sont sévèrement sanctionnés. Les Ouïgours sont également la cible des pires préjugés de la part des Hans. On a eu un exemple de ce racisme ordinaire largement répandu très récemment. En juin dernier, une rumeur affirmait que des ouvriers ouïgours d'une usine de Shaogan avaient violé deux femmes hans. Cette fausse nouvelle a provoqué des tensions ethniques particulièrement violentes, qui expliquent en partie l'explosion actuelle au Xinjiang. Or il semblerait que la véritable cause de l'explosion ethnique à Shaogan soit due au harcèlement sexuel des ouvrières ouïgoures par leurs supérieurs hans dans cette ville. Ce problème est considéré par les Ouïgours comme le symbole de leur constante humiliation. Alors que les Hans présents au Xinjiang profitent de l'évolution économique de la zone, les Ouïgours sont forcés de quitter leurs terres et à devenir une force de travail bon marché ailleurs en Chine, avec toute la précarité que cela implique. En dehors de Pékin, où l'harmonie ethnique est quasiment une réalité, la police chinoise est connue pour cibler systématiquement les Ouïgours. Et au Xinjiang même, le harcèlement policier ne vise pas les voleurs et les revendeurs de drogue, mais plutôt les petits commerçants de rue tentant de gagner leur vie. Fondamentalement, dans la peau d'un Ouïgour au Xinjiang, on ne se sent ni citoyen chinois, ni libre sur sa propre terre.

Pourtant, la vision binaire d'un simple champ de bataille divisé entre deux camps bien définis, Hans contre Ouïgours musulmans, est une erreur. Elle est liée le plus souvent à une lecture idéologique, qui vise à transformer l'un des camps, han ou ouïgour, comme celui du bien luttant contre le mal.

Tout d'abord, les Ouïgours ne sont pas les seuls musulmans du Xinjiang. On retrouve aussi dans la région, entre autres, un certain nombre de Huis, qui sont ethniquement hans, mais de confession islamique. Leur religion ne les a pas amenés à soutenir les Ouïgours, bien au contraire. La police, si souvent condamnée pour avoir eu la main lourde au Xinjiang, est souvent composée de Huis. Chercher un « choc des civilisations », ou la main du terrorisme islamiste, dans ce qui s'est passé récemment n'a donc aucun sens. Les partisans ouïgours du djihad existent, bien sûr. Certains ont combattu aux côtés des talibans, et se trouvent aujourd'hui dans les Zones tribales pakistanaises. Mais ils n'ont rien à voir avec les événements récents, plus proches d'une explosion spontanée que d'une logique terroriste planifiée.

L'évolution de la situation va totalement dépendre du gouvernement chinois. Une véritable campagne nationale devrait être menée pour lutter contre le racisme ordinaire dont sont victimes les Tibétains, les Ouïgours, les Mongols, et les autres minorités du pays. Des sanctions sévères devraient viser les officiers de police et autres responsables usant de leur position d'autorité pour maltraiter ou humilier un homme ou une femme membre d'une des minorités présentes en Chine. La vérité est qu'il n'y a pas besoin d'un complot de l'étranger pour que les Ouïgours ou les Tibétains se révoltent. Tant qu'ils ne se sentiront pas acceptés à part entière, avec leurs spécificités culturelles, comme des citoyens à part entière, les troubles continueront. Et une répression policière classique ne fera que transformer les émeutiers ouïgours d'aujourd'hui en terroristes, nationalistes ou islamistes, demain.

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Les méthodes contestées de la Chine dans les affaires

Le Monde - A la Une, samedi, 11 juillet 2009, p. 1

Yves Mamou et Brice Pedroletti

L arrestation à Shanghaï de quatre cadres du groupe minier anglo-australien Rio Tinto accusés de «vol de secrets d Etat» relance la nécessité pour les industriels d anticiper ces nouveaux risques

Pour les grandes entreprises, l'arrestation à Shanghaï de quatre cadres du groupe minier anglo-australien Rio Tinto accusés de « vol de secrets d'Etat » (Le Monde du 10 juillet) a réactualisé la nécessité d'organiser une veille face à la montée des risques politiques liés à la mondialisation. Et cela même si le cas Rio Tinto apparaît comme une exception. « En Chine, ce sont des hommes d'affaires d'origine chinoise qui se retrouvent accusés d'espionnage pour le compte de Taïwan », constate un spécialiste des opérations avec la Chine.

Mais dans un pays où le politique et l'économique ne sont pas toujours clairement séparés, le moindre événement suscite des interrogations. En 2007, un dirigeant d'Areva a été retenu un mois en Chine comme témoin dans une enquête sur le vice-président de China Guangdong Nuclear Power Corp (CGNPC), soupçonné de prévarication. Areva, qui devait signer un contrat de 8 milliards d'euros avec CGNPC pour deux réacteurs nucléaires durant la visite de M. Sarkozy en Chine, s'est demandé si l'affaire ne dissimulait pas un moyen de pression.

La suite de l'enquête menée par les autorités chinoises a montré qu'il n'en était rien : le gouvernement gérait des affaires de corruption liées à des contrats Siemens.

Ces représailles qui mélangent l'économique et le politique peuvent se produire sous d'autres latitudes. En 2008, quatre oligarques russes qui souhaitaient reprendre le contrôle de la société pétrolière TNK-BP obtenaient de l'administration russe que Robert Dudley, PDG de la filiale, et plusieurs cadres dirigeants, soient privés de leur passeport et condamnés à l'exil.

Pour faire face à cette montée des risques, les grandes entreprises internationales ont ajouté à leur organisation de base (finance, ressources humaines, etc.) une fonction sécurité. Contre les arrestations arbitraires, le terrorisme, le kidnapping, l'extorsion, etc., des directions spécialisées ont été créées pour anticiper autant que possible l'émergence des violences « légales » ou illégales contre les biens ou les personnes.

Pour Jacques Franquet, ancien préfet, directeur de la sûreté et de la sécurité économique et patrimoniale du laboratoire Sanofi-Aventis depuis quatre ans, le risque politique se gère d'abord avec une veille aiguë sur l'information. « Nous sommes abonnés à des bases de données spécialisées sur l'analyse des risques pays et nous échangeons nos informations en permanence avec Bouygues, Carrefour, etc. », dit-il.

Quand des manifestations éclatent en Iran, le pays est classé rouge et tout déplacement est interdit. Mais s'il faut continuer d'alimenter l'Irak en médicaments, les déplacements se font en voitures blindées et gardes du corps. Au Pakistan, les déplacements sont codifiés : hôtels obligatoires, interdiction de se risquer dans certains quartiers... Et quand la guerre éclate entre Israël et le Hezbollah en 2006, le groupe utilise les services de sociétés militaires privées pour exfiltrer par la route les salariés du groupe coincés à Beyrouth.

Total, qui gère plusieurs milliers d'expatriés dans plusieurs dizaines de pays, a mis en place une direction de la sécurité qui regroupe une dizaine de spécialistes. Le groupe affirme aujourd'hui que son métier est l'exploration et l'extraction du pétrole, mais que sa valeur ajoutée est « la gestion des risques ». Pour un groupe dont les filiales sont, dans certains pays, les plus grosses entreprises du territoire, la sécurité s'obtient par une politique d'insertion dans le tissu local.

« On forme les gens à la culture locale, à la langue. Sur place, on se fond dans le paysage, on ne se déplace pas en voiture blindée avec garde du corps », dit un responsable du groupe. Il n'y a que dans des pays comme le Nigeria, où une guérilla sévit, que les familles sont exclues des missions exécutées par les expatriés. Mais cette mesure est récente. Les familles sont accompagnantes presque partout.

Areva, groupe spécialisé dans le nucléaire, a dû, en 2008, se féliciter de sa bonne connaissance des réseaux « coutumiers et politiques locaux » pour obtenir des rebelles touaregs du Niger qu'ils libèrent quatre salariés occupés à l'exploitation d'une mine d'uranium. Le groupe compte peu d'expatriés mais veille aussi à la sécurité des locaux : quand la veille médiatique révèle une montée des kidnappings au Kenya, des consignes sont diffusées pour demander aux salariés de réduire leurs déplacements et d'éviter toute manifestation ostentatoire.

Areva a aussi mis en place des « coordinateurs de protection » dans quatre pays et deux zones, le Moyen Orient et l'Amérique latine. Ces spécialistes de la sécurité sont d'anciens militaires travaillant en prestation de service. Lorsqu'il a fallu, en novembre 2008, exfiltrer des salariés de Mambaï en proie à une attaque terroriste d'envergure, c'est à eux que le groupe a fait appel.

Toutes les multinationales l'affirment : leur développement à l'international repose sur la « confiance » des salariés dans les mesures de sécurité prises par le groupe. Sans cette confiance, aucun développement sur le long terme ne serait possible. Jacques Franquet précise que cette confiance se construit aussi sur le fait qu'une « culture de la sécurité » est progressivement assumée par tous.

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DERNIER CHIFFRE - 6,1 millions de voitures

Le Monde - Economie, samedi, 11 juillet 2009, p. 12

6,1 millions de voitures ont été vendues au premier semestre en Chine

Ce pays est ainsi devenu le premier marché automobile mondial devant les Etats-Unis (4,8 millions de véhicules vendus). En juin, les immatriculations chinoises ont gagné 36,5 % sur un an.

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